L'insignifiance de la vie. Pas loin de minuit. Cette impression-là serait-elle en train de se retirer comme une marée? (J'ai encore mal)
Anniversaire. Promesses.
Programme.
Allégresse.
Atelier d'écriture : « C'est
où chez vous? »
A faire lire à mes amis
enseignants : « L'homme intelligent aime à
apprendre, l'imbécile à enseigner » Tchekov
Conférence de Michel Brugvin. Mes notes : Sur le site de l'Unesco, 12 définitions du mot migrant, insuffisantes et incertaines. Les Algériens auraient un parcours plus diversifié (?). Double appartenance :authentiquement chinois et authentiquement français. Flux nouveaux, des milliers de migrants, traversées à haut risque. Représentations actuelles de l'ailleurs. S'ancrer là où l'on s'arrête. Prix psychique. Retours impulsifs, compulsifs. Du nord : leurs enfants habitent ailleurs. Humanité: pas décisif de son histoire.
Prévoir plusieurs
casquettes. La
casquette Adèle. La casquette Entretiens pour le Site
Migrations. La casquette Poésie.
La casquette Site perso. La
casquette Aso.
« L'ignorance n'est
pas un
argument » Spinoza
« Tout bon raisonnement
offense » Stendhal
Anniversaire d''Anouar.
Le « manque psychique »
- le blanc, le noir, le vide, le trou, l'absence en soi – n'est
pas la seule raison qui pousserait à questionner l'identité.
Mais la confrontation aux autres remet en question la
« stabilité »
de notre identité! Non? Elle n'est pas d'accord. Elle tient à
sa tranquillité, à ses certitudes.
J'ajoute la casquette Cent et 1
lettres. Créer un rythme, une dynamique. Insuffler de la
vie, des événements, des descriptions. Recopie quelques
messages de la narratrice adressés à son aimé
pour le Festival des mots d'amour de Baumes les Dames:
1-mon inconnu mon étrange
mon
familier
mon lointain mon proche mon
dissemblable
mon doux mon grand mon tendre
mon précieux mon méchant
mon un peu brutal
mon opaque mon égotiste mon un
peu enfant
mon lumineux mon intéressant mon
admirable
mon silencieux mon parcimonieux mon
généreux
mon choisi mon désiré mon
aimé
je ne voudrais pas que tu partes
Je ne voudrais pas que tu meures.
2-Toi au nom si cher si cher, ce n'est pas tout toi que j'aime. C'est quelqu'un de toi que j'aime. Et non l'autre de toi énigmatique. Quelle est ta part de ténèbres?
3-Quel livre ouvrir, quelle musique choisir, quel pas de danse esquisser pour fêter ce jour? Ce matin, vers 10 heures, tu as téléphoné.
Téléphoner à maman. Téléphoner pour un autre entretien. Entourer sur le calendrier la date du 20 mars : Lecture-Hommage à Mahmoud Darwich avec Jacques moulin et Fayçal Salhi dans le cadre du Printemps des poètes.
Pétition de soutien aux trois libraires de Camponovo, licenciés. Hervé, le 17-01-2009 a écrit : « C'est étrange comment les choses s'articulent dans notre système. Dans la plus grande violence qui est cette passivité à laquelle nous sommes tous attachés, nous faisons simplement le constat de ceux qui tombent. »
Depuis à peu près neuf
ans, j'anime des Ateliers d'écriture. Pour la première
fois, j'ai eu affaire au racisme. Un vomissement de haine, un visage
ravagé, tordu. Me suis sentie salie et suis restée
calme et lui ai demandé de partir.
« Nous avons besoin
de
livres qui agissent sur nous comme un malheur qui fait très
mal, comme la mort de quelqu'un de plus cher que nous-mêmes,
comme si nous étions repoussés dans les bois, loin de
tous les hommes, comme un suicide, un livre doit être la cognée
pour la mer glacée en nous. » Kafka.
Aujourd'hui, dernière séance
de l'Atelier d'écriture et je n'en suis pas mécontente.
Pour la suite, pour moi-même,
écrire sur la langue. Etre forte.
« L'homme parle
pour autant
qu'il répond à la parole. Répondre, c'est être
à l'écoute. » « La langue est la
maison de l'être » Heidegger
« ...j'aime beaucoup la
langue française qui est peut-être mon véritable
pays! Mais si on considère la France, comme nation, je dois
dire que je me suis rarement identifié à ses
impératifs. » Le Clézio.
Lire : Prague, hier et
toujours de Tecia Werbowski, Les Allusifs.
Anniversaire du Shérif. Me
suis
sentie forte de sa présence et forte de la présence
d'Am. Ces deux-là, mes deux arbres. Ils sont à ma
gauche, ils sont à ma droite, de quelque côté que
je sois, je peux m'appuyer contre eux. C'est ce que je pensais lors
de la soirée d'anniversaire. You et Om. L'amour circulait
telle une rivière joyeuse. Rires, paroles et chants m'ont
consolée de la peine d'hier.
« Écrire des lettres, c'est
se mettre nu devant les fantômes. Ils attendent ce geste
avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à leur
destination. Les fantômes les boivent en chemin » Kafka,
Lettres à Milena.
A son futur éditeur, Kafka
a dit
: « Si au lieu de publier mes manuscrits, vous me les
renvoyiez, je vous serais beaucoup plus reconnaissant »
Je bute, je n'ai pas de mots
pour
écrire, décrire sa perversité. Il y a en elle
une créature proche de l'araignée immonde... et quoi
encore... perverse, sadique, dangereuse, qui s'est offert son propre
enfant. En établissant, entre ses enfants, l'inégalité
et l'injustice. Elle voulait ma caution. Je ne veux plus entendre
parler d'elle!
Si l'écriture est une mise à
distance, elle est aussi le contraire de cette mise à
distance. Incursion. Elle va jusqu'au bord de la folie des autres,
elle en a l'intuition, elle la devine. Exténuée.
Ecrire parce qu'on perçoit
la
fragilité des limites. Après les limites, la noirceur.
Aller au-delà de soi?
Que découvre ma narratrice avec
cet amour? La mélancolie de la vie, la sensation du vide,
l'incomplétude. Pourquoi?
S'éloigner du réel. La littérature, c'est aussi ce qui aurait pû être/devrait être. Est-il possible d'être satisfait de sa vie? Est-il possible d'aller vers sa mort sans se dire : ai-je assez aimé? La passion appauvrit, désensibilise. Quelle est la part d'éternité de chacun?
« Solitude. Je ne crois pas comme ils croient. Je ne vis pas comme ils vivent. Je n'aime pas comme ils aiment. Je mourrai comme ils meurent. » Marguerite Yourcenar
Le temps passe, impunément, lentement, sûrement. Et tout d'un coup, il s'emballe et nous laisse au bord du chemin, exposés et sans recours.
