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LOUPS RAVISSANTS
Essai/Rêverie
De l'amour dans la poésie et la prose de Mohammed Dib
©Soumya Ammar Khodja (1998)
soumya.ammarkhodja55@free.fr
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au Shérif
La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté. Victor Hugo.
Table des Matières


LOUP RAVISSANT

Dib

Le romancier est un poète

Ombre GardienneFormulairesOmnerosFeu Beau FeuO vive

L'exercice de la poésie chez Mohammed Dib n'est pas ponctuel mais relève d'une exigence fondamentale.

Depuis Ombre Gardienne 1 (1960), Dib a aligné Formulaires (1970), Omneros (1975), Feu Beau Feu (1979), O Vive (1987) et L'aube Ismaël, Louange (1996) 2, œuvre en contrepoint d'une production romanesque au long cours.
Vivant, depuis quelques années déjà, dans la proximité de cette poésie, "Honneur des hommes Saint Langage" 3 , je crois pouvoir dire qu'elle est une expression majeure de la création poétique contemporaine. Mais il faut bien le reconnaître, Dib, poète, est plutôt méconnu de la critique d'ici et d'ailleurs, trop souvent absent des anthologies...
L' œuvre romanesque a, généralement, la préférence des chercheurs. Une œuvre considérable, diversifiée, à l'intérieur de laquelle se développe, s'épure (de 1952 à 1998) une méditation sur une condition humaine, collective et individuelle.
Il est vrai que par rapport à cette "matière" longue et dense, la poésie peut apparaître moins attirante et déroutante. Parce que plus fragmentée, concentrée, moins saisissable. De plus, les lecteurs de romans ne sont pas forcément des lecteurs de poésie.

Formulaires , paraît dix ans après le premier recueil Ombre Gardienne et en même temps que le roman Dieu en Barbarie 4 . Il se trouve alors placé entre deux créations ayant puisé dans des réalités socio-historiques identifiables. Guerre (1954-1962), quête d'un "être-Algérie", exil pour l'une, Indépendance, questionnement contradictoire quant à l'édification d'une société algérienne pour l'autre...
Bien qu'il faille, à ce propos ( la transparence), rester prudent. En effet, cette écriture nourrie de la vie concrète (et des questions qu'elle entraîne) ne se réduit pas à cette seule dimension, le cachet dibien étant à l' œuvre . Ambiance d'étrangeté, insatisfaction profonde, sans remède, surgie du plus lointain, du plus opaque de la mémoire...

Formulaires se présente sans attache référentielle. Ce qui frappe dès le premier contact c'est son dépouillement, sa nudité, son choixaffirmé, dès le poème d'ouverture intitulé "Exergue", d'un hermétisme, d'une ironie auxquels est convié le lecteur.

A ce dernier, il est sans doute signifié une volonté d'offrande. Mais offrande d'opacité et d'incertitude ( pour toutes les formes de sable/devent et de vieillesse/je t'apporte mon visage/lunaire et très bas/marcheur avançant dans son ombre/fabuleux mot de la pierre ) qu'il est libre d'accepter ou de refuser. Car la lecture procède aussi du désir, est de l'ordre du pari. Et dans ce cas, elle est affrontement avec la résistance, la fermeture d'un texte avant de devenir rencontre.

Quelle que soit la complexité de l' œuvre romanesque, elle permet, de par l'ampleur de sa forme, de par sa fluidité, une circulation plus aisée alors que la poésie constituée, pour ainsi dire, de territoires éclatés, d'îlots que sont les poèmes, invite moins à l'accès, au voyage.
S'il paraît possible de faire l'économie de la production poétique dans la saisie de l' œuvre romanesque, rien n'interdit de la considérer comme une expression qui mérite intérêt et attention. Parce qu'elle est là, régulière, insistante. Parce qu'il y a un écrivain de romans qui écrit, par ailleurs, de la poésie. Ce mouvement d'une écriture à une autre est en soi intéressant, digne d'interrogation.

A ce propos, il me revient en mémoire ce qu'en disait l'auteur lors d'un entretien, au moins sur un aspect psychique et physique : le passage à la composition d'un poème l'aide à casser la tension où le plonge la rédaction d'un roman.

Qu'est-ce que la poésie? Au-delà de réponses techniques et formelles, je ne sais si une réponse globale est possible. Qu'exprime le recours (le besoin) à la poésie pour quelqu'un qui écrit plus "massivement"- en prose? Question liée à un parcours d'écriture individuel mais qui se pose également dans une relation plus large entre poésie et prose. "Nietzsche sur ce terrain, et Rainer Maria Rilke, nous enseigneraient au demeurant encore et toujours qu'il n 'y a de grande prose qu'en fonction du poème, qu'elle en constitue l'attente et la faillite, l'espérance ou le manque, n'investissant tant d'espace que d'être le lieu d'un paradis perdu. Or cet univers, ce monde qu'elle façonne et, réalité à étreindre certes, dont naturellement elle procède, cet éden mouvant, la poésie jamais ne se contente de les sauvegarder : métamorphosant ce qui l'abreuve, elle n'assume ses conditions originelles qu'en les dépassant aurait soutenu Hegel, qui plaçait l'art du poète au sommet de sa hiérarchie esthétique." 5

Sans reprendre le terme de hiérarchie, je constaterai, au moins, que, dans l'itinéraire de création de Mohammed Dib, s'est dessinée une relation de compagnonnage et cela dès le début.

Proximité qui ne peut être que créative. Mise en miroir, en résonance par le biais de certaines figures communes comme celle du marcheur en quête de sens arpentant les espaces intérieurs déployés par le rêve et l'imagination ... Relation d'amplification quand l'univers du roman vient enrichir celui de la poésie comme lorsqu'il s'agit de l'amour.
Traces, échos et même plus que cela, matériaux romanesques se continuent, se transforment dans le corps poétique et vice-versa. Ce qui est exprimé (impression, sensation) par une forme verbale brève, condensée va se détendre, s'éployer dans une langue "plus descriptive, autrement construite, d'un autre tempo" 6 . La folie, par exemple, transmise en tant qu'état douloureux et d'absolue solitude apparaît dans des poèmes courts, légers et presque insoutenables 7 . Paysages de neige, d'eau pétrifiés où ne cesse de retentir un cri alors que s'étend le blanc du deuil, le noir de la nuit, irréversibilité du mal.

La folie donc, désignée par l'abstraction, par des paysages de désolation à peine décrits - qui est fou et pourquoi et comment? - est incarnée dans les romans par des personnages-clés (sont-ils seulement féminins?) autour desquels se noue la narration.

Ici sont captées les sensations les plus nues qui ne supporteraient pas l'enveloppe trop lourde de la prose, là sont racontées des histoires.

La poésie serait plus propre à restituer ce que la prose aurait plus de mal à formuler : la sensation nue, l'inexprimable, un au-delà des mots. Je l'imagine posséder la faculté de détecter, lors de ses incursions en "zone profonde", la frontière invisible au-delà de laquelle les mots n'avancent plus. Quand elle en revient, elle revient porteuse de cette certitude informulable, invérifiable. Hantée de l'indicible. Alors que la prose tenterait d'habiller, en lui donnant épaisseur et densité, l'intuition de l'inexprimable. Mais que vaut, en fin de compte, cette "différenciation"? Que dit la prose que ne dit pas la poésie? - et la peinture et la musique... ?
Ce que je crois vérifier, au moins à mon tour, c'est que le verbe écrire, décliné sur le mode poétique ou romanesque, naît d'une séparation. Séparation d'avec le monde mais qui "nous en délivre cependant quelque chose" 8 .
Roman et poésie chez Dib ont en commun de rendre compte de la difficulté d'une conscience, d'un être à faire partie du monde. L'exil, quelle que soit sa représentation, est une condition partagée par les protagonistes romanesques et les figures poétiques de l' œuvre de Dib.

Pour ajouter quelques mots de plus sur la relation poésie/prose, je signalerai qu'elle existe au sein même de la création poétique de Dib, dans Formulaires , Omneros , Feu Beau Feu et L'aube Ismaël . Il est vrai qu'il s'agit de prose poétique. Laquelle doit entretenir une relation particulière avec les poèmes.
Issus, dans une certaine mesure, d'une forme narrative, les textes de prose poétique seraient une étape "nécessaire" où s'impose un autre rythme, un autre temps.
Temps plus lent, plus continu que celui des vers ("vertical", haché), déroulant la chaîne des mots. Ces mots dans lesquels résonnent l'autre voix, celle du double réfléchissant sur l'écriture - celui qui écrit se regarde écrire et à partir de ce regard se déploie une autre parole dérivant vers d'autres rivages...- , "qui doute de la validité de son entreprise et le dit clairement" 9 : "... ce n'est plus toi qui interroges invites à s'exprimer mais elles mais elles/berceau où le destin s'apprivoise s'apaise un peu" 10 , qui interroge la raison d'écrire, guettée sans cesse par la contingence et la dérision.

Ascèse et jubilation  

Du premier recueil de poésie au plus récent, Mohammed Dib confirme que l'écriture est une aventure et une ascèse rendant compte d'une expérience assumée jusqu'au bout.
Explorer toutes les possibilités de la parole, aller au-delà de ses limites, des forces mentales, de l'imaginaire... Comme le peintre qui démultiplie tous les tons, les nuances d'une couleur, va au-delà de cette couleur pour atteindre ce qu'il ignore encore...
Cette volonté de dépassement est au centre de l' œuvre du poète, s'articulant sur les images de la mise en péril de la raison, de la vie. La prescience de la mort du corps s'accompagne du désir irrépressible d'effacement total : "mourir sans laisser de cendres" 11 .
Au fil des pages, le poète construit peu à peu une certitude. L'homme n'a rien, rien, en ce monde, ne lui appartient, même pas son nom 12 . Ce renoncement, ce dépouillement seraient, au bout du compte, l'indépendance, la liberté du poète.


Cette poésie faite d'exigence et de rigueur, sans complaisance, à l'écoute des voix les plus secrètes, les plus insaisissables d'une intériorité ne pouvait être que le lieu d'élection d'une inquiétante étrangeté.
L'ombre "qui a pris pour masque la lumière" 13 , la pierre envahissante et pétrifiante ou "légère, en vain légère" 14 , la statue qui "n'existe que par l'attente dans le néant son décor visible" 15 , l'immobilité en constituent, entre autres, les motifs.
Les contraires coexistent, s'annulent. Ce qui est n'est pas. Ce qui a lieu n'a pas lieu. Le vide est plein de présences vigilantes et menaçantes. Tout est au bord de la remise en question, de l'effacement mais aussi du re-commencement. Une poésie déstabilisante, captant les craquements intérieurs.
Le sommeil, le rêve, la mort sont présentés comme des états voisins où la parole poétique se forme et poursuit ses incursions.

Toute l' œuvre de Dib, on l'a assez dit, développe un questionnement lucide sur l'acte d'écrire, sur le si fragile et contestable pouvoir de l'écriture. Sa poésie en est un moment fort, oscillant entre plénitude et sombre désespoir.
L'acte d'écrire indissolublement noué à l'acte de vivre, s'accomplissant entre deux tensions contraires : impérieuse nécessité (écrire et vivre étant synonymes) et contingence (écrire et vivre ne sont pas nécessaires).
Le vent, le sable, l'eau, la neige sont les supports qui suggèrent la précarité, la non durabilité de l'écriture, son peu de poids pour prétendre à une permanence, si facile à effacer, à oublier mais peut-être aussi à renouveler...
Parallèlement, ce qui procède de l'épaisseur, du "dur", de la profondeur ferait part d'une expérience éprouvante faite d'efforts et de douleur. L'écriture serait cette sonde qui irait chercher au plus profond de la terre, de la chair, la source, la parole "noyau de chair et de silence" 16 . La parole faite de soi, de sa propre chair, surgie d'un silence originel, vérité peut-être première de soi, désertique et aphasique, hissée à la résonance, à la mise en mots.

La partie "Les Pouvoirs" de Formulaires 17 insiste sur ce qu'il serait convenu d'appeler la gratuité de la parole. Gratuité, oui, et souveraineté. Se suffisant à elle-même, n'ayant nullement besoin de l'événement pour advenir mais advenant à l'événement, étant en elle-même et pour elle-même une exigence totale, autonome de tout.
C'est ce qui est fièrement affirmé. L'écriture est, avant tout, entreprise strictement individuelle. Mais par ailleurs, il est signifié que cette liberté, cette souveraineté se noient "dans l'écorchure universelle" 18 car "il n'est pas de vie sans un grand détour par les décombres sans l'élan du remords sans l'ombre qui la renie..." 19 .

