Mardi 2 janvier
Passé noël chez frère
et belle-sœur. Jours sympas. Nouvel an chez Assia.
Lu et relis Vous, Marguerite
Yourcenar, La passion et ses masques, Laffont, 1995.
Mercredi 3 janvier
Lis pour la conférence du 8 janvier, Cher Cahier..., Témoignages sur le journal personnel, recueillis et présentés par Philippe Lejeune. Très intéressant, esquissant des pistes riches et complexes.
17 janvier
Émission télé : « Les ¾ du contingent pouvaient torturer. Profond racisme. La torture, liée au rapport colonial » Vidal-Naquet. « La conquête, une ignominie » René Vautier. Des titres : On a torturé en Algérie. La vraie histoire des appelés en Algérie de Jean-Pierre Vittori, ancien appelé, journaliste.
Dimanche
Émission sur la 5 : Les
patrons
sous Vichy. Être là, durer et préserver.
Cette phrase de Pollac : « Tous
les livres que je reçois sont comme des projectiles qu'on
m'envoie à la tête pour me dissuader d'écrire »
Ai vu un thème sur les gardes du
corps, un reportage en Irak autour, notamment, d'un personnage,
Kifah. Poignant.
Mardi
Kifah qui n'est pas vraiment
un
garde-du-corps mais une sorte d'accompagnateur de
« visiteurs »
étrangers, les journalistes, en l'occurrence. Parlant anglais
et un peu allemand. Ce travail, il le faisait comme en extra, car il
faut bien manger.
Un homme à la force de l'âge qui se
coltine une guerre, une puissance mondiale et un dictateur. C'est
trop pour un seul homme!
Le constat qu'il fait sur lui-même
est terrible et fait mal au cœur. J'ai toujours du mal à
écouter des adultes réduits à moins que rien. Je
n'ai rien fait de ma vie, n'ai ni femme ni enfant, dit-il en
substance. Il avait rêvé de voyager, de visiter les
grandes villes du monde et la vie l'a cloué sur place, le
réduisant à vendre ses meubles pour survivre, à
rechercher du travail rien que pour manger. Son combat : rester en
vie. Brun, sympathique, un air de supplicié, de la bonté
et beaucoup de tristesse dans les yeux. Un homme défait, que
la vie malmène, appauvrit. Bonne chance, malgré tout,
mon cher Kifah.
Travaille en ce moment sur le journal
de Flora Tristan. Commence à en saisir les points, les traits
forts. Flora, figure incontournable du socialisme et du féminisme.
Ce que j'en retiens : son statut de différence, de singularité
-de paria qu'elle revendique comme « une vocation et un
honneur ». C'est dans cette direction que je voudrais
travailler, pour les autres journaux personnels. Ces femmes qui
figurent la marginalité, la différence selon les
contextes auxquels elles renvoient. Faire ressortir l'état des
lieux de chacune. Origines familiales. Illégitimité de
la naissance. Bâtardise. Voyages.
Lis aussi le journal de Pollac.
Jeudi 1er février
Ecouté à la télé : « Je suis venue voir Aïcha El Bahria (une sainte, au Maroc) pour ne plus rester la même :la femme qui n'a pas de chance, de travail, de mari »
Samedi 3 février
J'écris avec un stylo à
plume neuf, économique, acheté à ma demande par
le shérif.
La fonction de la main tendue et du
remboursement, telle serait la fonction de la littérature!
Cette romancière dit qu'elle a été une grande
lectrice, qu'elle a lu des livres par milliers. Elle a donc une dette
envers la littérature. Quand elle écrit, elle
rembourse. Car des phrases d'écrivains l'ont aidée à
vivre, à être moins seule. Son souhait est que des
lecteurs trouvent dans son roman ou dans ses autres livres des
phrases qui les aident à être moins seuls...
Mercredi 7 février
La plume de stylo se bonifie
à
l'usage. Demain, veille de ma conférence/récital sur
Prévert à Lure. Serai accompagnée par le shérif.
J'espère que cela ira. Il faut que cela aille.