« Assez de questions; elles dormaient très bien aux enfers; pourquoi les appeler à la lumière? Elles sont grises et tristes et elles ont de quoi rendre les gens tristes et gris » « Ma place est au plus profond du silence, c'est là ce qui me convient » Kafka , Lettres à Milena
(Voix off : Mais pourquoi as-tu fait payer ton enfant? Que t'a-t-il fait? Jamais je ne te pardonnerai, jamais je ne te pardonnerai de me l'avoir dit, d'avoir voulu ma caution. Écrire tout cela, fidèlement, posément. Dire un jour à l'enfant : n'attend plus, ne cherche plus, elle ne reconnaîtra rien. Libère-toi et vis ta vie. La tienne.)
Ma narratrice :
« Cet amour
au coeur, comme une balle »
« Quand on écrit,
tout est fictif et tout est réel et même plus : plus
c'est fictif, plus c'est réel. Je crois bien même que
les écrivains n'ont pas de vie personnelle et tout ce qu'ils
écrivent est, a été ou sera réél. »
Emmanuelle Pagano
Je t'ai vu âgé de cinq jours, bébé adorable avec plein de cheveux, à quatre mois et au même âge sur la poitrine de ton père qui semblait si heureux de ce poids. Je t'ai vu petit garçon de huit/dix ans et tu semblais si sage. Je t'ai vu aux côtés de ton frère, vers l'âge de douze/treize ans, avec ton sourire clair et décidé, accueillant le monde. Je t'ai vu jeune homme de dix-huit ans descendre les marches d'un train, poser un regard émerveillé sur le paysage – d'où venais-tu? Où arrivais-tu? Je t'ai vu vers les vingt-cinq/vingt-six ans sourire à celle qui te photographiait et dont tu étais, je crois, amoureux. Je t'ai vu boudant. Je t'ai vu, l'air étrange. Je t'ai vu vers la trentaine, les cheveux longs, portant de larges vêtements, remonter des escaliers, la bonté se dégageant de toi.
« Écrire, c'est
sauter hors
du rang des assassin » Kafka
Relire, aller et venir.
Vérifier
le rythme, il ne doit pas se casser, s'infléchir, oui, mais
pas se casser.
Je commence à percevoir. Je
pourrais écrire, ce que je devine en elle : une masse vivante,
visqueuse et noire, sadique, jouissant du mal qu'elle fait.
L'apparence? Une apparence cherchant la forme de l'élégance,
trompant son monde. Qu'est-elle aux yeux des autres? Une femme
courageuse élevant seule ses enfants. Intouchable.
Insoupçonnable.
Ai un peu lu Darwich. En ce
moment,
essaye de terminer mes deux pages sur Marguerite Yourcenar et Jerry
Wison pour mes Cent et 1 lettres. J'ai un peu ramé
cette fois. Elle disait que la vie « n'était pas
nécessairement une bonne chose ».
Ce soir, sauf changement de programme,
dîner en ville avec Isa.
(Tu refuses ce qui vient simplement à
toi. Tu préfèrerais souffrir, attendre)
Travail avec Jacques M., chez lui, autour des textes pour la soirée Darwich.
Ça
y est! Mon site personnel
commence à être clair! Grâce au Shérif qui
a été d'une patience... J'y vois plus clair.
Rachid L. m'a offert deux recueils
de poésie de Mahmoud Darwich, dans leur version
arabe.
Journée des droits des femmes dans le monde.
Matin : écoute La Callas. En face de mon ordi. Lève les yeux et lis le plan de travail d'Henry Miller affiché sur le mur. Premier commandement: « Travaille en fonction du programme prévu et non suivant ton humeur. Arrête-toi à l'heure dite »
O.K chef! Programme : écriture perso à la maison. Rédiger « Le féminin d'artiste n'est pas muse » pour le « cours hors les murs » et tordre le cou à l'humeur! Mais tout de même un peu de soleil ferait du bien.
Au café Marulaz de Besançon. Cours hors les murs avec Adrienne. Expérience qui vaut la peine d'être vécue. Ces jeunes, les regards attentifs, ce cercle d'attention. Discussion intéressante sur le genre, la sexualité. Tout n'est pas si simple. Il paraît que l'école reconduit largement les constructions sociales du masculin et du féminin.
Mardi 17 mars
Hier, beau temps! Marche, aller-retour. Ai rencontré Boris qui était en recherche d'appart., hésitant encore un peu entre ville et campagne. Et Rafik H. comédien et conteur qui m'a parlé des difficultés de plus en plus grandes du métier.
Mercredi 18 mars
Il fait beau, clair et froid. Très agréable. Répétition avec Jacques M. et Fayçal S. pour notre Hommage à Darwich . Une belle matinée partagée. J'aime les répétitions. Vers 13 heures, sommes allés avec J. et Claude Andréoni à la brasserie de la poste. Un de ces moments sympas dans une journée.
Cette belle phrase d'Elias Canetti, extraite d'une lettre à son frère : «Adieu, mon bien cher Georges, et que ton océan de tendresse ne s'évapore pas très vite. Je me contenterais même d'un restant de sel, pour peu que tu en glisses dans une lettre et m'en envoies souvent. Ton frère Elias, qui ne s'est pas encore remis de la beauté du mot frère. » Lettres à Georges, Veza et Elias Canetti , Albin Michel, 2009.
Jeudi 19 mars
Je
me suis retenue d'aller à la grande marche de protestation. Suis
restée à la maison et j'ai répété toute la journée. Besoin de
cela. Me ramasser, me concentrer sur les textes et leur appropriation
sonore. Ai pourchassé mes facilités, mes défauts de langue, mes
« fourches », les dissonances. Je n'aime pas entendre
un
lecteur « fourcher ». Il en perd presque de sa
crédibilité. C'est pour cela, entre autres, que j'ai admiré la
prestation de Stéphane Kéruel dans Et
donc je m'acharne! Un
texte difficile, des mots découpés, morcelés, reformulés,
recrées, un souffle, une rapidité, une énergie et pas une fois sa
langue n' failli!
Certains
textes de Darwich sont très durs à dire. Comment dire : « La
terre ne nous contient plus. Elle nous entasse dans le dernier
passage. Nous ôtons nos membres pour passer. La terre nous pressure.
Que ne sommes-nous son blé pour mourir et vivre. Que n'est-elle
notre mère pour nous avoir en pitié... » Quand je sais -sans
parler de Gaza et des massacres de populations – que les
Palestiniens, entre autres maux, souffrent d'enfermement. Les camps.