Telle est la position du poète réfléchissant sur la place de l'écriture dans sa vie, face à la vie charriant le mal, la souffrance, la blessure... Que fait de lui l'écriture, que façonne-t-elle, que détruit-elle, que préserve-t-elle en lui?

L'aiderait-elle à apprivoiser sa condition d'exil (ce sentiment obscur d'être de nulle part s'accompagnant de la quête d'un lieu qui n'a ni nom ni configuration, ce sentiment d'être toujours de passage...) qu'il partage avec ses personnages romanesques, notamment Habel20. L'aiderait-elle à endiguer, transformer sa "louverie" 21 , cette autre manière de nommer la sauvagerie, la folie que tout un chacun porterait en soi...

Quels que soient ses pouvoirs ou son absence de pouvoir, malgré ce va et vient constant entre positivité et négativité, la parole, "celle qui embrasse le creux de la fécondité le cercle des sacrements et les pas de Chorée" 22 , qui habite l'obscur et dévide "le silence noir/et ses mots" 23 , objet de "l'inventaire du vent" 24 , cette parole est constitutive de l'identité de l'écrivain Mohammed Dib.

Cette identité m'est exhibée, offerte à mon attention. De cet homme dont je sais si peu de choses, je connais la part écrite. Un inconnu m'importe par son écriture. Je ne l'ai rencontré et reconnu que par ce biais. Son nom est l'exact synonyme d'écriture.

Dans L'aube Ismaël , je crois qu'une étape qualitative a été atteinte par le poète. Ce recueil, en dehors des liens qu'il entretient avec les précédents, a un cachet particulier. L' accession au sentiment de sacralité y apparaît telle une station ardente d'une recherche tourmentée. Si cette sacralité se condense passionnément sur le nom d'Ismaël, restaurateur de la source, "lieu de fondation/ Parole réparatrice/Ouverte et qui est" , rattaché à un patrimoine religieux, elle n'en concerne pas moins l'activité d'écriture.

Au cœur du poème, ces vers : "Livre, garde-moi entre tes pages. Deviens la réponse. Sois l'assentiment." 25 . Ce Livre auquel s'adresse la prière, la supplique est certainement le livre sacré désignant une voie choisie par celui qui médite et interroge. Il représente aussi, fondamentalement, l'écriture à laquelle Dib a consacré_ et continue_ sa vie, qu'elle lui est enfin assentiment et réponse.

Et ce ne sera pas la première fois qu'il est pressenti, dans l' œuvre de Dib, que l'écriture procède aussi de la sacralité, de ce qu'il y a de plus précieux et d'inviolable, d'une dimension hautement supérieure mais tout en étant guettée_ tentée?_ par le mépris, la dérision, l'insignifiance.

C'est dans cette tension que s'enracine une pensée concernant le sens et la finalité de cette activité. Dans Habel , le personnage du Vieux (alias la Dame de la Merci), écrivain portant le nom d'Éric Merrain, laisse en "héritage" à Habel, après son suicide, un paquet de feuilles écrites. Ce dernier n'a que le choix de leur utilisation. Les enterrer, les brûler, "se torcher avec". Il ne fera rien de cela. "Des papiers. Une voix. Des paroles. Une alliance qu'il avait contractée et qu'il ne pouvait plus rompre. Ni rompre, ni trahir, ni modifier." 26 .

L'écriture, énigme, donnée en dépôt, signe d'alliance (relais) entre des êtres qui se reconnaissent, entre un être et le monde, entre celui qui écrit et ceux qui le lisent...

Toute écriture porterait en elle des germes de fatuité, le risque de sa disparition, évoluant entre deux tentations : le trop dire et le mutisme, faisant d'elle un bavardage de plus, un silence de plus.

Entre danger de saturation et de tarissement, renvoyant sur la scène du politique et du social à la tyrannie du sens, à l'impuissance de communication, la parole se fraie son propre passage, vigilante, exigeante et tenace.

Cet hermétisme, où l'on a trop rapidement enfermé la poésie de Dib comme pour en finir avec elle, je le ressens comme la quintessence d'une écriture, affleurant d'une individualité propre nourrie d'universalité.

Écriture qui n'encourage pas, il est vrai, l'arrogance, "l'arrogance de comprendre tout, tout de suite" et qui demande "d'accepter qu'on ne fait jamais que commencer à comprendre ou plutôt à ne jamais tout comprendre" 27 .

Si la parole poétique de Dib est souvent grave, s'écrivant au ras de questions primordiales (retentissant de siècle en siècle, portées par la voix des poètes) la situant ainsi à proximité de la philosophie -"La mort reste le pur motif des poètes et celui des penseurs ...en sondant ses visages et en en disant les mots" 28 - elle ne s'interdit ni la fantaisie ni l'exercice ludique.

Car la poésie étant affaire de mots se prête aux jeux de combinaison, d'enchaînement, de manipulation... Jeux dépassant les mots, basculant dans l'invention de mondes. Mondes crées, effacés et recommencés à partir de la puissance oraculaire du mot : "le mot des mots dont chacun se change en son voisin monte sur les épaules de son frère et vous construit des villes vous compose des vies vous offre à lire des livres qui commencent par la fin que vous reprendrez mélangerez jetterez au sol pour qu'il vous parle par des oracles" 29

Sacralité de la poésie, pouvoir oraculaire des mots, Dib ne dédaigne pas ces aspects rattachés aux conceptions traditionnelles des origines. Ces conceptions sont là, résonnent en écho dans le déploiement de son travail. Elles sont retenues et tout en l'étant elles sont contestées, ignorées, brisées, reconsidérées au nom de cet esprit qui veut que toute affirmation porte en elle sa propre réfutation. Démarche se forgeant ses moyens d'émergence, d'immersion...

J'ai cru relever aussi, au cœur de la gravité, de l'austérité de cette tâche – écrire – la persistance d'une fraîcheur juvénile, d'un étonnement d'enfance : vingt-six lettres de l'alphabet édifient une infinité de mondes, de textes, catalysent énergie et désir jubilatoire d'invention.

L'ardent foyer

Au terme de ces lignes de présentation qui ne prétendent à aucune exhaustivité, je veux arriver à ce qui m'importe : l'amour dans la poésie de Mohammed Dib.

Voici une écriture qui tend vers une langue épurée et concentrée, qui s'est construite dans le resserrement et l'ellipse.

Rareté des pronoms personnels, éparpillement, anonymat des instances d'énonciation, brouillage de l'allocutaire, mots évoluant dans une syntaxe souvent complexe, diversification des lexiques (archéologique, maritime, végétal, animal, médical... auxquels emprunte l'expression poétique) construisent un édifice resplendissant de beauté et de solitude. Mais on a bien dit que la lecture était affaire de désir. Désir qui fait peu à peu découvrir qu'à l'intérieur de cet édifice verbal brûle un foyer, attisé par une vitalité et une joie créatrices.

Autrement dit, la poésie de Dib porte un érotisme fort et sans détour : "la convoitise/d'une résine pleure/à la décousure des jambes" 30 ; "soleil velu/elle fait son nid/à la fourche des jambes" 31.

Poésie à la fois abstraite et charnelle, d'un abord sur-prenant, dépaysant et attachant, elle offre un supplément d'intensité à la réflexion sur soi et la relation à l'autre, mouvement qui structure et fragmente à la fois.

Dib place sa thématique de l'amour au cœur de la tourmente, de la cassure, des contraires qui s'échangent. Qu'est-ce qui pouvait être plus fort, plus "total" que l'amour pour dire "le vraiment vivant que je suis" 32 , la "flamme unanime" , le "coeur aiguisé" , la "mine à violence" et l'envie de ravages" 33 ...?

Considérations, entre Éros et Thanatos

Au commencement, l'amour de soi. Aimer l'autre passerait par l'arrachement à soi. Violence de la séparation. Avant de l'aimer, on commence par le haïr, cet autre, d'avoir provoqué cette rupture.

Analysant la relation d'amour de Roméo et Juliette, Kristéva rappelle que "une haine est à l'origine même de l'élan amoureux" 34 , pense, à la suite de Freud, qu'elle est, dans la hiérarchie des sentiments, la première.

Si, par ailleurs, cet élan vers l'autre, cette captation de l'un par l'autre sont salutaires, apportent jubilation et bonheur, justification – même temporaire – à l'existence, il reste vrai que l'une des réalités de l'amour est loin d'être rassurante quand elle n'est pas terrifiante.

Aimer quelqu'un n'est pas forcément vouloir son bien. D'autre part, le viol ne serait-il pas l'autre possibilité, en négatif, se profilant derrière l'acte d'amour reçu et donné?

Que le désir du corps d'une femme soit en même temps lié à celui de sa mise en souffrance, de sa mort, c'est ce que relate Assia Djebar : "O mon ami, je suis tuée. Ainsi soupire une dernière fois Haoua, une jeune femme venue avec son amie, danseuse de Blida, pour assister à la fantasia des Hadjouts, un jour d'automne; un cavalier, amoureux éconduit, l'a renversée au détour d'un galop. Elle reçoit à la face un coup mortel du sabot de la monture et, tandis que le cavalier meurtrier disparaît à l'horizon, au-delà des montagnes de la Mouzaïa, elle agonise toute la soirée." 35

La littérature n'a pas fini de travailler sur ce lien si fort du désir, de la sexualité avec tout ce qui relève de la destruction, de la criminalité, de la perversion broyant personnes, valeurs et limites sociales. Nous serions tous au bord du basculement, susceptibles d'accomplir ce qui ne doit pas être. Dans la colère et l'indignation face aux violences sexuelles, dans notre incompréhension pleine d'effroi de conduites sexuelles destructrices, résonne peut-être aussi la peur de notre possible fragilité.

Il n'est nullement question, ici, de réduire la puissance de l'amour à une seule dimension dévastatrice. Il reste vrai qu'il est l'enclencheur de sentiments les plus enfouis, les plus contradictoires et qu'il peut s'épanouir sur une scène dressée à l'ombre de la tragédie.

La sensualité irradiante du Cantique des Cantiques pose pourtant comme postulat : "L'amour est fort comme la mort, la passion est violente comme l'enfer". Amour, mort, enfer issus d'une même réalité de puissance, de radicalité, de violence irrémédiable. Qui aime se damne, meurt. Et ce chant "funèbre" s'élève du cœur même de la joie profonde.

Variations pour Habel et Lily

C'est dans HABEL que Mohammed Dib, romancier, entreprend une réflexion magistrale sur l'amour et le couple.

Habel C'est dans ce livre qu'est décrite l'attirance irrépressible d'un homme pour un autre, l'un, fasciné, suit l'autre : "...les battements soudain plus violents d'un cœur aveugle, l'effarement d'un cœur qui vous jette vers l'obscurité, l'horreur, l'inconnu, la séduction plus inconnue encore, plus irrésistiblement attirante et qui vous attend les yeux fermés. C'était bien ça." 36.

L'androgynie représentée par la figure énigmatique et troublante de la Dame de la Merci y est à la fois attractive et répulsive, mortifère (tel l'inceste). L'homosexualité, rendue à travers une séquence d'amour charnel s'apparentant à un acte de prostitution, est vécue comme un moment capital pour poser enfin la question de l'identité. Une identité se forgeant aux sources multiples de la sexualité.

Sexualité inquiète, explorant ses diverses possibilités d'expression où le masculin et le féminin ne sont pas considérés comme des genres séparés mais qui se mêlent et troublent le jeu des apparences, déstabilisent la formulation de soi et de l'autre : "Lui ayant à présent toutes les chances de rencontrer quelqu'un, et méritant ça; toutes les chances de se trouver devant quelqu'un et, il ou elle, de le reconnaître, et ce serait le seul - ou la seule vraie." 37 .

Qu'est-ce qu'un écrivain?

Quels sont les éléments qui s'assemblent pour constituer une identité profonde, au-delà du seul état-civil? La sexualité dans toute sa force et sa complexité _ dans toute son ironie et sa perversité _ serait une des dimensions fortes à partir de laquelle s'élabore l'intellectualité.

La figure de l'écrivain transparaissant dans HABEL est issue de cette fondation. Une fondation mouvante procédant du double, du trouble, de l'étrangeté... Le questionnement concernant son statut adopte un ton ironique et iconoclaste. Qu'est-ce qu'un écrivain? "...un vieux bonhomme, une putain..." "un racoleur" . Il n'est pas celui que l'on croit, il est d'autres : "...le Vieux, alias la Dame de la Merci, alias É ric Merrain" 38 .