N'ai pas encore terminé mon
recueil de nouvelles. Travaille sur la dernière. Je dois
trouver une semaine où je devrais la terminer, non seulement
la nouvelle mais tout le recueil. Parallèlement, dois penser à
continuer, fignoler mon article sur Flora Tristan pour la fin de
mars. Quant aux conférences sur les journaux intimes de
femmes, j'ai déjà présenté ceux de
Virginia Woolf, de Flora, de Sophie Tolstoï. La prochaine conf.
concernera celui d'Isabelle Eberhardt. Je la commencerai dans le
train.
9 février
Départ pour Marseille. Pour participer au Jury du Concours de nouvelles organisé par Forum Femmes Méditerranée. Mitigé. Quelques contacts humains très sympas.
Jeudi
Maman est venue hier. C'est
bien. You
est heureux. Il le dit souvent. Profiter de la présence des
autres.
Mon travail : j'avance bien sur la
dernière nouvelle du recueil. J'espère qu'elle va
se tenir de bout en bout. Je ne l'ai pas encore terminée.
J'arrive à la « fin » qui doit être
consistante, forte. Hélène serait sculptrice. C'est
elle qui a tout fait pour que Nabil et Djoher viennent en France. Et
les enfants?
Relire absolument Loups ravissants.
Mardi 6 mars
Ai bouclé hier le cycle de conférences sur les journaux de femmes. Étais un peu triste mais aussi assez soulagée. Avons pris notre pot habituel, Bernadette, Rachel et moi-même.
Mercredi 7 mars
Ai travaillé, plutôt péniblement sur l'ordinateur Loups ravissants. Je crois qu'il est enfin terminé. Prévoir un préambule : dire pourquoi cette étude sur la poésie de Mohammed Dib. En hommage, en tendresse.
Vendredi 9 mars
Ai vu avec le Shérif La
saison des hommes de Moufida Tlatli. Il est clair que Les
silences du palais, son autre film, était plus
rigoureusement mené.
Dans La saison, les longueurs
alourdissent le rythme. Mais des moments forts pour exprimer la
claustration, la solitude, la prise au piège des femmes.
Mercredi 13 mars
Je viens de recevoir les n°5/6 de la revue « Étoiles d'encre » : Entre chienne et louve. Mon texte sur mon père : « Ombre ou néant, je pense à toi »y figure.
Mercredi 21 mars
Mets au net ma communication sur Flora Tristan.
Lundi 26 mars
« J'ai besoin des
autres
pour vivre. Tout seul, je ne m'intéresse pas » :
Phrase saisie au vol, d'une émission sur la prison. Propos de
quelqu'un qui a fait au total une vingtaine d'années de
prison, pas d'une seule traite.
Am a une amie de lycée dont le
père vient de se pendre dans la cave de leur maison pour
harcèlement professionnel. Ne connais pas cette amie mais suis
remuée, secouée. Pense à l'épouse. Ai écrit cette lettre que je ne lui
enverrai pas :
« Madame, je ne vous connais
pas mais comme je voudrais vous prendre dans mes bras. Je sais que je
ne peux rien et votre malheur me révolte. Qu'est-ce que cette
existence où le compagnon d'une vie quitte les siens de cette
façon, si atteint par son mal, sa solitude qu'il n'envisage
pas la souffrance qu'il va infliger à ceux qu'il aime?
Qu'est-ce que ce monde du travail qui pousse les hommes dans leurs
derniers retranchements? Qu'est-ce que cette psychiatrie qui ne voit
pas que l'homme est atteint à en mourir et qui le lâche
dans la nature?
C'est ainsi. Vous n'êtes pas
seule. Vous avez vos enfants qui ont tant besoin de vous comme vous
avez tant besoin d'eux. Les enfants nous soutiennent dans
l'adversité sans qu'ils le sachent. L'amour qu'ils donnent et
reçoivent est l'antidote du malheur. Comptez sur cet amour.