Le mur. L'enfermement enserre les cœurs, les poumons, le corps, le
souffle au sens concret. Il est maladie. Cette étroitesse de
l'espace n'est pas une métaphore mais une réalité. La terre natale
qui enferme, étouffe, devient portion congrue. Je crois que je n'ai
pas trouvé la note « juste » pour le rendre. Limites.
Impuissance.
Hier,
à la médiathèque de Besançon : «L'exil de la
maison »,
notre Lecture-Hommage à Mahmoud Darwich , avec Jacques
Moulin et
Fayçal
Salhi au oud. Il y avait du monde. Des amis étaient là.
Bonheur de préparer, de partager, de donner. Bonheur de l'écoute.
J'ai
lu des extraits du poème écrit pour Edward Saïd, dans leur version
originale, en arabe. Avec crainte (de mal faire), modestie, respect
et jubilation. Encore et toujours, je constate que, pour moi, la
poésie est la médiatrice par excellence pour retrouver, aller vers
une langue. Que ne l'ai-je su plus tôt!
Je
serai toujours un peu moins que celui que je suis,
et même,
beaucoup moins. Poussière. J'ai beaucoup perdu.
Ce que l'on perd
est irrécupérable, et si on le récupère il
est désormais
dispersé, il ne rentre plus dans l'ordre préétabli
des choses.
Je suis content
s'il ne reste de moi qu'une légère
enveloppe.
J'ai perdu
beaucoup. Dans cette légèreté,
ce qui importe le
plus est l'absence des aigus,
que tout soit rond et recueilli.
Cela
suffit. Tout ce qui est dévasté peut devenir rond,
rond
encore. Comme un vase. C'est encore possible.
La poussière peut
être récupérée. La poussière était autrefois
décombres. La
poussière n'est pas décombres désormais,
elle est lente
friable. La poussière
est un peu moins, mais elle peut
être
rassemblée. Les blessures peuvent devenir poussière,
recueillie
et ramassée sur elle-même. Je suis content
de ne
pas comprendre les choses. Leur
raison. Il y a des choses que
j'ignore, et je suis
content. Elles apparaissent comme des
mystères,
tranquilles. Par exemple,
la jeune femme que je vois
toujours, m'aime-t-elle
ou non ? Je ne le sais pas. Je suis
content
de ne pas le savoir. Je suis content de ne pas savoir
si
je l'aime, ou mieux, je sais que je ne l'aime pas, que je
pourrais
l'aimer ; je suis content
de ne pas savoir si
j'aurais pu l'aimer. Ce mystère
me rassure plus que son amour.
Il
est beau de ne pas savoir. Ne pas savoir, par exemple,
combien je
vivrai,
ou combien vivra la terre.
Cette suspension
remplace
l'éternité.
Carlo Bordini, Incipit de
Poussière/Polvere,
Alidades
bilingues, 74500 Évian-les-Bains, 2008, traduit de l’italien par
Olivier Favier.
J'ai eu entre les mains l'édition bilingue des poèmes d'Emily Dickinson. Lisant, au fil de mes envies, poème après poème. En anglais, en français, puis de plus en plus rien qu'en anglais, le rythme de la langue s'installant en moi:
We
learned the Whole of Love-
The
Alphabet-the Words-
A
Chapter-then the mighty Boouk
Then-Revelation
closed-
But
in Each Other's eyes
An
Ignorance beheld-
Diviner
than the childhood's
And
each to cach, a child-
Attempted
to expound
What
Neither-understood-
Alas,
that Wisdom is so large-
And
Truth-so manifold!
Traduction
:
Nous
apprîmes le Tout de l'Amour-
L'Alphabet-les
Mots-
Un
Chapitre-puis le grand Livre-
Puis-la
Révélation fut close-
Mais
dans les yeux l'Un de l'Autre
Nous
lûmes une Ignorance-
Plus
divine que celle de l'Enfance-
Et
chacun à chacun, en Enfant-
S'efforça
d'expliquer
Ce
qu'Aucun-ne comprenait-
Hélas,
que la Sagesse soit si vaste-
Si
multiple-la Vérité!
Magnifique texte! Et ces deux beaux vers :
It
is the Ultimate of Talk-
The
Impotence to Tell-
Traduction :
C'est
l'Ultime de la parole-
Que
l'impuissance à Dire-
Extraits, Une âme en incandescence, Poèmes, traduits et présentés par Claire Malroux, José Corti, 1998.
Planter ses dents dans l'autre, dans le corps de l'autre, le contrôler tel un douanier : « Où étais-tu? Que faisais-tu? Avec qui étais tu ? » et appeler cela fidélité.
Marcher sur le corps de l'autre, qui pleure, supplie et tombe, pour rejoindre l'autre autre et appeler cela agir ouvertement.
En soirée, invités chez des amis. Il est tard de son point de vue, 23 heures. Elle veut partir, il veut rester. Elle fait la gueule, une sombre gueule. Il fait mine de l'ignorer et continue de converser avec leurs hôtes mais son air finit par l'excéder. Il cède, ils partent et s'empoignent dans la voiture, cela s'appelle un couple (et même pas vieux!)
Je
l'avais dans la tête, tapie quelque part dans mes neurones. Depuis
quelques jours, j'en fredonne l'air sourdement sans la reconnaître.
Et voici que tout d'un coup, elle jaillit : Drouot,
la chanson
de Barbara!
Je
cherche le CD, le retrouve, le met en marche et la voix cassée
s'élève – cette voix-là que je n'avais pas aimée au début et
que j'aime beaucoup maintenant (avec des inflexions riches et
inattendues).Une chanson visuelle, bouleversante. Une vie vendue,
réduite à quelques billets de banque.
« Vous êtes sur terre, c'est sans remède » Hamm dans Fin de partie de Samuel Beckett
Réunion
avec les organisateurs du Colloque Palestine à Dijon. Pour trouver
la salle Théma, Fac de Lettres, rue Mégevand, j'ai dû chercher non
parce que je ne la retrouvais pas mais parce que les issues était
bloquées par des chaises. Deux étudiantes connaissant
« d'autres
chemins » m'y ont menée, patientes et gentilles. Sans elles,
je crois que je repartais bredouille. Je crois en l'humanité!
Réunion
intéressante et sympa. Il y avait Juliette au nom si joli et
elle-même jolie, à la gracieuse chevelure. Née à Dijon et ayant
vécu ses six premières années à Alger, ses parents y étaient
enseignants.
Il lui écrit : « Je ne sais pas ne pas t'aimer. Je ne sais pas ne pas t'aimer même si je ne te vois pas, ne te parle pas, ne t'écris pas »
Am
et Ho sont là. Un bonheur. Tous réunis, la maison s'emplit. Moment
privilégié de l'existence, où la course (vers quoi?) s'arrête.