Le personnage d'Habel, quant à lui, semble gravir les étapes d'un rite de passage au bout duquel il choisit "entre tous et toutes" 39 , Lily. Auparavant, il aura suivi l'écrivain étrange qui lui aura fait connaître, entre séduction et répulsion, les plaisirs de l'androgynie et l'homosexualité; il aura été l'amant d'une autre femme, avide et exigeante, Sabine.

Tout amour...

Le couple formé par Habel et Lily illustre une conception de l'amour dont les fondements sont l'opposé même de la quiétude et de l'univocité.

C'est dans la perspective de sa finitude, avec la certitude qu'on n'atteint pas la (les?) vérité (s) de l'autre, avec le danger qu'il représente pour sa propre sauvegarde que se fabrique le sentiment d'amour. Entrelacement de pulsions à la fois contraires et complémentaires.

Lily, sujette à des fugues nocturnes, sait qu'elle peut s'accrocher à un radeau sûr, Habel. Sa maladie n'entrave en rien sa séduction, sa sensualité "lacération désirante" 40 à laquelle son amant s'abandonne sans réserve, en toute reconnaissance.

La face obscure de cet amour est solitude, exil. En aucune façon, il ne réduit l'abîme invisible qui encercle chacun d'eux. L'amour ne peut agir sur cette part de soi irrémédiablement isolée, imprenable mais d'une certaine façon, il confirme une irréductible solitude (une liberté?).

Cela est d'autant plus vrai pour Lily qu'elle est folle. Plus que solitaire, elle est parfois inquiétante et menaçante : "Lily apparaissait en essaim d'oiseaux habillés de cheveux rouges qui n'étaient que violences, menaces lâchées" 41 .

Il serait alors tentant de croire qu'Habel se perd à aimer Lily. Lorsqu'elle disparaît, il la recherche désespérément et ne sait plus quel est son vrai visage. Pour finir, pour elle, il est prêt à se démettre de sa raison. Aspiré, entraîné par l'amour de cette femme, jusqu'à l'asile.

Lui-même est assez trouble. Percevant l'aspect maléfique de son amante, il est mû par un désir pour le moins inquiétant : "et même il a souhaité voir Lily perdre la raison dans l'unique but de faire se profiler son autre visage invisible et de le contempler lui seul, pour son seul bonheur." 42

"Tout amour" ne se donne pas, ne se résume pas à travers son apparence; ne dure que le temps de sa fragilité... Tout amour porte un masque cachant un autre visage.

Cet autre visage dans Habel est celui de la folie, "mal de l'âme" et cruauté. L'amour aurait lien avec la folie, participerait de sa nature. "Aimer à perdre la raison", à faire perdre la raison. Et cette folie-là ne ressemble pas à celle de Majnoun Leïla, rendu fou non par Leïla mais par son absence. "On traduit toujours Majnoun par fou, mais il n'est pas fou. Dès qu'il voit Leïla, il retrouve la raison. Il est en absence : tant que l'objet d'amour n'est pas là, il n'a aucune raison d'exister. Il ne retrouve sa conscience que lorsque réapparaît l'être aimé."

Cette réflexion sur le couple mène jusqu'à la remise en question de la réalité de l'autre. Dès qu'il paraît, se met à l' œuvre ce qui va le faire disparaître. Ainsi tout amour dérive vers une hallucination : le visage de l'aimé(e) se défait, disparaît devant le regard de l'autre qui s'avère incapable de le reconstituer, par ses "yeux vivants" ou par "l'imagination" . Un visage qui se perd. Une mémoire frappée d'amnésie. N'en reste que l'ombre, souvenir de "ce qui a été brillant comme une lumière" 43 , fantôme de ce qui a été.


Que Lily paraisse à Habel menaçante, porteuse de sauvagerie destructrice, n'empêche pas ce dernier de la percevoir, par ailleurs, comme son guide et sa rédemptrice : "Continue à me guider comme tu l'as fait jusqu'à présent. Tu m'as rebaptisé dans tes eaux vives." 44 .

Le roman se termine sur un ton de sérénité. Habel décide de rejoindre Lily dans la maison de santé, n'ayant que faire de sa raison. Enfin apaisé, il comprend "qu'il n'était pas né par hasard sur terre". 45 .

Cet enfermement avec Lily (partager la folie?) Habel le veut également expiation, réparation à cette femme qu'il aime et dont il aurait encouragé la folie (l'amour, expiation d'une faute?).

Renoncement

Aboutissement poignant et problématique même si la paix (Habel en a fini avec la quête du sens, tourmentée, épuisante) semble atteinte au bout du livre. Car cette conclusion est une formulation d'un constat d'échec de ce monde auquel sont préférés le retrait et l'isolement.

Il est un fait que cette histoire d'amour s'est déroulée au milieu d'un océan de désamour. Elles ne sont pas rares ces pages implacables dans HABEL insistant sur l'indifférence quasi-minérale des hommes. Ces hommes, et parmi eux Habel, qui ne songent nullement à porter secours à un homme sauvagement agressé. La foule de Paris est décrite comme un ensemble compact, sans frémissement, sans chaleur et qui ne bouge que parce qu'elle obéit à un automatisme dont elle n'a plus conscience.

Habel fuit dès qu'une relation semble s'amorcer et ne supporte aucun contact physique. Cela ressemble fort à de la misanthropie.

L'amour à deux ne s'accompagne pas de l'amour des autres, du monde. Celui-ci, "perdu" d'avance, lieu de la détestation et de l'humiliation, n'encourage aucunement les vocations altruistes.

Cet éloignement du couple dans un asile, je le vois comme la fin (soulagement) d'une course exténuante. Mais en regard de la jeunesse d'Habel, _ dix-neuf-ans _ et de Lily _ pas plus âgée _ je me dis que cette exténuation les saisit un peu trop tôt. Ce qui reviendrait à suggérer que ce monde "ouvert et désolé, vaste comme une catastrophe et en même temps aussi étroit que le fil d'un rasoir" 46 pousse précocement au renoncement. Que reste-t-il des amours utopistes, celles qui rêvaient de changer l'homme et transformer la vie?

L'amour dans HABEL ne peut avoir de retombées sociales. Il est éloignement, isolement, repli sur soi pratiquement autistique.

Rien n'interdit de supposer que le temps (?) passé à l'asile va permettre à Lily de guérir et à Habel de la retrouver. Mais rien n'est moins sûr car l'hypothèse du risque est clairement avancée. Habel peut, à son tour, perdre la raison.

De toute cette "histoire", pourtant, il persiste un point fondamental : l'amour justifie l'existence, donne un sens à la présence sur terre, même quand cette présence choisit de vivre en retrait de la société ( "l'éros est asocial dans sa source même" écrit Quignard). La quête éperdue d'Habel quant au sens de la mort n'aboutit pas. L'absence de réponse lui fait prendre conscience de la vanité de son attente, le rappelle à la vie.

Son désir s'épure, se concentre sur ce souhait, cette prière : "... une personne pour justifier ma vie, pour l'excuser; une personne pour l'accepter. Une personne pour en faire une chose valant quelque chose. Une personne. Lily." 47 . Les lignes finales du roman contiennent ces mots : "Il comprit qu'il n'était pas par hasard sur terre..."

Refus donc de l'absurde, de la contingence. Le pari adopté est celui du sens.

La vie d'un individu prend sens par l'amour, par l'autre. Ainsi Habel refuse la gratuité de sa propre vie mais en même temps il renonce à la société, au monde. Il est vrai qu'il est décrit si sombrement...

Cette volonté si forte, poignante de trouver un sens à sa vie, je me demande si elle n'est pas, obscurément, une nostalgie de la mission sur terre. L'homme n'y est pas né pour rien. Son passage est celui d'une mission, d'un programme à accomplir, répondant ainsi à des desseins préétablis d'ordre religieux, philosophique ou autre...

Ce qui est sûr, c'est que la vie n'est pas présentée comme une évidence en soi (elle serait plutôt intolérable) mais en tant que lieu et moment d'une rédemption. Justifier, accepter, excuser sont les verbes utilisés par Habel quand il songe au sens de son existence. Et ces infinitifs ne prennent leurs significations, ne fonctionnent que par la présence de Lily, que par l'amour.

Une histoire aboutissant au renoncement : au monde, à l'identité. Sauf à l'amour. Qui se veut réparation, expiation, salvation.

L'amoureux regard

Écrire l'amour. Explorer des terres incandescentes habitées par la fureur et la passion. Lorsque l'amour advient, il porte avec lui le scandale, la fitna . C'est-à-dire qu'il décrète la fin de la paix et l'avènement du trouble.

Tous ces textes, poèmes, chants, chansons de culture arabe, du Maghreb au Machreq, des plus anciens aux contemporains évoquant les yeux ensorcelants et dévastateurs de la femme aimée ne disent pas autre chose ("Tes yeux font entrer la souffrance dans la maison") 48 .

Et les yeux de la Loreleï? Beaux à rendre fou, à faire mourir. Et cet évêque qui rend les armes face à cette séduction ineffable. Au lieu de la condamner pour sorcellerie, il s'en abstient - fébrilement comme brûlé par le feu de ces yeux - et l'envoie au couvent.

Sa fin tragique gravée dans le poème d'Apollinaire s'inscrit dans cette vision qui veut que l'amour synonyme de bonheur soit aussi celui de malheur.

Et les yeux d'Elsa, si profondément et immensément bleus que le poète en perd la mémoire...!

Quand il n'est pas mortel, le regard d'amour se contente juste de déstabiliser l'ordre établi, de pulvériser les valeurs admises. Se jouant des grands de ce monde, il les transforme en leur exact contraire. Tel ce roi évoqué par le poète Omar Khayyam : "Hier ton amoureux regard changea le roi de Babylone/En un fou que le joueur fait man œuvre r/Sur l'échiquier."... 49

L'invention d'une femme. Conception d'un érotisme

Force de l'amour, puissance du désir qui sauvent ou qui damnent, assemblent ou éparpillent, comblent ou laissent à jamais nostalgique l'être porté par sa quête est ce qui se donne à lire dans l' œuvre de Mohammed Dib.

Si le roman, à travers des itinéraires de personnages, développe, concernant l'amour, le couple, une méditation "globale", aux résonances métaphysiques, la poésie, quant à elle, s'attache à fixer des moments d'une rencontre charnelle, à capter ce qui s'y joue. Et cela, à travers l'anonymat des protagonistes ou plutôt leur non nomination. Je, tu, il, elle, qui d'ailleurs ne foisonnent pas dans les recueils, ne référent pas à des instances précises. Mais il est souvent question d'une femme.

Le langage, floraison de métaphores, fait miroiter les facettes d'une relation érotique intense. Relation où la violence n'y est pas une manifestation ponctuelle, marginale mais une donnée constitutive. Une violence qui ne se voudrait pas destructrice, broyeuse de l'humanité de l'autre mais une mise au défi de ses possibilités, de ses limites. Quand la rencontre est affrontement, évaluation réciproque; l'acte d'amour, dévoration. Et je me dis alors que cela doit participer d'un sens ou contribuer à son élaboration. Cette énergie venue de "la nuit impersonnelle de la pulsion" 50 se déploie dans un temps et une durée où se mène une recherche de soi et de l'autre.

Le poète invente une femme en ses contrées poétiques. Une femme de terre et d'eau, de neige et de feu, de plantes et d'arbres. Son corps, étendue infinie, féminise l'espace.

Poème après poème, le créateur détaille ce corps, scandant ainsi les lettres de l'alphabet du désir. Usant de l'emploi de la métaphore et de la métonymie, qu'il s'applique à tresser, il se situe dans la lignée de Novalis qui écrivait : "Ma bien-aimée est l'abréviation de l'univers/L'univers est l'élongation de ma bien-aimée."

La fléchissante, la continuée

Tel un peintre, un chorégraphe, Dib compose de multiples "figurations de femme": "La fléchissante/la continuée la rengorgée (...) la sombre vaincue ; "l'endormie/côté brume/côté sang" ; "l'embellie (...) l'oublieuse (...) hasardeuse passante" 51 , donnant à sa poésie un mouvement ondoyant 52 .

L'écriture s'élabore autour de l'esthétisation d'un corps féminin, reconnu dans sa gloire : "et l'orageuse souveraineté de ces jambes" 53 et dans son pouvoir de métamorphose. Avec "seins gorge ventre jambes" il devient arbre à fruits appelant à la délectation.

Forme mouvante, dansante, il réalise, lié au corps de l'amant, les figures de l'amour : "bras et jambes noués/comme on forme ancre/dans le temps arrondi" ; "que main avancée/branché de jambes/ce délire s'avère" 54 .