Vous êtes la mère d'une
amie de ma fille et vous vivez une épreuve indicible. Je
voudrais vous dire... je suis là... Si vous aviez besoin... »
Mercredi 26
Dans le TGV Besançon-Paris.
En
route pour les deux journées d'études « Portraits
de femmes ». Ai relu ma communication « Variations
pour Flora Tristan, paria, féministe, prêcheuse de
l'Union ouvrière »
Relisant, j'ai rajouté ici et là
des détails, un supplément d'informations... des
aspects qui me semblent évidents ne le seront pas pour ceux
qui ne la connaissent pas ou si peu.
Pas loin d'arriver. Deux passagers, des
hommes n'arrêtent pas de bavarder. On entend clairement ce
qu'il se disent. Cela fait un bruit continu qui finit presque par
m'agresser. Se taire un peu. Un peu de silence. On n'entend qu'eux.
Guy G. a fini par avouer ses sept
meurtres. Une des dernières perversions qu'il pouvait
s'offrir, c'était bien de nier, rendant fous les parents. Par
contre, je n'ai pas apprécié la façon de la
radio et de la télé de rendre compte du procès.
Dimanche 1er avril
Je devais repartir à 12h18. La grève a continué. Train annulé repart à 19h18 en « surréservation » parce qu'il n'y a plus de place dans le compartiment non fumeur. Sur mon nouveau billet est noté « rupture de correspondance » pour dire grève!
Mardi 3 avril
Ai trouvé ce livre dans la bibliothèque de mon quartier : Camille et Lucile Desmoulins, un couple dans la tourmente de jean-Paul Bertaux, Presses de la Renaissance, 1986.
Jeudi 6 avril
2H du mat. N'arrive pas à
dormir. Vais-je devenir une vraie insomniaque? J'espère que
non. J'ai une angine. Je commence à aller mieux grâce
aux médicaments.
Les journées « Portraits
de femmes » à Paris se sont bien passées, un
peu épuisante et un peu tristes pour des raisons qui me sont
propres.
Le projet Hugo m'a fait relire des
choses sur lui. Je me suis souvenue que son frère Eugène
avait été fou et enfermé en tant que tel. Sa
fille Adèle, non indemne du mal de l'âme. Ses deux fils
morts avant lui, dans la force de leur âge.
Mercredi
Elle s'appelle Chipie. Aime courir, désobéir, s'éloigner. De ma fenêtre, j'entends une voix hargneuse de femme l'appeler : « Chipie! Chipie ». Comme elle semble se faire prier, la même voix la traite de : « Putain, pétasse! » Celle qui se fait traiter de cette façon est une chienne, au sens réel du terme.
Je voulais écrire un texte, du genre : Des femmes et leurs animaux. Que nous révèlent les comportement humains envers leurs bêtes?
Tania
vit à Paris, a un bel appartement. Immense, plein de livres, de
musiques, de lithographies, confortable à tout point de vue. Elle a
un travail, un mari. Elle compatit aux malheurs du monde et son
appartement ne fait pas son bonheur. Quand elle l'a acheté, elle a
pris bien garde de le choisir loin des banlieues dites difficiles.
Car on ne sait jamais, il vaut mieux être loin des émeutes, si
jamais elles éclataient un jour.
Elle
n'aime pas voyager dans les pays pauvres, la pauvreté l'insupporte,
celle des humains et des bêtes. Son chien est son excuse pour ne pas
se déplacer. A qui le laisser?
Un
peu plus de cinquante ans, jolie, coquette, elle prend soin
d'elle-même, choisit avec goût ses vêtements. Souvent cafardeuse,
se plaignant de façon quasi permanente, je me demande où elle puise
son énergie pour soigner son apparence. Sans doute n'est-elle pas
aussi mal qu'elle le dit. La plainte est peut-être une question
d'habitude, de seconde nature. Ou est-ce une forme de culpabilité,
n'ayant pas de raison objective de se plaindre? Ni esseulée, ni au
chômage ni S.D.F.