Partage de la table, écoute des un et des autres, rires, détente.
Am
à un tournant de sa vie. L'enfance s'éloigne. Nous nous retrouvons
et discutons, seule à seule. Ma fille.
Hier,
passage à l'heure d'été. J'aime les soirées claires, le jour qui
se prolonge, ce qui me permet d'envisager tranquillement des retours
à pied, assez tard.
Il
fait assez beau. Le printemps va-t-il cesser d'hésiter? Trop long
hiver. Fatigue qui perdure.
Ce
passage à lire, relire, faire lire, à afficher :
« Lorsque
les gens ne sont plus maîtres de leur destin, les faibles sont
poussées à fuir la réalité. Nombreux étaient ceux que leur
imagination repoussait exclusivement dans le passé, qui ne parlaient
que de leur foyer et devenaient ainsi victimes d'une sorte de
dissociation de la conscience. Cela faisait obstacle à leur
adaptation, la rendant parfois impossible et débouchant sur la perte
de leur capacités de résistance. D'autres s'efforçaient d'échapper
à la réalité du camp en régressant dans un état
d'irresponsabilité adolescente, infantile, en se conduisant comme
des gamins, en adoptant des attitudes ineptes. Je trouvais étrange
la façon dont changeaient les réactions des détenues aux
événements les plus terribles. Lorsque nous entendions parler de
condamnations à mort, d'opérations expérimentales, de transports
de malades et autres horreurs, la stupéfaction, le désarroi ne
duraient que fort peu de temps, quelques minutes seulement. Puis les
femmes pouvaient recommencer à rire et à échanger les propos les
plus futiles sur la vie quotidienne du camp.
Qu'un
détenu réussisse à s'adapter à la réalité du camp, qu'il
parvienne à surmonter le choc qu'il a subi en perdant la liberté,
et il commence à changer imperceptiblement. Le stade suivant, que
traversent pratiquement tous les détenus, est celui de la
résignation, de l'acceptation de la fatalité. Dans cet état, son
sentiment de sympathie, de solidarité avec les autres s'affaiblit,
voire disparaît complètement; sa résistance interne aux
contraintes qu'il subit diminue, il perd peu à peu sa dignité face
aux SS et finit par se soumettre. Certains s'identifiaient même aux
SS, devenant les complices de nos bourreaux. Le plaisir que
l'on
éprouve à exercer un pouvoir est l'un des aspects les plus sombres
de l'humanité que révèle l'existence au camp. Des femmes qui
obtenaient un poste de responsabilité au camp changeaient de
personnalité au fil des jours; détenues opprimées et
souffrantes, elles devenaient des maîtres-sûres d'elles-mêmes,
impérieuses, arrogantes. De tels individus transformaient la vie des
autres en un tourment perpétuel » Margarete
Buber-Neumann,
Milena, Seuil, 1986.
Om
revenu de la Fac : a participé au rassemblement étudiants toutes
disciplines confondues, rue Mégevand. Vote : pour ou contre le
blocus de la Fac des Sciences. 753 ont voté sur mille six cents
étudiants. Résultats : 473 ont voté pour le blocus, 63% donc...
Rendez-vous
jeudi à Paris pour occuper la Bastille!
Si je devais croire et adresser ma prière à je ne sais quelle divinité, voilà quels seraient mes mots : « Donnez-moi le détachement! Détachez-moi de ces futiles attentes, de ces banales griffes, de ces égos plus bas que terre... Donnez-moi de la hauteur et laissez-moi voir les aigles! »
Au petit-déj, j'en parle au Shérif de ma prière qui me dit : « Les aigles, ce n'est pas toujours bien ». Je sais, c'est une boutade mais enfin... Je devrais accéder au détachement. Car si je devais faire un sérieux ménage en moi, n'y laisser que ce qui importe vraiment, sans doute serais-je bien allégée. Se coltiner les égos de certains, à la longue, c'est y laisser son énergie.
Elle me parle de sa nostalgie, sa nostalgie inguérissable. Je voudrais lui dire d'en finir car elle s'empêche de vivre le présent et de voir mais de quel droit?
Tous, nous poursuivons une ombre même quand nous possédons. Une part de nous reste vide, absente même quand nous sommes comblés. Oui, « nous sommes sur terre et c'est sans remède » Autant ne pas l'oublier et faire avec.
Il
fait beau. Printemps, installe-toi enfin. Reste avec nous. Lis La
vie de Tchekov d'Irène Némirovsky, Albin Michel, 1989 (1ére
édition, 1947, chez le même éditeur).
Un
ton à la fois agaçant et attachant. N'apprend rien de nouveau sur
Tchekov sauf que le personnage qu'il a essayé de jouer – détaché,
surtout pas amoureux d'une femme – le rattrape à la fin de sa vie.
Cette Olga Knipper qu'il a épousée m'est encore plus antipathique.
S'il me restait encore quelque naïveté et innocence, elle les a bien lézardées. J'y pense encore. Cela me revient par vagues et me submerge. J'ai découvert « en direct » que la perversité avait le masque de l'élégance. Sa perversité a consisté aussi a enlever brusquement le masque et à me laisser voir son vrai visage. Elle voulait ma connivence. Toi aussi, n'est-ce pas? Non, pas moi aussi! Je n'ai aucun goût pour l'injustice, la dévalorisation, exercées jour après jour, avec délectation, pendant des années sur un être humain. J'ai détourné la tête et j'ai pleuré.
À Paris. Mariage de Lyès qui a été un jour un petit garçon que j'ai tenu dans mes bras. Bénédiction religieuse-Mairie-Soirée festive, amicale et familiale. Musique. Danse. Retrouvailles de ceux de « là-bas et d' « ici ». Les générations se succèdent. La vie passe.
La famille. Pour beaucoup, les plus terribles blessures, définitives et inguérissables y sont données là. L'amour maternel est une imposture. Les êtres ne valent que par eux-mêmes et non par leur situation familiale. Un père peut être un salaud pour ses enfants, pareil pour une mère. Sauf que cette dernière s'abrite derrière la mythologie sociale. Être mère ne fait pas de vous un être bienveillant « de nature » pour ses enfants. Une mère peut démanteler posément, en toute conscience, en toute hypocrisie, en toute tranquillité ses enfants.
Je connais des adultes non remis. Comment en serait-il autrement quand ceux qui vous ont donné la vie ont exercé sur vous l'injustice, vous ont inculqué la certitude que vous n'étiez pas aimable? Ceux qui vous ont donné la vie ne vous aiment pas. Comment sortir indemnes de cela? Il n' y a pas que la violence sexuelle qui profane un enfant. Un père, une mère peuvent attenter à un enfant sans violence physique et sexuelle. C'est plus facile, plus commode. Pas de preuves, impunité assurée.