Les images de l'eau, de la liquidité, de la fonte sont essentielles. Lieu de circulation et d'expression du désir. Pour dire les surfaces lisses du corps, ses profondeurs salines et humides.

Images surgissant au point d'orgue de la sensualité, désignant le passage d'un état à un autre. Passage, transgression, transmutation : "quand il eut plus enfreint/plus mis ma nudité à nu (...) quand soleil au centre/je ne fus que fonte autour" 55 .

Eau et nudité sont données comme des états semblables, en tant que re-commencements et aboutissements : "reprendre vie d'une vague" ; "le temps de son baiser d'eau/épousera ton corps..." . Accession à une vérité de l'amour : état de renoncement, dépouillement : "prendre ta nudité/pour toute couverture" 56 . Accomplissement d'un couple charnel et mystique où la nudité restitue le plus vrai de l'autre, est renoncement de soi pour aller vers, à l'autre : son dieu, son maître...

"Barque" , "nacelle" , "carène" , "étrave" , "rade" sont les métaphores démultipliées du corps féminin entreprenant le "voyage lisse" menant au plaisir.

Peu à peu, au fil de la lecture, se tisse une vision de femme ondoyante et odorante, charnelle et "buissonneuse" : "les pas battant les taillis de la nostalgie/roseaux branches dans le même fil jusqu'à/l'à-plat du sable et la berceuse des vagues" ; "tu portes la blondeur des prédictions/et ton épaule fait taire les cigales/dans les dormants oliviers du temps" 57 , terrienne et aquatique signifiant durabilité et infinité.

Mer, flamme, femme ou l'inextinguible nostalgie

Femme inépuisable, recommencée. Telle la mer.

Cette mer menant au monde de l'imaginaire, porte d'entrée du rêve. Lieu où naît le désir d'une flamme (femme).

Mer et flamme - et feu - ne sont jamais éloignés des uns des autres dans l' œuvre de Dib. Horizons vers lesquels se dirige le marcheur, s'éloignant des rives de la réalité, en quête de la figure absente. Lorsque la femme aimée disparaît, persiste en celui qui l'attend, ne se résigne pas à son absence, la certitude ténue et têtue à la fois, qu'elle se trouve dans un autre monde. Invisible, sans forme ni configuration et dont la mer serait une promesse.

La recherche de la mer et de la flamme est l'expression de l'inextinguible nostalgie _ dont l'équivalent en langue arabe serait chawq "flambée de désir pour l'absent, embrasement de feu qui consume celui qui aime, élan de l'âme, voyage du cœur vers l'aimé" 58 _ de la bien-aimée disparue. Comme le laisse voir un autre roman de l'auteur, Qui se souvient de la mer 59 : "La nuit est tombée. Je sors. Je vais au-devant de la mer. Cette nuit sera peut-être la dernière (...). Toute la nuit, j'ai marché. Et maintenant, arrivé aux portes de l'une et l'autre cité, je l'oublie et oublie l'heure qui s'annonce; elle, apaisée, porte en son centre un anneau de feu (...) qui (...) luit tantôt flamme, tantôt femme. (...) l'air se vide , commence à brûler, et du cœur de la flamme s'élève la rose de Nafissa." . "Depuis plusieurs nuits, j'ai pris l'habitude d'aller jusqu'aux portes de la cité, et pendant que la mer joue là-devant, court dans toutes les directions, je guette une flamme qui attend au ras des vagues."

Dans le recueil L'aube Ismaël, le bien-aimé est le fils disparu, "l'ange de l'Intifada", "petite flamme" , âme éparpillée en oiseaux. Hagar, sa mère, "la danseuse bleue" se dirige vers la mer, le corps plein de la désirance de l'absent chéri : "ce qui avance là/Hagar toujours rebelle/Et qui multiplie le mouvement/Hagar toujours rebelle,/La danse faite mer." 60

C'est un rapport fort, douloureux qui est entretenu avec la mer (et la flamme). Sur elle se condense le manque. Le manque (la mort) de l'aimé(e).

Ce n'est pas l'unique niveau de signification. Si elle représente, également, par son immensité, sa profondeur , l'aspiration à l'engloutissement, à la mort, peut-être aussi la nostalgie de la matrice originelle, elle est, plus communément, l'image du désir de départ, de voyage, du refus de la sédentarité stérilisante .

Dans certains passages de sa poésie, l'auteur disjoint la mer et la femme. Celle-ci comme séparée d'une part d'elle-même n'est plus un être achevé, en état de complétude, représentant une totalité à atteindre. Séparée, menacée, prise dans un mouvement répétitif : avançant quand la mer recule, reculant quand la mer avance.

Ce serait là, je crois, la figuration d'une impossible rencontre - de toute rencontre, d'un impossible accomplissement - de tout accomplissement.

Constellation de significations se partageant entre la vie et la mort, la mer est merveilleusement convoquée pour dire une sensualité solaire, la géographie d'un corps de femme : "Pour recommencer le plaisir des plages, la fête des hanches, le réémergement des eaux, l'audace des seins, le périple de la lumière de l'épaule au ventre, aux jambes paisibles, jusqu'aux galets polis des pieds. Et toute la mer s'écoulera entre ces rivages." Ces lignes, parmi les plus belles qu'il m'est donné de lire, font partie du texte "Chant pour Elsa" rajouté dans la réédition (1984) d' Ombre Gardienne .

Sensualité d'un corps-flamme pérenne : "un corps durable et sa rousseur" 61 . Vénération pour ce corps, splendeur et générosité protectrices : "celle qui offre/comme abri son corps/infini et doré" 62 .

Caresser, écrire

La parole poétique énonce la création, l'invention d'une femme : "j'habite le givre/et feu en silence/invente une femme" 63 et la répartition de son corps à travers les strophes, les poèmes, les pages...

Cette répartition dessine le mouvement de la caresse. Mouvement qui retranscrit un voyage et ses arrêts, courbes, places, éléments corporels privilégiés (mains, visage, hanches). Caresse qui reformule, remodèle. Geste d'invention et de composition : "délirent sur ton sein /la soie et la neige" 64 "dos et nuque demeurez/carrière d'ignorance/et mains en détour/avancez en chanterelles/déliez l'atour humain/hanches eau et lumière" 65 .

Cet acte de re-création ne prétend pas épuiser le sens du corps. Au contraire, il faut qu'il demeure "carrière d'ignorance" alimentant le désir de découverte, de connaissance, d'écriture. Objet de quête, il ne délivre pas tous ses secrets.

D'autre part, il serait, dans une démarche de déchiffrement, une forme, une trace d'un sens, d'un lieu à re-trouver, une réponse à l'errance, l'exil. Il serait aussi une étape accueillante et protectrice, ce que la terre propose de meilleur. La terre se résorbant en "ce corps bordé de deux bras" 66

Visage

Corps qui offre, à travers le motif du visage, sérénité et oubli. Visage vécu comme un havre, comme un lieu où s'affirme une croyance, une certitude.

Mais il est souvent placé sous un signe duel : "visage où croire plus/exil où entrer plus"67 . Ressenti tel un seuil donnant sur un vide vertigineux, l'inconnu. Miroir d'un déracinement, d'une solitude qu'il amplifie.

La suggestion de la complexité d'un être - l'ambivalence, la fugacité qui le constituent fondamentalement - par le visage est un procédé récurrent dans la rhétorique dibienne.

Susceptible de se dédoubler ou portant un masque ( non visible, de surcroît), surface sur laquelle le regard bute sans pouvoir aller plus loin, le visage empêche la connaissance intime de l'autre, durcit son énigme. Sur lui se focalise l'étrangeté.

Pour autant, cette étrangeté ne serait pas toujours perçue négativement : "on n'est pas (...) avec quelqu'un, on est face à lui, face à son étrangeté". 68 "... un peu d'opacité est nécessaire à chacun"69 . L'opacité, l'insondable relèvent, à certains égards, d'un droit à posséder une part de soi rien que pour soi. Infrangible. De plus, ce qui résiste au déchiffrement demande un déploiement d'efforts, renforce un désir de conquête.

Tout amour est guetté par l'oubli. Ce danger, tapi à proximité de toute relation, peut survenir à n'importe quel moment, au plus fort des sentiments.

Tout amour n'est pas assuré de sa durée, génère ce qui va le faire disparaître.

Quand l'oubli advient, il s'en prend au visage aimé, qui tombe en lanières, s'efface peu à peu, inexorablement. Impossible qu'il se reforme malgré les efforts de remémoration de celui qui vit et assiste à cette perte. Ni ses yeux, ni son imagination n'arrivent à en reconstituer les traits.

Surface-obstacle arrêtant l'intrusion du regard ou laissant se profiler le vide, image de ce qui fuit_ n'étant jamais semblable à lui-même dans le déroulement du temps_ ou étape-halte où la quête se fortifie, se ressource et se justifie, le visage, dans l' œuvre de Dib, est au cœur d'une parole profonde.

S'attachant à réfléchir sur la perte en présence, en matérialité de la vie, des présences humaines, leur fugacité, leur caducité. Pressentant un monde, au-delà des seules apparences, plein et dense, bruissant de signes dans lequel s'aventure une conscience avide de sens...

Le maitre de chasse

 Visage. Approché, regardé. Opacité et transparence. Incommunicabilité et dialogue. Parfois révélé, préservé. Dualité mystérieuse et poétique. Tel le visage de Marthe dans Le Maître De Chasse : "...le sommeil s'est mis à faire fondre ses traits, à révéler ses deux visages, celui de l'enfant et celui de la femme se rejoignant par-dessus les années, se contemplant l'un dans l'autre et présentant leur double séduction, leur double mystère sans que celui de l'enfant exerce une séduction moins grande, rayonne d'un mystère moins troublant . Terrassé par le sourire qui errait, énigmatique, sur ses traits. Je pensais : le plus grand mystère."

Identités

On l'a vu, l'un des points que soulève la thématique de l'amour est la facticité (ou plutôt fragilité /ou encore son caractère aléatoire) de l'identité qui prétendrait être bâtie à l'intérieur de limites étanches. Dans tous les cas, elle n'est pas donnée en soi, malgré les apparences mais soumise à critique, à interrogation comme cela se passe dans HABEL. Le résultat est que le texte fait miroiter en creux l'image moqueuse d'un écrivain androgyne, travesti, racoleur...

Dans sa poésie, l'auteur, dans la mise en image de l'acte d'amour, n'établit pas toujours de différenciation. Ainsi, la masculinité et la féminité s'échangent l'une par l'autre. Cette interchangeabilité, ce va et vient d'un genre à un autre sont figurés à travers une métaphore végétale, tissée, ramifiée à partir de l'arbre.

Un arbre de passion, lié au corps d'une femme ayant chaleur et souplesse d'une bête. S'élançant dans l'air, il enflamme le ciel et dans un mouvement contraire s'enracine dans les profondeurs de la terre. Au bord de l'eau-femme, il ne "croit adorer que/cette transparence" 70 . Masculin, il se féminise : "rompue sur moi en arbre/noue bras cuisses et lèvres, et m'aimant verdis tant/que tous oiseaux me chargent" 71 .

Sa force et sa vigueur se déplacent pour se fixer sur la femme qui va à son tour métamorphoser le corps de l'amant. Féminisé, il va ensuite re-devenir arbre, fraîcheur et allégresse. Les oiseaux le reconnaissent comme leur lieu.

Il arrive que l'interchangeabilité de la masculinité et de la féminité dérive parfois sur une indistinction qui ressemble fort à une aspiration au néant.

Et si l'arbre est la représentation même de la puissance sexuelle, de l'étreinte amoureuse, cela n'empêche pas, pour autant, sa présence à travers ses dérivés, notamment la croix, dans les poèmes construits autour de la fatigue, de l'inanité, d'une sorte de défaite: " croix tu sais où la bête/effleure aussi une mort/par la fatigue attachée" 72 .

Dans la poésie de Dib, désir érotique et désir d'écriture se confondent, issus du même élan vital, d'une même tension : "mais d'abord sein d'abord plume/ne réchauffe qu'une bête/ne choie qu'une voracité" 73 . Or tout désir est la préfiguration de son contraire. La mort, danger et tentation, attend son heure, pour envahir la chair et la vide place des mots 74 .

Cette neige (ce sable également) qui hante les poèmes n'est-elle pas la menace de la page blanche75 , parole d'impuissance, espace en attente de sang, comme un paysage intérieur désaccordé... ( Méditant sur "la tombe d'un écrivain", Rabah Belamri écrivait : "ne serions-nous qu'un miroitement d'abîme/qu'une page blanche volée à la mort" 76 ).