Elle
est entrée dans l'ère de la panique. À elle aussi, il est infligé
de vieillir. « Qu'ai-je créé dans ma vie? »
m'a-t-elle
dit. Elle change souvent de psy.
Son
vieux chien est malade. Elle est contrainte de le faire piquer par le
vétérinaire. Je la rencontre, les yeux rouges, l'air accablé. Je
l'interroge. Je n'entends que le mot « mort ». Je
sursaute, la fait répéter : « Mon chien est mort! »
Je
l'aime bien Tania, mais de la mort de son chien, je m'en fous. J'ai
trop vu de familles dévastées en Algérie par le malheur. Ici, à
Besançon, un père de famille s'est suicidé pour cause de
harcèlement moral, poussé par ses patrons jusqu'à ses derniers
retranchements. Ils voulaient le virer sans indemnités... Et tous
ces milliers de licenciements partout annoncés réduisant des femmes
et des hommes à du surplus à jeter dans les poubelles... Alors la
nouvelle de la mort du chien de ma copine... J'essaye de bredouiller
des mots de réconfort, mais j'ai un peu de mal.
Non
que je n'aime pas les bêtes, au contraire. J'aime les éléphants,
les rhinocéros, les singes, les chiens, les chats. L'idée qu'un
chaînon me lie à l'animalité ne m'offusque pas. Le problème n'est
pas là. J'ai l'impression que Tania a accumulé du vide et que dans
ce vide, elle n'a qu'un vieux chien.
Me
revient aussi ce que m'a dit Francine, à propos de sa mère.
Celle-ci avait un chien qu'elle adorait. Mort, elle l'a fait
incinérer. Elle a fait jurer à Francine de déposer ses cendres
dans sa propre tombe quand elle décéderait. En cachette de son
fils, catholique pratiquant et qui n'accepterait jamais pareille
hérésie!
Mardi 17 avril
Suite
: les
femmes et leurs
animaux
J'avais
vu, il y a quelques mois, sur la 3, je crois, une émission très
intéressante. Sur le dressage des chiens pour aveugles. Séances de
dressage suivies de weekend-ends à la campagne, pour décompresser :
courir-respirer-jouer. On y voyait une mère de famille aveugle,
guidée par une chienne. En ville, dans le métro, à la sortie de
l'école des enfants, partout. Cette femme parlait d'estime et de
respect pour sa chienne. Et c'est vrai que cette relation très belle
entre la bête et la femme était palpable et visible!
Mercredi 18 avril
Chez Anne et José. Lis le Monde des Livres : « La carte n'est pas le territoire; la théorie n'est pas la réalité et comme écrivait Joseph Conrad « la réalité est cachée, Dieu merci » » Pierre Lepape
Jeudi 19 avril
Mauvaise
nuit. Gêne respiratoire.
Suis
en train de lire Flora Tristan, la femme-messie de
Bloch-Dano.
Que pourrais-je en dire? Y apparaît le portrait d'une femme
indépendante, à tel point,
qu'elle n'a jamais pu vivre avec un
homme. Il est sûr que son mariage désastreux a contribué à l'en
dissuader à jamais. Tout se passe également comme si la vision de
l'époque des relations entre hommes et femmes interdisait
définitivement une relation amoureuse durable, prenant forme à
travers un couple.
L'initiative
devait revenir aux femmes, c'était son rêve, sa volonté. Répondant
à la lettre d'un étudiant, admirateur, en juillet 1843, Flora
écrivit: « Lorsque j'ai rencontré un individu qui me
plaisait ou un homme que j'aimais, j'ai dit au premier : voulez-vous
vous donner à moi? Et à l'autre, voulez-vous m'appartenir? »
Vendredi 20 avril
«À la question quel a été l'événement le plus important du XXème siècle, 90/% des hommes répondent : la conquête de l'espace. Les femmes:la maîtrise de la contraception. C'est l'anthropologue Françoise L'Héritier qui nous rappelle cet exemple caricatural dans le dernier numéro d'Esprit intitulé « L'un et l'autre sexe ».