Il fut un temps, pas lointain, où je disais à l'un ou à l'autre qui me racontait : « Ne lui en veux pas, oublie, pardonne, c'est ta mère, c'est ton père » Aujourd'hui, je ne le dis plus car aujourd'hui je sais. Je sais les dégâts intérieurs, le désastre.
Avant, je savais extérieurement, intellectuellement. La Bible ne parle que de cela, toutes ces histoires atroces autour du fils préféré, de l'inégalité établie entre les enfants d'une même fratrie... Je repense aussi, ces temps-ci, à L'Est d'Eden, le roman de Steinbeck et au personnage de la mère, perverse « sans remède ». C'est le souvenir que j'en ai gardé...
J'ai rencontré T et R qui m'ont parlé de désamour, de désaffection, de solitude à deux. Les années passent, l'âge se profile et elles sont dans un labyrinthe. Trouveront-elles la sortie?
Écoute le CD D'Île en Île, Tao Saxophone Quartet offert par Noël Pelhâte. Lui même y joue : « La grue blanche déploie ses ailes ». Très agréable.
Une saison est partie. Une autre revient. Elle lui écrit : « D'où me vient cet engouement pour l'absence et le silence? Tu es absence, silence, du vent... »
Très tôt le matin, il a fait beau. Ai-je entendu le merle? Les arbres fleurissent.
Ses paroles me reviennent : « Les Algériennes en Algérie ne courent pas forcément après le mariage. Elles savent qu'un mari ce n'est pas le nirvana! (J'ai ri). Et s'il y a tant de célibataires parmi elles, c'est parce qu'elles sont exigeantes »
Tout est compliqué, contradictoire. Oui, des femmes sont exigeantes (combien?) et d'autres ne le sont pas (combien?) qui s'affolent, terrorisées par l'hypothèse du célibat à vie et épousent des tocards qui ne leur arrivent pas à la cheville. Et les tocards ne sont pas rares.
L'image sociale dominante est bien la suivante : une femme « normale », dans les rangs, est une femme mariée, avec enfants.
Des vies bien tracées comme leurs jardins et leurs allées, c'est bien, ça fait vivre vieux. L'imprévisible, l'inattendu, l'émotion qui vous empoignent, vous ébranlent, ça fait battre le cœur à mille à l'heure, fait monter la tension, effectivement ça peut être dangereux!
Où ai-je lu cela : les hommes sont des fantômes de fantômes? J'y repensais alors que je m'interrogeais sur la « nature » et la force des sentiments. Ne croyons-nous pas ressentir certains sentiments? Ne les inventons-nous pas de toutes pièces? Fantômes les hommes, fantômes leurs sentiments. L'existence est parfois cela : un monde qui croit exister et n'existe pas. Un monde hanté par ce qui a été, ce qui aurait pu être.
Des vies bien tracées qui font barrage à tout bouleversement. Voici ce qui doit être, voici la norme, la tranquillité, notre travail, nos vacances, notre emploi du temps, nos enfants et les loisirs de nos enfants. Quoi la grève? Le désordre, l'inquiétude, les acquis sociaux qui faisaient la France rognés, mis à mal? Quoi, la république en danger, des générations de jeunes attendues par le chômage et le désespoir? Quoi, des gouvernants qui crachent chaque jour leur mépris et cirent les bottes des super-riches du monde? Mais en quelle langue parlez-vous? Ce n'est pas la nôtre. La langue que nous comprenons c'est celle de nos vies à nous, rien qu'à nous, le reste ne nous importe pas. Que sombre l'univers tout entier si cela ne dérange pas nos vies, rien que nos vies!
Ce
jeune homme que j'avais cru doué de mille talents et d'abord celui
de n'être pas comme les autres serait-il juste imbu de lui-même,
plutôt égoïste et volontiers brutal? Cette jeune fille que j'avais
crue singulière et brillante serait-elle juste un peu manipulatrice
et assoiffée de reconnaissance? Cette femme mûre que j'avais crue
bienveillante et compréhensive serait-elle juste perverse et avide?
Me
suis-je trompée à ce point?
Mettre en marche l'ordinateur. Relire-réécrire, d'abord et avant tout, tel est le programme de la matinée. Dans cette îlot de temps, n'exister que pour cela. Promis? Promis.
Vers la fin de l'après-midi, rassemblement devant le Palais de justice de Besançon pour protester contre le délit de solidarité. 300 personnes, aux dires de Clo.
Suis remontée à pied. Il faisait beau et j'ai eu chaud. Me suis arrêtée devant un des jardins des maisons qui bordent le chemin, suffoquée par cette évidence : c'en est fini de l'insouciance. Tout fait mal, la présence et l'absence.
Ce matin, avec ma narratrice. En suis sortie, sans carapace. J'ai fermé les yeux, très fort, comme un enfant, imaginant cet autre-là, si loin, si proche, si réel, si peu palpable. Une ombre? Un être réél qui va bientôt paraître, offrant son visage à mon regard.
Il a fait beau. Vers un peu plus de 13H, ai grinotté et me suis assoupie au soleil, prenant ma dose de vitamine D. Reposant et agréable.
Le garçon ne travaille pas. Colère. Désespoir. Impasse. Il admire les Palestiniens en lutte. Je lui ai dit : « Par respect pour eux, travaille, toi qui en a les possibilités »
Il/elle doivent devenir aussi vivants, aussi rééls que s'ils existaient. Aller vers eux, c'est aller vers des personnes vivantes plus vivantes que les vivants.
Il fait beau. Soleil chaud. Toute la matinée, écriture. Ai encore retravaillé ma première page. Changé l'incipit. Ajouté des éléments qui risquent de faire changer la suite.
« Ce bel étranger que reste malgré tout l'être qu'on aime » Hadrien dans Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar
Il
a fait beau. J'ai attendu la fin de l'hiver, l'entrée dans le
printemps pour avoir ce rhum/sinusite.
Ai
fait des rangements, entrecoupés de pauses de repo
La question flotte dans l'air. Qu'est-ce qui fait durer un couple?
L'amour, quelle que soit son expression au fil du temps, la compréhension, le partage du monde, son échange, sa découverte, les coups durs, les mauvais moments, les disputes, les orages, les tempêtes, les portes qui claquent, les assiettes qui volent parfois, l'estime de l'autre, l'admiration de l'autre, la sévérité, la sincérité, les encouragements de l'autre, les conversations, le partage des forces et des faiblesses, le partage de coups de coeur, d'enthousiames, les fous rires, les virées à deux, la douceur, la tendresse, l'impatience et la patience, le respect de l'autre, de sa liberté, de ses besoins de retrait, de sa solitude nécessaires... Cela s'apprend, difficilement souvent, la société ne prépare pas à cela et surtout, surtout, l'assurance indéracinable que l'autre est votre recours, votre tanière, votre protection, votre soutien quand le monde entier pourrait vous accuser, vous condamner, vous abandonner.