Mais il reste vrai que la neige est un signe polyvalent désignant, parmi d'autres, les directions du re-commencement... Comme il n'est pas interdit de supposer que l'écriture incarne le passage de l'érotisme dans l'intellectualité. La parole poétique le résorbe, elle en est, pour ainsi dire, l'expression spirituelle.

Avant de revenir à la violence qui accompagne l'amour, je voudrais signaler que la croix , évoquée quelques lignes plus haut, se profile assez souvent derrière la rencontre amoureuse. Le regard qui se pose sur l'autre est un regard qui l'immobilise, le cloue. Le regard amoureux : mise en croix de l'autre.

Ces lignes de Dib, placées dans la quatrième de couverture de Feu Beau Feu , font entrevoir une conception de l'amour dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas sécurisante : "Là même où l'amour ne ferait pas question, tout resterait à faire et à dire. La prise de possession elle-même n'est rien qu'une porte ouverte sur l'abîme. Au plus invite-t-elle à l'exploration. et c'est alors que l'amour découvre son but. Une exploration dont naturellement il ne voit jamais la fin car plus il poursuit l'image de l'autre, et plus il espère par une impossible conjonction, y distinguer ses propres traits."

Conception qui se résumerait en ces termes : l'amour, porte ouverte sur l'abîme, poursuite sans fin de l'autre, annule l'idée même d'amour.

J'y vois aussi une sorte de narcissisme qui ne se dépasse pas, qui voudrait que l'autre soit à sa propre image. Mais cela s'avère impossible. Cette impossibilité pousserait-elle à ne penser l'amour que par la négativité?

Une envie de ravage

Dib pose la question du mal dans Habel , son roman sans doute le plus réflexif, par la bouche d'Éric Merrain ( alias la Dame de la Merci). Ce mal qui fonde le monde, qui en est une dimension inhérente. Pourquoi le choix de cette voie et quelle en est la finalité?

Ce qu'il formule en termes de généralité, désignant l'humanité, il le resserre à travers une individualité. Habel, en tant que personnage, est porteur de sauvagerie, de folie, de désir de meurtre et d'autodestruction.

Bien sûr, il ne tue personne_ tout est maintenu au niveau du fantasme, de la virtualité , renonce à aller attendre sa mort, renonce à attendre que lui soit délivré le sens de la mort. Il reste qu'il a été traversé, hanté par tout cela.

L'hypothèse est que tout homme est fait de cette part d'ombre, muette, secrète. Tout homme contient en lui une "envie de ravages" 77 . Dans quelle mesure cette envie n'a-t-elle pas percuté l'amour que porte Habel à Lily et réciproquement? N'a-t-il pas voulu sa folie? N'a-t-il pas voulu voir tomber son visage pour voir l'autre et s'en repaître? Ne l'a-t-elle pas, fragile et dangereuse telle Lilith, entraîné sur ses traces, jusqu'à l'asile?

L'écriture aménagerait un espace où cette "envie de ravages" s'énonce et se dépense, à partir duquel s'élabore une réflexion qui la reconnaît et l'endigue dans des territoires fantasmatiques.

Ces derniers seraient l'une des terres d'origine, nourricières de l'amour. Cet amour fait d'instinct, d'excès, de démesure, ayant lien avec ce qui trouble, cette si secouante étrangeté lovée au fond du regard le plus innocemment amoureux... mais chez Dib, nul ne peut se prévaloir de l'état d'innocence.

Une mémoire de violence et de fureur, de rapt, d'enlèvement (mythologie grecque, par exemple) habite l'amour en littérature et en poésie. D'une certaine manière, la poésie de Dib revendique, met à l' œuvre cette mémoire : " guerre qui se débauche et brame"; "forcer l'ouvert et dévaster le gîte/sur une proie enchaînée du regard" 78

Le poète écrit : "ma mine à violence/sois plus belle que jamais/dans le renversement" 79 . Explorant cette mine, il acère sa parole et écrit encore : "au vif de la femme/où se forme la lame/aussitôt instante" 80 ; "où se noue le souffle /l'amour s'abat/plus blanc que la hache/où se noue le souffle/la hache s'abat/plus rouge que l'amour" 81 .

Ces vers, mettant en équivalence l'amour et des "instruments", lame/hache, susceptibles de donner la mort, dressent la scène d'une mise à mort, d'une montée à l'échafaud. De même que se répètent dans le texte les images de l'écartèlement, du renversement : "puis écart puis fourrure/puis fraîcheur puis noirceur/et toute chasse ouverte" 82 .

Le geste de la caresse re-créant-soulignant les places du corps, confirmant son intégrité, sa totalité se métamorphose en geste brutal qui écarte, déchire. Bataille n'est pas loin qui rôde aux alentours : "l'amant ne désagrège pas moins la femme aimée que le sacrificateur sanglant l'homme ou l'animal immolé. La femme dans les mains de celui qui l'assaille est dépossédée de son être. Elle perd, avec sa pudeur, cette ferme barrière qui, la séparant d'autrui, la rendait impénétrable : brusquement, elle s'ouvre à la violence du jeu sexuel..." 83 .

Femme ravie

"ô vestiges de femme/épars sur les vendanges" 84 . Ces "vestiges" , je les entends telles les "ruines" du poète de la jahiliya , d'avant l'Islam. S'en allait la tribu de la femme aimée, à la recherche d'un autre campement, et n'en restait que les traces, les "ruines" sur lesquelles pleurait le poète, "vestiges" de l'aimée... L'incantation "ô" renforcerait l'écho, pour un lecteur averti, d'une poésie arabe ancienne dite "des ruines".

D'un autre côté, "épars" de par sa signification, éparpillement, dispersion, contribue fortement à créer une ambiance de violence. Ambiance amplifiée par l'hypothèse que cela se passe dans un paysage "naturel" : "vendanges" (connotant vignes). Comme une femme découpée, éparpillée sur un extérieur. Mais après tout, ces "vestiges" peuvent n'être qu'une étoffe, un habillement ayant appartenu à une femme qui n'est plus là...

Les images de fragmentation, de démembrement (de saccage) s'imposent plus avec ces autres vers : "quand le repos se démembre/en bref sac d'aine et de gorge sur les branches de la nuit" 85 .

Mais pourquoi ne pas retenir qu'ils transmettent simplement une durée nocturne à l'intérieur de laquelle "le repos" se transforme en son contraire, en activité amoureuse se concentrant sur des parties du corps : "aine" et "gorge"? C'est que, de manière constante, le poète joue à dédoubler la lecture, fait miroiter les facettes dissemblables_ les virtualités_ d'une réalité.

"femme ravie" 86 suggère, magistralement, deux possibilités de situations en faisant résonner dans le qualifiant "ravie" le sens du verbe ravir : femme enlevée. Et l'équivalence se crée d'elle-même : une femme enlevée est une femme ravie (comblée).

Impression de ravissement démentie par ces vers : "il te tient/ mortellement nue / et déjà toute trahie" 87 . L'étreinte : captation mortelle. Le mouvement d'oscillation, allant d'une réalité à une autre, suggérant une signification et son contraire, s'arrête et s'impose alors une image étrange, menaçante.

Les poèmes déplient les images du désordre amoureux. Désordre qui laisse entrevoir l'autre scène, où se passe parfois un événement inouï, de l'ordre de l'indicible. Cette scène se déroule sous le signe de Sade pour qui la jouissance est "comme mise à mort de l'autre" 88 . Cette violence (qui est aussi faite de vitalité, d'énergie, d'exubérance) s'accumulant dans le texte, tumulte, cœur battant d'une écriture, se diffractant et fragmentant le corps de poèmes en poèmes souligne l'ambivalence de la caresse.

La caresse qui déchiffre, ré-écrit le corps aimé, désiré, est aussi saccageante : "...bref sac d'aine et de gorge" . Amour mise à mort, mise à sac.

Est-ce le viol, est-ce l'amour?

Lamour La Fantasia Dans cette perspective, comment ne pas penser irrésistiblement à Assia Djebar qui choisit la grille de l'amour, en son versant le plus violemment charnel, pour reconstituer la prise d'Alger en 1830 dans L'amour la Fantasia ?

L'approchement de la flotte française vers la "ville imprenable" qui doucement "se dévoile", telle une "orientale immobilisée en son mystère" est désigné comme préliminaires érotiques, avant "l'aveuglement d'un coup de foudre mutuel", le mortel corps à corps.

Le trouble s'empare des deux camps adverses, saisis par le plaisir de tuer et de mourir. "Dès ce heurt entre deux peuples, surgit une sorte d'aporie. Est-ce le viol, est-ce l'amour non avoué, vaguement perçu en pulsion coupable, qui laissent errer leurs fantômes dans l'un et l'autre des camps, par-dessus l'enchevêtrement des corps, tout cet été 1830?" (...) "Mais pourquoi, au-dessus des cadavres qui vont pourrir sur les successifs champs de bataille, cette première campagne d'Algérie fait-elle entendre les bruits d'une copulation obscène?"89 .

Approche, possession, affrontement, corps à corps, imprenable (comme le fut Grenade à la veille d'être prise), rencontre, découverte, baiser, palpitation, viol, copulation ont été, entre autres, les termes qui ont servi à la romancière pour décrire la défaite, la mise à genoux d'Alger.

Ici, l'Histoire, événement lourd et massif, aux conséquences incalculables, est rapportée (visualisée) dans son épaisseur, sa corporéité palpitante et sanglante, ô combien insoutenable et troublante. Sensations de jouissance, de vertige, de souffrance submergeant les envahisseurs et les assiégés noués dans l'étreinte tournoyante de l'affrontement. Prescience de la dimension sexuelle de la guerre si forte que l'auteur s'interroge : "L'agha Ibrahim, le gendre du dey, aurait-il superbement négligé la défense, justement pour voir les assaillants s'approcher de plus près? Se croyait-il si sûr de les écraser comme cela eut lieu , les siècles précédents (...). La motivation d'Ibrahim n'aurait-elle pas été plutôt de scruter les adversaires de plus près, de les toucher, de combattre contre eux, au corps à corps, et de mêler ainsi les sangs versés?" 90

Par le choix de ce registre, inattendu, en apparence - il s'agit de la prise d'Alger; ce qui fait, encore une fois vérifier, que les mots de l'amour sont parallèlement ceux du heurt, du choc, de la chasse, de la guerre, de la mort _ la narratrice a tenté d'atteindre le point nodal d'un événement inaugural. La dépossession radicale, l'errance des hommes. Et leurs chants et leurs paroles portant le deuil de la sujétion et de la perte, à nulles autres pareilles...

Quant à la violence dibienne, chair et battements de sa poésie, elle naît en territoire de création où se croisent, se résorbent l'une dans l'autre des réminiscences d'apports culturels diversifiés. Bataille, Leiris, Sade et sans doute El Hallaj chez qui la passion, à son acmé, est désir irrépressible d'immolation du corps.

La part sauvage d'Habel, pour revenir encore à lui, fait accéder son désir de mort (ou celui d'être, de témoigner de sa présence, de sa vie) par la souffrance du corps. Un état qui relèverait d'une condition fondamentale, condition aux résonances christiques.

 Ce corps imaginé

Comme si toute traversée, toute expérience ne pouvaient contourner le corps. Comme si toute parole profonde, faite à la fois d'épaisseur et de densité ainsi que de vide et de vertige (attachante, intrigante, insaisissable) ne se formulait qu'en passant par (sur) le corps.

Ce corps imaginé sur lequel s'exerce cette violence triturante, saccageante n'est-elle pas l'écriture elle-même soumise à l'exigence du dépassement des limites, des extrêmes?

 Un souffle de bête  

Un bestiaire occupe la poésie de Dib. Il est composé de "bête", "louve", "loup"_ très ponctuellement d'"hermine", de "guépard" et tout un ensemble d'oiseaux: "eider", rousserolle", "verdier", "toucan", "aigle", "hirondelle". Si ces derniers peuplent de manière assez notable le monde du poète, les trois premiers cités y ont une place de choix pour le thème qui m'intéresse.

"Bête" est un mot globalisant. Il va signifier puissance et énergie qui vont être, essentiellement, celles de la sexualité : "et torride la bête/toujours afflue " 91 ; "canicule j'en fais ce beau corps/j'y aménage la bête qu'on connaît" 92 .