Terminé la lecture, en diagonale, de La Massaï blanche de Corinne Hofmann, Plon 2001. Intéressant. Se laisse lire. La jalousie ravageuse. Le couple massaï-suisse, un échec.
Samedi 21 avril
Bonne journée. Un peu de soleil. Parfois même de la douceur. Promenade avec le Sherif, à Boult. Agréable. Commencement de lecture de L'Oeuvre de Dieu, La part du Diable de John Irving, Seuil.
Dimanche 22 avril
Relevé
par le Shérif qui cherche un titre à sa communication sur Sophie
Kovalevskaïa. A trouvé le mot de « Précurseresse :
disparu
en 1504 (féminin de précurseur) » Le Robert, Dictionnaire
historique de la langue française, ss la direction d'Alain Rey.
Mardi 1er mai
La fête des travailleurs. Jusqu'à quand? La fête du muguet, de la lutte...
« J'écris aussi loin que possible de moi » André du Boucher
Entendu sur France-Inter, émission sur les « entreprises macho » : « Une réalité sociologique : un homme qui réussit dans sa carrière est un homme marié, qui a des enfants. Une femme qui réussit est une femme célibataire » Est-ce vrai?
Dimanche 6 mai
Finalement,
j'ai abandonné la lecture L'Œuvre de Dieu, la part du Diable
d'Irving. C'est comme de la pâtisserie trop riche, lourde.
J'ai
beaucoup aimé les premières pages où l'un des procédés de
l'auteur est à l'oeuvre : l'oscillation permanente entre le rire et
l'effroi pour décrire une même situation. L'état d'orphelin, les
mauvais traitements infligés à l'orphelin par une famille adoptante
sadique.
Sur
une histoire se greffe une autre histoire. J'aime bien cela mais j'ai
l'impression qu'il en fait trop. Ou avais-je besoin de plus de
légèreté?
J'ai pris ensuite Les contes gothiques de Karen Blixen. J'en ai lu deux ou trois. Pas détesté. Pas envie de tout lire.
Je
crois qu'il y a des « humeurs » qui déterminent
certaines lectures à certains moments.
Lis
en parallèle Camille et Lucile Desmoulins de
Jean-Paul
Bertaud et Comme un bruit d'abeilles de
Mohammed Dib.
Le projet de la Fondation Dib en Algérie est relancé. Le 24 octobre aura lieu à Tlemcen, ville natale de l'écrivain, la première manifestation. J'y suis invitée.
J'ai évité de rendre moi-même les livres à la bibliothèque. Michèle et Nata m'avaient sautée dessus la dernière fois pour me consoler de ce qui s'est passé en Algérie. Elles sont sincères mais maladroites. Je commence (?) à ne plus supporter la compassion. Mais je ne suis pas contre une discussion qui interroge, demande à comprendre...
Aussares
est un assassin, quelles que soient ses justifications. Il est
immonde et me répugne mais je le remercie! De tendre ce miroir à la
société française (On se peut se poser la question : combien
sont-ils en France à s'en soucier?)
Toutes
ces exclamations étonnées et choquées de ces politiques de droite
ou de gauche, comme s'ils ne savaient pas. Ils invoquent les
historiens mais les historiens ne les ont pas attendus pour faire
leur boulot. Le passé colonial ne passe pas. On n'a pas envie de le
regarder en face. Et c'est vrai que l'on peut écrire des dizaines et
des dizaines de livres, s'ils ne « basculent » pas
dans
la conscience collective...
Si
j'étais historienne, je réagirais. Laissez-nous faire notre travail
et occupez vous du vôtre, vous les politiques, représentant
la France.
Pourquoi
leurs visages se crispent-ils (Jospin) quand il est question
d'enquête, de pardon, de repentance dès qu'il s'agit des
« années
algériennes » de la France? Le Shérif me suggère, en
ironisant, que de leur point de vue, après tout ces gens-là
n'étaient que des Arabes, quantité négligeable. À ceux-là, on ne
demande pas pardon. Je crois aussi que pour eux la colonisation
n'était pas un acte grave mais une fierté nationale. Je me fous du
pardon.