Pensant à G. et N., je me dis que la haine aussi fait durer un couple. Le ressentiment, la fureur, les reproches continuels, le mépris... c'est du ciment qui fait tenir.
Elle raconte : « Cette rencontre manquée m'a laissée un regret. Un regret qui ne veut pas disparaître, qui persiste. Vieillirais-je, mourrais-je avec ce regret-là? Après ma mort, je le chercherai encore. »
Sérieusement mal en point : sinusite-gorge-nez. Automédication : ai trouvé à la maison ce qu'il fallait.
Lis
Comment lire un livre de Virginia Woolf, L'Arche
Éditeur,
2008.
Recueil
d'articles qu'elle avait écrits les années 20 et 30 sur les auteurs
élisabéthains. Une délectation :
«...
la femme connaissait un obstacle de taille : on pensait que
l'écriture seyait mal à son sexe. Il arrivait ici ou là qu'une
grande dame, à laquelle le rang garantissait la tolérance et
peut-être même l'adulation d'un cercle servile, écrive et fasse
imprimer ses œuvres. Mais c'était un acte inconvenant pour une
femme de rang inférieur. « La pauvre femme doit être
un
peu égarée, jamais elle ne pourrait se rendre plus ridicule qu'en
se risquant à écrire des livres, et en vers encore »,
s'exclama Dorothy Osborne quand la duchesse de Newcastle fit publier
l'un de ses livres. Pour sa part, ajoutait-elle, « même si je
ne dormais pas pendant quinze jours d'affilée, je n'en viendrais pas
là » Et ce commentaire est d'autant plus éclairant qu'il
provient d'une femme de grand talent littéraire. Si elle était née
en 1827, Dorothy Osborne aurait écrit des romans; si elle était née
en 1527, elle n'aurait jamais écrit. Mais elle était née en 1627,
et à cette date, même s'il était ridicule pour une femme d'écrire
des livres, il n'y avait rien d'inconvenant à écrire des lettres.
Ainsi, le silence se dissipe progressivement; nous commençons à
entendre des bruissements dans les fourrés; pour la première fois
dans la littérature anglaise, nous entendons des hommes et des
femmes bavarder ensemble au coin du feu... » Article
« Les
Lettres de Dorothy Osborne », p. 69-70.
Lu
quelques beaux messages de dignité, de prise de position publique,
de résistance par des enseignants, à l'Université. Même si pas
concernée personnellement, toujours bon à prendre pour le moral par
les temps qui courent!
Stephen
Frears, à propos de son film Chéri : « Le
roman de
Colette est impressionniste. Il capture quelque chose d'infiniment
délicat, à propos de la relation entre les deux personnages, et au
sujet de chacun d'entre eux. Une liaison entre un homme mûr et une
jeune fille serait d'une grande banalité. Inverser les rôles rend
la chose plus intéressante et plus douloureuse. » Revue
Transfuges, Littérature et Cinéma, 2009.
« La vie, c'est beaucoup de jours, jour après jour » Joyce
Ai travaillé à la médiathèque. Écouté les conseils du Shérif. Arrêter de revenir en arrière, pour fignoler et refignoler. Continuer d'abord tout droit pour terminer et ensuite y revenir.
Dehors.
Sensation erratique. Matinée plutôt fraiche malgré des tentatives
de soleil.
Ce
matin, débouchant sur les bords du Doubs, pont Battant, j'ai assisté
au déploiement des marchandises – lunettes, colliers multicolores,
statuettes en bois, portes-monnaie – des deux vendeurs noirs.
Combien vendent-ils par jour?
Écris
ce journal , installée à la brasserie de l'Hermitage, Grande Rue,
tranquille et agréable (sans musique!).
Peut-être
tout à l'heure irais-je au Centre diocésain pour l'expo de photos
sur le Japon mais avant j'espère pouvoir acheter ce que je voulais
pour avoir l'impression d'avoir gagné ma journée!
Ces deux jours, étais vraiment malade. Sous antibiotique. Finalement, j'ai lâché prise et laissé courir. J'ai lâché l'écriture, l'ordinateur, le courrier, l'urgence, l'inquiétude... J'ai découvert le plaisir sans pareil de m'assoupir en pleine journée, la fenêtre ouverte, la chambre inondée de lumière, les préoccupations mis en veille. Un grand fond de fatigue était là et le fait de tomber malade n'a pas été une mauvaise chose.
L'après-midi
entretien avec Selim Kh. Intéressant, fort, émouvant parfois.
« ...
j'ai toujours aimé écouter les gens parler d'eux-mêmes; cette
tendance, paisible et passive en apparance est si vive chez moi
qu'elle représente l'image la plus intime que je me fasse de la vie.
Je serai mort lorsque je ne saurai plus écouter quelqu'un parler de
soi. » Elias Canetti
Mardi 21 avril
Un
temps presque chaud dont il faut se méfier. Beaucoup de monde
dehors. Suis venue à pied de la maison. 18H, à Identité Café, rue
d'Anvers. Deux femmes parlent fort, trop fort comme si elle étaient
seules.
Rencontre
avec Luc Ch. que je ne connaissais pas. Discussion intéressante et
qui montre encore une fois l'ampleur et la diversité de la fragilité
humaine. Mais aussi les facettes de la solidarité et de la ténacité.
Il s'occupe de Cent Voix, journal d'expressions
solidaires.
L'association, type loi 1901, de même nom « vise à permettre
aux personnes connaissant une situation certaine d'isolement, que cet
isolement soit le fait de la maladie, du handicap, de l'âge, de la
précarité ou de l'exclusion sociale, de trouver ou retrouver une
capacité d'action réelle au moyen de leur contribution à la
réalisation d'un journal. Chacun y est libre de se dire ou de
s'y exprimer, de manière anonyme ou non, sous forme de textes, de
citations, de pensées, de poèmes, de nouvelles, de témoignages ou
de dessins »
Le
journal annuel en est à son troisième numéro (septembre 2008), il
coûte 3, 50 euros. Les bénéfices sont destinés à l'aide et au
partage pour des actions de solidarité locale, nationale ou
internationale. Le prochain numéro, le 4ème, est prévu pour
septembre 2009.
Termine Le Faon de Magda Szabo, Édition Viviane Hamy, 2008 (pour la traduction française; initialement publié en 1959). Moins aimé que ses deux autres livres La Porte et La Ballade d'Iza. Plus laborieux mais tout de même attachant. C'est cela un grand écrivain : même ses livres les moins aboutis ne laissent pas indifférents. N'ai pas encore lu sa Rue Katalin.