Il va aider à la transcription de relations érotiques, pivotant entre souffrance et jouissance : "bête léchant ma plaie/qui fut douce et chaude" 93 . Il est parfois le double spécifique du sexe féminin lequel est celui de blessure : "car la bête/peut devenir/une blessure" 94 . D'un recueil à l'autre, bête et femme se rapprochent, sont dans la proximité de l'une et de l'autre : "...l'arôme d'une femme"95 ; "la bête aromatique" 96 .

Particulièrement récurrente dans Feu Beau Feu, paraissant aux détours du texte, du corps, des échanges amoureux, la bête circule entre "neige " et "canicule", mobilise les contraires et accroît les possibilités du dire érotique : "boire une neige /Y fondre une blessure/et s'endormir sur une blancheur pire" 97 .

La présence de la bête dans la poésie de Dib donne quelquefois à cette dernière des accents de légende, de récit fantastique.

Telle une histoire placée sous le signe de la bête et de "ses yeux de légende" 98 et qui avant de se dire se souvient de la recommandation : "mais tu réserveras/une place au loup/dans ce velours blanc"99 . Mais elle rappelle surtout que l'humanité se mêle d'animalité.

Ce rappel renvoie à une songerie sur la sexualité hors sa fonction fécondatrice. Une sexualité rêvée, non entravée par la domestication qu'impose la vie quotidienne, explosion d'énergie, retournée aux sources vives de la nature, de l'animalité.

Songerie et questionnement : comment écrire l'amour, ses chatoiements, ses élans contradictoires, forces de vie et de mort? Car le baiser est morsure, la bouche, le sexe blessures; le mouvement vers l'autre, dissolution. Car aimer est dilapider, atteindre la fêlure...

C'est à un amour de transgression que pense le poète, transgressant les limites, les "bords " , les "alentours" , la "rive" , la "lisière" , les "ornières" ... Un amour qui se partage entre "abus tendre" 100 et "envie de ravages" , maître-d' œuvre de métamorphoses : "qui sans faillir avive/une chair jusqu'au noir" "alors que houille/la neige prend feu" 101 .

 Loups ravissants102

En termes de fréquence, loup et louve sont moins présents que bête. Ils marquent pourtant, l' œuvre poétique et romanesque de leurs empreintes inoubliables.

Feu Beau Feu, réunissant les poèmes où l'amour a une place souveraine est dédié à Louve. Poèmes placés sous le signe d'une louve, à travers laquelle se profile la bête légendaire mais dont le poète n'a pas retenu la fonction nourricière mais ce à qui elle référait, plus concrètement: une prostituée. De cette histoire qui se transforma en mythe, l'auteur en garde le commencement. Une femme d'amour... muée en louve . Puissance érotique, se dépensant, se donnant sans pudeur, librement : "vive louve"103 , "louve en un creux de désir" 104 .

Avec loup, louve partage la signification d'instinct, de santé, de liberté sexuels, attribués à la féminité et à la masculinité. Les amants, louve et loup, se trouvent dans la même fièvre, dans la même faim qu'ils ont l'un de l'autre. Et je me demande si à travers ces désignations, il n'est pas également signifié la force d'attachement unissant le couple dans l'acte d'amour.

Le sommeil d'eve Dans son beau roman Le Sommeil d'Ève 105 , Dib fait le portrait d'une femme, Faïna, qui connaît l'expérience de la folie, de la dépression nerveuse sévère.

Ce basculement dans "l'indiscernable, l'incernable" 106 est métaphorisé en désir de lycanthropie. C'est après son accouchement que résonne en Faïna la voix de la louve : "N'oublie pas, Faïna, que tu t'appelleras louve aussi"107 .

Ce désir de se transformer en autre que soi, de rejoindre un monde autre qu'humain n'est pas seulement le fait de la maladie. Sur le mode poétique, il s'entend tel un chant sourd et lancinant d'une nostalgie immémoriale. Les frontières de la nature humaine sont étroites. L'être aspire à leur descellement pour regagner d'autres natures, animale, végétale. Il garde en lui le souvenir inconscient de grandes étendues neigeuses arpentées lors d'une vie ancienne et imprécise et dont il ne subsisterait qu'un écho, un mal de l'âme.
Mal de l'âme, appel de la folie, "l'autre de la raison", - que le poète désigne parfois par le terme forgé de "louverie" - qui creusent et hantent Faïna.

D'autre part, est réitérée l'idée que l'amour, en soi, est asocial. Son éruption dans la vie sociale - Faïna est mariée, vient d'avoir un enfant - est violente, ébranle les assises de l'ordre, de la normalité.

Telle une louve à la tombée de la nuit, Faïna se met à hurler continûment, appelant Solh (loup) son amour. Sombrant dans la démence, elle est internée pour un moment. Elle ne laisse subsister aucun doute sur son état quand elle "lave" son visage avec son sang.

La vie n'est que mise en distance. Aussi intense qu'il soit, le temps passe sur l'amour, disjoint les amants. Restent les jours emplis de son fantôme, de son manque. C'est sur le thème de la recherche de la forêt, lieu du loup et de la louve (mais aussi de l'enfance, de la fraîcheur, du commencement) que se compose la quête - guidée par la mémoire lumineuse de ce qui fut - de l'un par l'autre. Retrouver la forêt, les traces de Solh pour témoigner de leur amour est le rêve de Faïna. Retrouver la forêt pour rendre Faîna à elle-même - et à lui-même - est le souhait, la décision de Solh.

Tant de fois, l'amour associé à la folie. Solh se pose la question : "L'amour peut-il prêter main forte à la folie?" 108 . Oui, quand l'amour est vol, saccage, ruine de l'une pour enrichir, combler l'autre. Le don absolu appauvrit. Dé-possédé, l'être a recours à la folie. "Mais peut-être est-ce d'autre chose qu'il s'agit "109 . Quand Faïna vient à Solh, elle est déjà porteuse de son néant. La puissance de son amour lui en a - seulement! - révélé l'existence.

L'homme est-il le bien et tout le mal d'une femme?

Faïna finit par guérir grâce à l'aide de Solh. Elle rentre chez elle, retrouve sa vie. Le Sommeil d'Ève bruit de réminiscences d'Habel. Lors de l'une de ses "absences mutiques", Faïna, énigmatiquement, prononce le nom de Lily. L'amour que ressent Solh - comme celui d'Habel - se veut réparation, se sentant responsable du mal de Faïna.

Responsabilité qui l'interroge : "L'homme est-il le bien et tout le mal d'une femme?" 110 .

Cette légende des pays du nord - la femme qui partit, abandonnant tout, époux, enfants, foyer, pour rejoindre le loup - adaptée par Dib permet à ce dernier d'égrener des jalons d'une réflexion sur le sentiment d'amour liant-déliant un homme et une femme :

-Si, par ailleurs, à un moment de l' œuvre de l'auteur, il a été déploré l'impossible conjonction, dans la poursuite amoureuse, des traits de soi avec ceux de l'autre, ici, il est réaffirmé l'impossible fusion et la nécessité de sauvegarder un espace de soi où l'autre ne doit prétendre à nulle place.

-Aimer, recevoir l'amour de l'autre, n'est pas atteindre sa vérité mais le manquer : "Tu n'es jamais celle que je crois à un moment donné"111 .

-Un homme aime une femme. Son amour, il le veut réparation du mal (folie) qui lui est fait. Parce qu'il a attendu et accepté, en toute conscience, son corps et sa raison.

-Une femme se donne, jusqu'à l'extrême d'elle-même, s'éloigne ainsi "des rives vertes du monde" et n'arrive plus à les - se - retrouver.

Après ce don que l'homme accueille avec orgueil et reconnaissance, survient la culpabilité. Aimer n'innocente, n'absout pas.

- Ou bien l'amour serait-il tout, sauf une histoire d'égalité, de partage équitable (?). L'une offrirait plus que l'autre, traversant l'amour telle une épreuve d'où elle ne revient pas indemne.

Un homme est coupable d'avoir trop accepté d'une femme...

-Ou bien encore ce rapport d'un homme à une femme - en poésie, en littérature, en rêve... dévoilant ainsi une injonction secrète (ne t'aimer que folle)... - ne se conçoit que dans le trouble de l'altérité. Une femme - mais qu'est-ce? - ne s'aime que différente, que folle, que louve.

-Faïna-louve, Solh-loup, désir d'asocialité, de largage des amarres, rêve d'exil, racontent qu'il n' y a d'amour que ravageur et dévorateur. Parce qu'il est ainsi, il n'a pas de place durable dans la société. Mais il reste de lui, amour fou, amour loup, comme une tentation du cœur et de la raison, tentation d'"obéissance au chant de perdition" 112 s'élevant dans le revers des jours...

 L'œuvre du loup

De même que loup contribue à enrichir les connotations de la sexualité, à rendre compte de sa force et de sa vitalité, de la qualité des rapports amoureux (faim et voracité), il intervient sur un autre versant. Là où le poète laisserait entrevoir quelque part de lui-même.

Un poème, "l' œuvre du loup" 113 inséré dans Feu Beau Feu retient mon attention :

"ce peu de fatigue

n'apprivoisera-t-il

que la déchirure

aussi incurable

il t'étalera en croix

sur une lampe nue

sauf le regard

où le loup doit venir

chercher son salut"

La volonté des surréalistes (pas seulement eux) était de faire émerger "l'autre voix". Je crois que tout poète authentique s'acharne, consciemment ou non, à faire sortir son autre voix. Cette voix, chez Dib, serait celle du loup, son autre lui-même, toute cette part se muant en écriture, part dévoreuse et violente... Le titre "l' œuvre du loup" sorte d'écho de Dib ( loup traduction de Dib) renvoie à la production du poète et de l'écrivain . Comme si le poète ayant déroulé son écriture - sa "louverie" - vidé, saccagé, retournait à une fragilité, à une solitude premières et ne devait son salut qu'au regard d'une femme .

Au-delà de leur symbolique fortement érotique, loup et louve se situent dans les contrées les plus enfouies et les plus personnelles d'une intériorité. Ils ont tenté de dire une expérience qui manque de mots pour être transmise : la séparation d'avec soi, d'avec le monde, la perte. Que le nom Dib résonne avec le mot loup suggère peut-être une écoute particulière de cette perte par le poète. La folie d'une femme, l'attention aimante et coupable d'un homme est une thématique au moins deux fois présente dans deux textes majeurs de l'auteur : HABEL (1977), LE SOMMEIL D'EVE (1989). Comme un événement marquant d' un sceau décisif le cours d'une écriture.

Est-ce la condition même de l'amour, la seule, la véritable? Les amants n'ont pas fini de se trouver qu'ils se perdent. Séparés, ils restent hantés, l'un par l'autre. C'est l'image de la recherche des traces du loup et de la louve qui illustre cette hantise.

Avant de quitter ces "loups ravissants", recours pour écrire l'amour, la folie, il me semble qu'à partir du lieu qui est le sien, le poète interroge les origines du mental, de l'imaginaire.

À size="3"> quelle mémoire perdue dans le temps est liée la fracturation de l' être, de quel univers survient l'insondable de la démence? De quoi, par quoi sommes-nous faits, quels commencements de l'humanité et de l'animalité nous habitent, du côté de nos mémoire, nos imaginations, nos parts invisibles qui nous constituent?

" Au lieu où la chasse flambe"

Le motif de la chasse qui se ramifie à travers le texte aménage un lieu paroxystique où s'exprime, se lit l'amour en son étape la plus contradictoire, la plus outrancière : "la meute qu'on démembre/la meute à pleins bras" 114 .

L'instinct sexuel est d'abord considéré comme une énergie formidable que les mots de "hordes" et de "meute" seraient susceptibles de signifier . Une énergie hors culture qui a lien avec une sorte d'archaïsme, de sauvagerie, de brutalité originelles. Qui est là, latente " cœur aiguisé/mais toujours antre/pour hordes assoupies" 115 _ en attente d'expression.

L'érotisme que formule la poésie de Dib procède de cet instinct . Les relations qui se nouent sont alors celles qui expérimentent toutes les possibilités.

Repère de la cible : "au lieu où la chasse flambe" 116 , poursuite et captation de la proie : "forcer l'ouvert et dévaster le gîte/sur une proie enchaînée du regard"117 et déchaînement de brutalité, de douceur, de cruauté, et de tendresse mêlées: "mais entre tes seuls seins et bras/tes seules meutes d'innocence/seuls halliers blondis par les cors" 118 .