Vendredi 11 mai
Je me suis suis surprise, cette nuit, à répéter dans mon sommeil : « Desmoulins », « Danton », « Robespierre... » Avant de m'endormir, je lisais mon livre de chevet du moment : Camille et Lucile Desmoulins. Certaines lectures vous mettent dans un état de porosité...
On aura beau dire, c'est très éprouvant tout cela. J'avoue que, jusqu'à maintenant, je n'ai jamais été dans la finesse des débats des historiens. Je m'y perds, n'étant pas spécialiste. Ce que je retiens et qui m'importe est la dimension humaine de ces hommes.
Tout de même, envoyer à l'échafaud son ami, condisciple de collège, de qui on a été le témoin de mariage, dont on a tenu le bébé sur ses genoux (Robespierre/Desmoulins)! Ce qui ne cesse de me laisser perplexe : les tenants d'une même Idée se sont massacrés les uns les autres, allégrement (délation, suspicion, jalousie, règlements de comptes...) La Révolution a dévoré ses propres enfants.
J'ai su enfin ce qu'est devenu Horace, le fils de Lucile et Camille Desmoulins, bébé lors de l'arrestation de ses parents. Il a été élevé par sa grand-mère maternelle, qui semble avoir été une femme extraordinaire, qu'il appelait maman. Il est mort vers l'âge de 34 ans, à peu près l'âge de son père quand il a été guillotiné. J.P Bertaud écrit de lui qu'il était atteint du mal de vivre comme un grand nombre de jeunes gens de sa génération. Faut-il s'en étonner? Avoir ses deux parents guillotinés, grandir sans eux...
Sans avoir été condamnés à mort eux-mêmes, les parents des accusés mouraient de chagrin. Le père de Camille ne survit pas à son fils. Pareil pour le père de Lucile. Je suppose que cela devait se passer de même pour d'autres familles.
Je reste aussi étonnée, le mot est faible, de la teneur de ces hommes et femmes. De quelle matière étaient-ils faits ceux-là qui partaient vers la mort en riant, en plaisantant comme Fabre d'Églantine et Danton? Celui-ci, alors que la charrette qui l'emporte « passe non loin de la maison de Robespierre », appelle : « Tu viens, Robespierre? On t'invite! » (p.292).
Lucile
considéra la mort comme une délivrance, le moyen de rejoindre
Camille. « Tous les témoignages concordent : au jour de sa
mort, Lucile, un fichu blanc encadrant son visage, semblait pleine de
gaité comme une jeune épousée. Avant de monter dans la charrette
qui devait la conduire au supplice, elle aperçut Dillon qui lui fit
un signe d'adieu. Elle le salua à son tour et dit : « Je
regrette d'être la cause de votre mort » Le général :
« Vous
en êtes tout au plus le prétexte ». Puis il s'excusa d'avoir
entraîné Camille à la mort et voulut la consoler. Elle
l'interrompit bien vite : « Regardez-moi. Ai-je l'air d'une
femme qui a besoin d'être consolée. » (p.295).
Camille, quant à lui, s'était débattu, avait pleuré, crié. « Lorsque les aides du bourreau vinrent lier les mains des condamnés et leur couper les cheveux, Camille se débattit, frappa, injuria. Il sembla un moment vaincu et, les mains liées, réclama à Danton de l'aide : qu'il le fouille, qu'il retrouve la mèche de cheveux de Lucile qu'il avait sur lui et qu'il la lui glisse dans la main. » Son dernier mot : « Lucile ».
Entraîné à son tour à la guillotine, Robespierre tentera de se suicider sans y arriver, se brisant « seulement » la mâchoire. Comment ne pas penser que la mort sur l'échafaud qu'il avait destinée aux autres, il ne l'avait pas voulue pour lui-même? J'ai appris que son frère, qui était à Toulon, avait demandé à être « décrété d'accusation » ayant partagé les vertus de son frère, il voulait partager son sort. (Voir l'âge des révolutionnaires)