Lis
L'Orient après l'amour de Mohamed Kacimi, Actes
sud, 2008.
Carnets de voyage, en quelque sorte. Regard critique et féroce sur
l'Algérie, la Tunisie, le monde arabe de façon générale, Israël
surtout pas terre de justice et de paix. Pour l'Algérie, je lui
« reprocherais » son appréciation un peu réductrice
des
exactions coloniales, concernant les événement du 8 mai 45, par
exemple.
Sinon,
les passages forts, saisissants ne manquent pas, comme celui-ci :
« Le
vent se lève, il n'y a plus de Beyrouth, cette ville renaît non pas
de ses propres cendres, mais de celle de ses incendiaires. Flinguée
à bout portant avec l'argent des pétrodollars, elle ressuscite,
comme elle peut, grâce à une fortune d'Arabie. Les immeubles de
Beyrouth se dressent comme autant d'anthologies de trous d'obus, de
roquettes, de balles et de mémoire. Ici, on tue pour embellir
l'oubli. Ici, les ruines de la guerre semblent avoir été dessinées
par de grands couturiers. Ici, même la mort passe au maquillage
avant d'entrer en scène. Ici, la lumière est si intense qu'on ne
prend pas au sérieux la nuit. Ici, la terre est si ardente qu'elle
n'a pas de temps pour les tombes. Ici, les femmes sont si belles
qu'il faut un plein temps juste pour tomber en amour. Combien de
milliards de balles ont traversé l'air de cette ville? Elle devaient
être plus nombreuses que les étoiles du ciel et les grains de sable
de la mer. Les balles ont tout fauché, blessé, marqué, mais toutes
ont contourné, avec une délicatesse d'ostéopathe, le boulevard des
banques. Il est sorti intact et même clinquant de cette guerre. La
guerre civile a duré dix-sept années, elle a fait cent cinquante
mille morts, dix mille disparus, vingt mille exilés. Elle a foutu en
l'air des milliers de vies et de villages. Elle a bousillé des
milliers d'amour. Mais elle n'a pas laissé un seul grain de
poussière tomber sur la façade de la Bourse. Tel est le génie de
la civilisation libanaise : pouvoir ravager, mais en finesse, le feu
et l'écriture, brûler l'air et l'histoire, saccager l'eau et
l'amour, mais éviter religieusement de froisser le moindre billet
vert. » P. 121-122.
Ne
pas oublier : ne pas retrouver ce rythme de vide et de perdition. Ne
pas retrouver ce lien de tension.
Terminer
Cent et 1 lettres, fin juillet (avant, ce serait
mieux!)
« Un jour (elle était déjà âgée de soixante treize ans), tante Buzena dit tristement à Milena : « J'ai bien l'impression que je vieillis : cela fait déjà trois ans que je ne suis plus tombée amoureuse... » Milena, 156.
« Ô vous les petites routes qui courent au loin derrière la ville, vous les chemins à travers champs d'où l'on entend, au lointain, le carillon vespéral! Comment ne nous rendriez-vous pas heureux?! Croyez-moi, il n'est pas une douleur au monde que l'on ne puisse anesthésier en parcourant à grands pas une route de campagne inconnue. Toute peine est supportable sur une route de campagne. Une, deux, une, deux – et voici la douleur qui monte en pulsations régulières, une, deux, une, deux. La douleur est encore aux prises avec les pieds, le cœur, lui, manque encore de courage, cela fait mal, mais les pieds disent : Regarde le monde! Regarde le monde! Et voici que le cœur tout convulsé s'ouvre lentement, il bat la chamade, déborde puis se calme et, bercé, assoupi par la marche, peut soudain rire de nouveau. Ce sont les pieds qui ont réduit à néant la douleur, elle est morte, regarde le monde, regarde le monde. Mais maintenant, il ne faut pas rester en place, pas maintenant, car tu retomberais aussitôt dans le désespoir. Continue, toujours, des heures durant, jusqu'à épuisement. Si ensuite tu t'immobilises, si tes pieds se taisent, alors peut-être, dans le silence qui s'étend autour de toi, trouveras-tu – je ne puis, bien sûr, te le promettre, deux ou trois larmes... » Milena Jesenskà, Le chemin de simplicité, cité par Margarete Buber-Neumann in Milena, Seuil, 1986, p.81-82.
Écrire. Ne pas se laisser entamer. Ne pas se laisser entamer. Écris! Écris, c'est la seule réponse.
Des
nuages encore dans le ciel, ronds et lourds. Mais il y a du soleil,
de la lumière.
Ai
fait des rangements dans la cuisine. Pour ne pas jeter un fond de
miel, ai préparé un pain d'épices. Pendant que j'écris, il cuit.
You est à Paris. Maman arrive le 2 mai. Le Shérif est à la fac.
Toujours
en compagnie de Milena Jesenskà, connue peut-être
surtout par les
familiers de Kafka en tant que
destinataire
de ses très belles
lettres (Lettres à Milena). Elle fut aussi une
brillante
journaliste.
Chère,
chère, chère Milena de Prague. Je t'aime pour avoir été si faible
et si forte, si belle et laide, si mince et grosse, implacable et
généreuse, pleine d'assurance et de doute, pour avoir été tenace,
têtue, pour avoir éprouvé des sentiments contraires, la fureur et
l'amour, pour avoir été souvent amoureuse, vivant l'amour d'un
homme comme l'une des raisons qui donnent du bonheur et rattachent à
la vie, pour avoir ressenti intérêt et bienveillance pour tes
semblables humains jusque dans un camp nazi, Milena pleine de courage
et de grâce, morte à Ravensbrück, un 17 mai 1944. Tu es étoile
dans mon ciel et lorsque je vais mal, je lève les yeux et te vois
scintiller : « Regarde le monde. Regarde le monde... »
Il
a fait beau. Sommes allés le Shérif et moi à la marche du 1er mai.
J'ai
acheté du muguet au PCF. Ai rencontré des visages amis, des visages
aimés. Bu un verre offert par la CGT, je crois, à la gare d'eau.
Mangé une assiette de couscous « anar », place
Marulaz.
Retourné à la gare d'eau : assemblée générale peu consistante.
Colère d'Adrienne. Suis repartie, à pied. En cours de route, ai
encore acheté du muguet à une femme accompagnée de son petit
garçon.
Maman
est là. Elle aime la maison. Om Revenu. Il a fait plutôt beau. Ai
nettoyé le sol de la salle de séjour et de mon bureau. Après-midi,
visite d'amis.