Les gestes, les regards deviennent langage de chasse : "où/chassent/à courre/tes yeux"119 . Halètement et cris sont clameur et brame. Et au bout de la capture, la consommation : "courbe d'adoration sur la langue/dont ton corps s'entoure et s'encoche" 120 ; "et recrue la même/se dégrafe en corps/s'écoule en chaleur"121 ; "se consomme par gestes/en de secrètes curées" 122 ; "comme je sais/l'écouler en caresse/ensuite l'user"123 ; "au confluent des jambes/bête écoulée du corps" 124 .

Poursuivre, saisir la femme désirée, la dévorer, la boire, l'user, l'écouler, la faire fondre, la faire accéder à "la joie suppliciante" 125 .

Dans cet érotisme calcinant et liquéfiant, les contraires se côtoient, s'effleurent, s'entrelacent. Il arrive que cet entrelacement devienne si fort qu'il en broie la frontière si fine séparant la vie et la mort.

Cet amour de chasse_ pour dire d'abord sa violente vitalité, sensualité_ où l'étreinte dérive vers l'enchaînement joue certainement avec le danger, la terreur : "et renouveler la solution du poignard/et jamais épuisée d'une main légère/abandonner ta chemise sur le sable" 126 ; "et toison roulant les membres/dans sa massive fraîcheur/la vague consentante de la mort" 127

Amour inquiétant, longeant au plus près quelque chose d'indicible. Lorsque les mains sont "réservées au pire" , "à l'heure/où la mort se fait/vive tanière" 128 . Moment de jonction, d'affrontement, de révélation où s'entrecroisent sincérité et mensonge, fidélité et trahison.

Dans quelle mesure aimer l'autre ne tend-il pas exactement à le traquer, à le prendre pour le soumettre? Dans cette optique, le choix du motif de la chasse serait un moyen de rendre compte de cette dimension de l'amour. "Aimer, ce n'est surtout pas échanger, offrir, écouter, compatir, comprendre. Au contraire. C'est vouloir tuer, vouloir mourir, vouloir se suicider. C'est furtif, secret, criminel, absolu, marginal"129 . Quelle serait la finalité de la chasse si ce n'est la mort?

Bien sûr, par elle s'énonce le goût des relations où s'échangent plaisir et souffrance à la limite du supportable, comme se situant au bord de l'extrême : la folie, la mort; par elle, également, se déclare la faillite de la traque-quête.

Qu'est-ce qui se joue dans l'amour? Sur quel sens devrait-il aboutir (échouer?) quand s'imposent, après les caresses, vague après vague, les mots de "pillage" , "défaite" , "pillerie" ?

Thanathéros

De texte en texte, l'écriture s'étire, s'enroule, creuse, explore-épuise les suggestions sémantiques de l'amour. Selon ses formes d'apparition, les métaphores qu'il traverse et dépasse.

Creusement et profondeur. Surface - "ô douceur ô surface ô pardon" 130 - et glissement. Métamorphose radicale. Excès, inanité. Mise en images avec l'eau, la mer, la neige, le givre; avec la terre, le feu, la chaleur, les minéraux, le végétal; l'animalité...

Écrire, nommer l'amour : "omnéros" , "thanathéros" , "noir éros" ...

...  des choses qui se nomment et ne se nomment pas et c'est la femme

S'égrènent au fil des textes, surtout dans Omneros , des titres ayant en dénominateur commun le mot femme : "comble de femme" , "ère de femme" , "liquidité de femme" , "lieu de femme" , "lenteur de femme" , "extension de femme", "détour de femme" ... . Des poèmes sont parsemées d'expressions qualifiant, désignant femme : "une femme lente" ; "femme déjà buissonneuse" ; "femme en exode" ...

Célébration qui fait d'une femme une présence inhérente au temps, à la durée, l'espace, comme mêlée à la matière même de l'existence, de l'univers. Charnelle, tactile, odorante et abstraite. Se trouvant à la source du déploiement de l'écriture. Symbole non résolu du monde auquel l'être se heurte et se mesure. Lieu sur lequel se cristallisent l'aspiration au salut et le désir de perte, de dissolution. Aurore et crépuscule. En elle se croisent les contraires, se trame le crime. Réceptacle du nommé et de l'innommé, là où la parole poétique s'aventure, tendue vers la saisie du silence mais aussi du cri, du balbutiement, de "la parole gangrenée" 131

Elle est surtout fascination, mystère, malgré toutes les tentatives d'élucidation. Dans Formulaires, plus précisément dans la partie intitulée "les pouvoirs" , elle est "la femme qui regarde la mer", crainte par "les marins" , celle qui les entraînerait, sans espoir de retour, vers un inconnu sans halte, sans repères. Mais une voix (celle du poète?) leur enjoint : "traitez la comme l'un de vous" et "ils partirent jamais traversée ne fut plus fabuleuse on ne surprit pas le moindre désir de retourner à terre chez le dernier des mousses la terre ne laissa pas trace d'un souvenir dans leur mémoire le temps demeura fixement au beau la femme se révéla meilleur marin qu'eux tous réunis et meilleur capitaine que tous les capitaines renommés sans qu'une seule man œuvre fût accomplie le bateau lui obéissait pour une fois des marins connurent le repos la joie de vivre" 132 .

Femme fabuleuse, conduisant la traversée maritime, faisant oublier aux marins jusqu'à la mémoire de la terre! En toute confiance, ils se laissent mener, connaissent enfin le bonheur des mains de cette femme qu'ils avaient crainte. Passage irradiant l'apaisement, une lumière. Cependant, il se profile derrière cette image de perfection, de complétude quelqu'un qui ressemblerait à une redoutable séductrice (Lilith?) qui entraîne les hommes, et les rend amnésiques, dans une traversée sans espoir de retour. La magicienne bénéfique suppose la magicienne maléfique. La femme qui comble, la femme qui perd. Et c'est peut-être aussi, dans ce rapport oscillatoire, que se tisse la vision d'une femme. Une vision ambivalente, problématique. Mais la contradiction, sa non résolution, doivent être le moteur de l'écriture.

L'héritage à fruits

Aussi vital que l'eau, aussi mortel que "la lame" , que "la hache" (qui) s'abat" - "...écrire comme on tue, avec une hache pour fendre la glace du lac gelé qui est au cœur des hommes" 133 - aussi nécessaire que la mémoire, l'amour est au cœur de la poésie de Dib, sombre et fastueux.

Cette poésie qui malgré la tourmente qui l'habite, malgré la part d'ombre qui semble parfois la dévorer ne s'interdit pas de dire oui à la vie. ""Car si le mal est profond, plus profonde encore est la joie". J'interprète cette interpellation (Nietzsche) de la manière suivante: la joie consiste en une approbation de l'existence même si celle-ci est tenue pour tragique. Cette joie est donc paradoxale, comme l'a souligné Clément Rosset, mais pas illusoire. Elle part d'une connaissance du pire, de chocs initiaux, sans pour autant refuser le chant de l'affirmation, le chant du oui." 134.

Il existe donc un espace où cette acceptation se réalise par l'amour, du côté de sa luminosité, de sa saveur. Donnant consistance, densité aux jours, goût, senteur et bruissement : "la saison qui croît ardemment/et se fend de désir" ; "...la convoitise du jour" ; "l'arc du bonheur enjambe/une femme aromatique/la source en-dessous/chante la dernière neige" ; "capturer la source fertile/sous une moisson de cris/sous une moisson de cils..." ; et ce si beau vers : "un bois de femmes bruit dans le jour" 135.

Le désir s'ajustant à la nature, aux saisons, participant à une vie ardente plus large, plus englobante, témoignant d'une sensualité gourmande.

Un désir mûrissant et se fendant tel un fruit sous le soleil chaud et qui fait que l'amour est désirable (mais chez Dib, en amour, la lacération, l'enfer sont désirants, désirables!), délectable, éloigné de ses forces saccageantes.

Si l'amour est un féroce rapports de forces , dans la plus ineffable jouissance, quand l'un est proie, l'autre chasseur; si l'amour est "art d'agonie" 136 qui "diffère une agonie"137 , c'est que la violence en écriture, violence d'amour, serait aussi une tentative (peut-être vaine) d'accéder au plus humain, au plus brûlant, au plus tendre de la relation à l'autre?

Casser, saccager, abattre par la hache, le couteau de l'écriture tout ce qui fait obstacle pour accéder à l'autre, dans son altérité propre.

Cette posture de l'écriture, placée constamment au bord de la mort, de ce qui détruit, ce qui fragilise ne relève pas d'un quelconque culte de la négativité.

La vie est là qui affiche , chaque jour qui passe, cette proximité, souvent insoutenable, invivable. Et je subodore que l'écriture tente d'affronter cette ambivalence. En se l'appropriant, en la transformant en moyen de fonctionnement, en objet de réflexion : pourquoi ce détour par les décombres? Pour tendre vers quoi? A force de se déployer, de se dévider, l'écriture atteindra peut-être un jour un cap, une réponse. N'oublions pas tout de même qu'en tout premier lieu, elle est témoignage de la vie.

Et "l' œuvre du loup", par certains aspects, se situe dans la lignée de la "légende". Celle qui ajuste l'acte d'amour au rythme vaste du temps. Aube première. Embrasement et re-commencement du monde.

Poésie aux résonances éluardiennes quand l'amour d'une femme est reconnu en tant que viatique, nécessité : "vivre devant toi d'étonnement/mon devenir témoignant de ton passage/sans rébellion et sans intolérance" "et que cette fièvre de lumière/touche le vraiment vivant que je suis" 138 . Ne dérogeant pas à la grande tradition où une femme est inspiratrice et intercesseur. Grâce à qui une partie de l'énigme du monde s'éclaire.

Catalysant l'écriture, elle est : "femme raffolée à vie/dans toutes mes appartenances/et mes réserves diurnes" 139 .

L'amour reste encore à réinventer. J'écoute l'annonce du poète : "terre prochaine/l'héritage à fruits/l'amour sans feinte" 140 . Cet héritage, je le comprends, le reçois comme la transmission d'une volonté. Volonté de transmettre un univers, un relais allant du poète aux lecteurs.

Relais d'amour, fécondant, activant des écritures souterraines, des écritures à venir.

© Soumya Ammar Khodja

Besançon-Paris, octobre 1998.

Choix de poèmes141 Mohammed Dib

Dormante 

la table la familiarité du pain
la parole approchée des choses
la tranquille résolution du jour
et enchâssé dans un crépi de feu
l'amour envisageant la patience
énigme de ce calme prolongé

l'aube d'une fureur blanche
la folle grenure de ton ventre
et toison roulant les membres
dans sa massive fraîcheur

la vague consentante de la mort

Louange

entre tes deux mains enfermer
cette ligne de fuite luisante
ce lointain mâchonnement d'amertume

prière comme un goût de sauge
courbe d'adoration sur la langue
dont ton corps s'entoure et s'encoche

L'ombrage de l'éclair

entre ton ventre et tes jambes
sculpter dans la poussière jaune

l'amnésie d'août
son immobilité altérée

sa blondeur carnivore
ses fureurs légères et noires

sa calcination dans la brièveté

Les exploits du corps

la douceur renversée
dans le halage des yeux

le fil de l'éclair rusé
sortant de la bouche

l'enjeu brillant de la candeur
et résolution plus blanche

ta frileuse ta novice densité
tranchée à la limite de l'air

et ce jour plus avide dressé
auquel tu sers de devoir à remplir

de tes seules mains de ta seule gorge
et du dessin exagéré de tes yeux


ton corps brutal et proche où se distancer

Liquidité de femme

la femme qui avance
quand la mer recule
la menteuse mer

mesurée
ajustée à l'horizon
dissipée

la mer qui avance
à grand renfort de jour
quand la femme recule

 Aenigma

déchireuse
qui parcourt un chemin de baisers

soudain fraîcheur
qui s'enroule de hanches effaçables

soudain tour
qui accumule le bruit du cœur

braise
qui dédie sa mort à l'extrême de telles berges

qui réitère
soudain endormeuse d'un carénage

 Corps à cris

louve en un creux de désir
toute entre ces bras recluse
qui ne cesse d'user d'ongles

plaintes aux lointaines urgences
toute d'une conque éprise
qui ne cesse de s'étendre

ombreuse ombelle aux lisières
qui ne prend pour protection
qu'une chaleur d'incendie

De forlonge

mais entre tout ce qui chasse
et conduit l'instance
avec fusils clameurs hallalis

la fable sait elle
où le corps de la dormeuse
s'achève dans un souffle

 Prima solutio

inscris-toi en risées à vau-l'air
ô douceur ô surface ô pardon

quand rumeur tu touches à la fin
au repos sur une seule feuille

et mort futile échoues en dormeuse
apprivoisant la neige d'un corps

 Secunda solutio

ô corps épousé par une rade
et douceur et surface et pardon

perds-toi comme sur une ride sur l'eau
et mort futile échoues en dormeuse

quand rumeur tu touches à la fin
au repos sur une seule vague

 Bête courable

elle se déperd réinvente
dans l'étoffe de l'écartement
s'amasse en aphonie de conque

elle insinue dans la légende
la rôdeuse bouche muette
y boit comme un souffle de bête

corps qui repose dans un corps
ancre une fatigable fin
y trame délai patience

Figure ouvrante

femme plus que patience
plus qu'étiage de hanches
ou forge à travers une aire

plus que vaste et vaine flore
gaspillée sur l'incendie
ou couronne de fraîcheur

et plus que saison au ban
soudain avancée en roue
et démantelée en gestes

Vive plus avant

je m'habille
seulement de seins
d'épaules de hanches

blanc cataclysme
j'abreuve en moi la bête
fauve et tranquille

je l'use de même
bouche contre bouche
et en fais une eau

ni geste ni parole
encore moins le regard
moins la fable

sauf la bête
qui me garde au centre
et lessive à grand feu

Nu au paysage

je n'irai frayer
que chaumes à foison
par une route à moi

et rouler que murmures
pour calmer au fond
une envie de rivière

durement la gorge
minée de cris
j'y ferai mon lit

puis eau couvrante
je borderai de hanches
ces conques où mourir

et polirai à l'orée
les seins à auréoles

Usage de paix

maintenant
le chardon se dés œuvre
sur ton ventre

ressui tout exploré
mais trappe aussi
pour bêtes à cris

la convoitise
d'une résine pleure
à la décousure des jambes

distance ouverte
mais piège à peine
pour toute une mort

avec la pâleur
d'un ciel à genoux
ta main repose

Autrement dit

car la bête
peut devenir
une blessure

on peut
mourir aussi
sur ses bords

n'y boire
que douceur
sans crainte

se gorger
simplement
de silence

l'ordre muet

se nomme jusqu'à moi
orage flammé d'iris
promène ses bras nus

rade en randonnée
prodigue ses algues
aux retraits délictueux

écartement d'une bouche
s'échoue sur sa proie
appelant toute l'ouverture

gravitation sédentaire

vogue
soudain la liberté
sur le sein retrouvé

tourne en ailes
la patience d'une ogive
sur l'aine étendue

l'espérance atteint
deux fois un baiser d'eau
en découvrant les yeux

l'arbre se déshabille
et ne croit adorer que
cette transparence

Faire noir

quand il m'eut sûrement
gagnée contre la lenteur

quand il eut plus enfreint
plus mis ma nudité à nu

quand il l'eut prolongée
au-delà de toute mesure

bête léchant ma plaie
qui fut douce et chaude

m'étant écoulée dessus
pour ne plus me relever

quand j'eus recouvert
tout mon mal de cette eau

Quand soleil au centre
je ne fus que fonte autour

plus pur sceau

rompue sur moi en arbre
noue bras cuisses et lèvres

et m'aimant verdis tant
que tous oiseaux me chargent

prends forme sur la croix
pour aveugler ce dieu

mais perds ton sang d'envie
pour lui peindre une plaie

fourche où cloué de face
j'attends la fin du monde

corps pénétrant et porte
où je veux qu'on me laisse

 sein d'elle

guépard en toi
le pire affouille

membre à membre
te polit de même

de toi en moi
s'implante de même

et plus n'aura
qu'à assouvir

Fondation d'amour

je suis celle qui
sur deux versants
aussitôt s'écartèle

celle d'une bouche
qui monte en regard
et se sait trop douce

et pour s'allonger
traque une blancheur
d'un coup plaintive

émergeant du bas
bête toute qui remue
la nuit autour d'elle

Bouche d'elle

tu auras rivé ta prise
sur ma harde ombreuse

tu auras dérouté
la clameur vers les yeux

et encore trouvé
ton chemin d'ingérence

la bouche qui cherche
l'espace d'une bouche

tout ce qui soumission
te consomme et te nie

cette caresse en route
son invasion de fourrure

Intaille

l'abîme à vif
l'abîme à force

gisement seul
de paix aggravé

hanches naïves
l'espace au féminin

et sous un poids
d'adoration seule

la tendresse
à gagner à perdre

Les instances du désir

le regard
son effusion
les genoux votifs

le sourire
follement est là
en bout de parole

la patience
aussi paisible
que l'air

et nommant
soudain pour soi
l'incurable espoir

l'attente
la convoitise
de l'oiseau nocturne

L'urgence du nom

le signe o
Vive où s'enfauve le secret
et toute la neige

viennent les hanches
tant qu'elles choient une fourrure
pour son effusion de chaleur

et la lèvre après
proposer comme un recours
l'eau le vent

tu auras déclaré
l'invisible sauf
a t'en couvrir les seins

Les armes du jour

le souffle à l'horizon
la répartition d'un corps

harde émancipée
sur les frontières

l'autre chose
lessivée à pleines mains

et encore chaude
l'agonie d'une dormeuse

Les marches de la mer

rien ne sera dit
porté par désir
jusqu'aux lèvres

ce murmure
plus monte la marée
sonne l'hallali

mêmes hanches mêmes reins
vague au bout de son errance
vive à vanner

ô rivages pour abus tendres
et la main première conviée
d'un vœu à tirer ce feu

Perdue revenue

un bruit de femme
à mi-chemin arrêté
et rien

ses yeux d'iode
ses paumes lisses
l'eau

long déluge
lente agonie
écoute

de marche en marche
la lumière
monte

L'acte d'adoration

prémices les entours
les lèvres partagées
sur le noyau humide

l'abandon au vif
c'est le sang reconnu
la rumeur en plus

et encore les plaintes
leur soif leur recul
le naufrage au bout

et azurant la nuit
en pure perte ces torchères
plus fait le feu

Présent écrit

vous êtes ombres
dans les coins

vous touchez
sans faire mal

vous parlez
noir et blanc

et vous n'êtes pas
ni vu ni connu

c'est Vive qui
monte l'escalier

soudain il
fait très clair

1Première édition, Gallimard, 2ème édition, Sindbad, 1984.

2L'enfant-Jazz aux Éditions de La Différence, Paris, 1998; la publication prochaine de Le Cœur Insulaire est annoncé chez le même éditeur.

3 Valéry .

4Le Seuil, 1979.

5Lionel Bourg, "De l'esthétique à l'éthique", article dans dossier "Questions de Poésie", Revue Sud, 1997.

6Marie-Claire Banquart, idem.

7Cf. notamment dans Feu Beau Feu, derniers poèmes.

8Marie-Claire Banquart, op. cit.

9 Renaud Ego, Revue Esprit, janvier 1998 .

10 Omneros, p.22.

11 Omneros

12"mon nom/je le dirai/s'il était à moi" Feu Beau Feu.

13 Idem, p.95

14 Formulaires, p.103.

15 Id., p.76.

16Ibidem, p.97.

17 pp.75-107.

18Formulaires, p. 75.

19 Ibidem, p.93.

20dans Habel, Seuil, 1977.

21 Omneros, p.145.

22Formulaires, p.77.

23 O Vive, p.124.

24Idem.

25 L'aube Ismaël, p.48.

26Habel, p.180.

27 Meschonnic, article "Oralité, clarté de Mallarmé" dans Dossier MALLARME, Revue Europe, janv-fév.1998.

28Francis Marmande, article "Au-delà des morts et des mots", Quotidien Le Monde, juin 1997.

29 Formulaires, p.82.

30Feu Beau Feu, p.42.

31 Idem, p.73.

32Formulaires, p.48.

33 Feu Beau Feu, dans l'ordre de transcription, pp.126, 43, 71, 62.

34Histoires d'amour, Denoël, 1983.

35 L'amour, La Fantasia, J-C Lattès/ENAL, 1985, p.253.

36Habel, p.138.

37 Idem, pp.167-168.

38Habel, par ordre de transcription, pp.144, 21.

39 Idem, p. 84.

40Ibid., p.144.

41 Ibid., p.100.

42Ibid., p. 161.

43 Habel, p.161.

44Idem.

45 Dernières lignes du roman.

46Habel, p.49.

47 Idem, p.131.

48D'une chanson raï chantée par le groupe algérien Raïna Raï.

49 Quatrains, Éditions Mille et une Nuits, 1995. J'ajouterai encore ces quelques lignes de Pascal Quignard dans VIE SECRETE : "Achille Tatius, dans son roman LUCIPPE ET CLITOPHON (I, XI, 4) affirme de façon très crue que l'union des yeux est plus étreignante que le coït : c'est la définition érotique de la fascination. Clinias affirme qu'a lieu dans la vision amoureuse une symploké plus impliquante que la mixis des corps."

50Kristéva, op. cit.

51 O Vive, par ordre de transcription, pp. 15, 77, 117.

52"Valéry a comparé la prose à la marche et la poésie à la danse", Octavio Paz dans L'ARC ET LA LYRE, Gallimard, 1965.

53 Formulaires, p.46.

54Feu Beau Feu, par ordre de transcription, p.21, 53.

55 Idem, p.70.

56Ibidem., pp., par ordre de transcription, 60, 61, 17.

57 Formulaires, pp., par ordre de transcription, 40, 53.

58"De l'Amour et des Arabes", Revue Quantara, déjà citée.

59 Seuil, 1962.

60p.27.

61 Omneros, p.71.

62Feu Beau Feu, p.124.

63 O Vive, p.43.

64Formulaires, p.45.

65 Feu Beau Feu, p.57.

66Idem. p, 72.

67 Ibid. p, 40.

68Pascal Quignard.

69 Habel, p.129.

70Feu Beau Feu, p.61.

71 Feu Beau Feu, p.80.

72Omneros, p.101.

73 Idem, p.101.

74Ibid.

75 "... page où rien ne peut s'inscrire, visible par son seul effacement", Dib, Le sommeil d'Ève.

76Corps Seul, poèmes, Gallimard, 1998, p.43.

77 Feu Beau Feu, p.62.

78Omneros, p.p., par ordre de transcription, 13, 43.

79 Feu Beau Feu, p.71.

80O Vive, p.53.

81 Formulaires, p.44.

82Omneros, p.40.

83 dans L'érotisme, Éditions de Minuit, Paris, 1957.

84Omneros, p.136.

85 Id.p.66.

86Ibid.p.99.

87 O Vive, p.64.

88Kristéva, op. cit.

89 p.29.

90p.26.

91 O Vive, p.116.

92Feu Beau Feu, p.85.

93 Id.p.70.

94Ibid.

95 Omneros, p.39.

96O Vive, p.97.

97 Omneros, p.61.

98O Vive, P.29.

99 Id.,p.18.

100Ibid., p.55.

101 Feu Beau Feu, p.p., par ordre de transcription, 74, 156.

102J'ai emprunté cette belle expression à l'Évangile selon Saint Mathieu : "Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous couverts comme des brebis, et qui au-dedans sont des loups ravissants."

103 O Vive, p.85.

104Omneros, p.59.

105 Éditions Sindbad, Paris, 1989.

106Le Sommeil d'Ève, p.87.

107 Idem, p.29.

108Ibidem, p.153.

109 Ibid.

110Ibid., p.156.

111 Ibid., p.218.

112Pascal Quignard, op. déjà cit., p.238.

113 p.77.

114Id., p.38.

115 Ibid., p.43.

116Ibid., p.50.

117 Omneros, p.43.

118Id., p.13.

119 Formulaires, p.67.

120Id., p.39.

121 Feu Beau Feu, p.56.

122Id., p.60.

123 Ibid., p.108.

124Ibid., p.112.

125 Bataille dans Histoire de l'œil, 1928.

126Formulaires, p.66.

127 Id., p.25.

128Feu Beau Feu, p.79.

129 Nancy Huston.

130Omneros, p.74.

131 Octavio Paz dans L'ARC ET LA LYRE, Gallimard, 1965.

132Formulaires, p.88.

133 Michèle Manceaux.

134Lionel Bourg, op. cit.

135 Formulaires, pp., par ordre de transcription, 12, 15, 20, 29, 32.

136Idem, p.66.

137 Omneros, p.133.

138Formulaires, p.48.

139 Id., p.105.

140Ibid., Feu Beau Feu, p;128.

141 De "Dormante unité" à "Les exploits du corps", les poèmes sont extraits de Formulaires. De "Liquidité de femme" à "Figure ouvrante", poèmes d'Omneros. De "Vive plus avant" à "Bouche d'elle", poèmes de Feu Beau Feu. D' "Intaille" à "Présent écrit", poèmes d' O Vive.