Relis
en diagonale Les Heures de Michael Cunningham,
Belfond, 1999.
Hier, Claire m'écrivait qu'en achetant un brin de muguet à sa belle-fille, elle n'a pu s'empêcher de penser à cette phrase : « Travailleur, ne cueille pas le muguet du 1er mai, il est rouge du sang des travailleurs » Cela m'a... comment dire, touchée et fait penser à la chanson de La butte rouge : « Qu'elle en a bu du sang, cette terre/Sang d'ouvriers et sang de paysans... »
À méditer? « Il faut pouvoir garder ses distances. Il faut être capable de fréquenter quotidiennement des gens sans rien leur révéler de soi-même. Peut-être ne pourra-t-on pas empêcher que tel ou tel connaisse des aspects de notre vie privée, mais ce n'est pas une raison pour l'y aider de surcroît. Lorsqu'on franchit les barrières de l'intimité, on s'expose à la critique, à la pitié et à l'envie; les relations humaines commencent alors à devenir problématiques car, sans le vouloir, l'on a ouvert toutes grandes les portes aux malentendus. On ne maîtrise plus jamais les relations avec les autres, on ne peut plus jamais les façonner, on est au contraire modelé par elles. Au reste, l'excès d'intimité débouche sur l'infidélité vis-à-vis des véritables amis, c'est une faute de goût vis-à-vis de soi-même. » Milena Jesenskà
Petite, je l'ai trouvée petite, l'entendant clamer : « Chez nous », s'octroyant la légitimité du pays et de ses frontières, indifférente au monde. Ce « chez nous » elle l'a, à chaque fois, exprimé pour dire ce genre de négations généreuses : « Nous ne sommes pas responsables des problèmes du monde, pas responsables de la pauvreté de l'Afrique... », s'identifiant à un « Nous » étatique dont elle n'est pas, de toute façon, elle individu, n'occupant nulle fonction politique, nulle fonction syndicale. Ai eu eu envie de lui rétorquer : « Mais qu'as-tu donné, toi, de ton énergie, de ton pain, de ton porte-monnaie à l'Afrique pour être du bon côté de la barrière, de ceux qui s'autorisent à faire la morale et à donner des leçons.» Je n'ai rien dit, m'éloignant d'elle. Ce « Nous » n'est pas le mien.
Promenade en compagnie d'Om dans les rues de Besançon, alors que la nuit tombait. L'air était doux, agréable. Discussion sur les sentiments, lui à l'orée de sa vie et moi, toujours en questionnement, avec la certitude, que je n'aurais pas voulu avoir, que « l'âme d'autrui est ténèbres »
Marylin French est morte le 2 mai.
Ai travaillé ce matin à Cent et 1 Lettres. Relecture de haut en bas et de bas en haut pour retrouver le rythme et corrections.
Déjeuner
avec maman et discussion inopinée sur l'expression « Il n'y a
que la vérité qui blesse ». Pourquoi la vérité serait-elle
vue seulement comme blessante, pourquoi ne serait-elle pas aussi...
quel terme choisir? comme celle qui fait plaisir, rend heureux?
Maman
dit que le vérité est parfois si simple qu'elle n'est pas
acceptable par les autres.
Suis
sortie ensuite pour aller au Plaza Victor Hugo voir Still
Walking,
un film japonais de Hirokazu Kore-eda (Samedi dernier, j'avais vu
dans la même salle Tokyo Sonata de Kiyoshi
Kurosawa, beaucoup
aimé) mais j'avais une heure d'avance devant moi.
Me
suis alors retrouvée à Identité Café, rue d'Anvers. Ambiance
tranquille, miraculeuse pour écrire. Ai choisi un thé noir-sapin;
peu parfumé malgré l'appellation. J'ai voulu relire les pages
manuscrites de Cent et 1 lettres, non encore
reportées sur
l'ordi. Mais au lieu de relire, j'ai pensé à la jeune femme qui m'a
envoyé ses poèmes et un texte de Lagarce sur l'acte d'écrire et de
la place que prend cet acte dans l'existence, j'ai pensé à la
journée de poésie qui aura lieu le 26 mai, chez moi et qu'il va
falloir préparer, j'ai pensé au Shériff (ton cher if, m'écrit
Annie) à Marrakech, j'ai pensé à « l'ami retrouvé »
et l'heure a filé et j'ai couru au cinéma.
Still Walking, un beau film. Ai retenu cette phrase : « Pourquoi comparer une vie à une vie? » « Ta mère est redoutable », « Les gens sont redoutables ». Part de cruauté, de manque de compassion que chacun porte en soi. La famille, encore une fois, sujet inépuisable. Hiérarchie des enfants dans la perception, l'affection des parents. L'enfant mort est plus présent que l'enfant vivant. La vieillesse. L'incompréhension des êtres. La cupidité des enfants. L'indifférence des plus jeunes. L'implacabilité des plus vieux. La grâce, la beauté des actrices japonaises. Pense aussi à celle qui joue la mère dans Tokyo Sonata, pour elle, il faut ajouter, classe, gravité des actrices japonaises!
Mail du Shériff, à Marrakech : « La conférence a bien commencé, j'ai déjà fait trois cours... Marrakech est une très belle ville qui rappelle un peu Cordoue. Une place éblouissante, djemaa el fna, en fait la plus orientale des villes maghrébines! Quelle ambiance incroyable : les conteurs, les bonimenteurs, les comédiens, les chanteurs, les restaurants, tout cela rassemblé dans une immense place. Beaubourg, à côté, c'est de la rigolade! Nous irons sûrement pour une quinzaine de jours au Maroc dès que nous aurons un peu de sous, pour passer des moments ensemble dignes de ceux que nous avons passés en Andalousie. »
Bonjour matin de mai qui m'inculques la force et m'offres la voix de La Callas s'élevant dans la lumière. Fais-moi oublier les murs, les barrières, les citadelles qui enserrent les êtres et barrent leur accès. Bonjour matin de mai qui m'ouvres les portes de l'écriture. Bonjour matin de mai qui m'envoies les nouvelles de l'ami voyageur.
« ... apprêter ton repas et ta couche dans quelque coin ignoré de l'univers... », Chateaubriand
Lis Lettres à Georges de Veza et Elias Canetti, Albin Michel, 2009 :
« Les endroits où l'on se plaît ne sont-ils pas ceux où l'on plaît le plus, peu importe à qui? »
Annie,
un pot de fleurs entre les mains, est venue à la maison partager les
crêpes maghrébines préparées par maman. Moment agréable. Propos
échangés, entre autres, sur la pratique ou l'absence de pratique
culturelle des uns et des autres, à Besançon. Sur des film vus.
M'a donné envie d'aller voir Je l'aimais.
Soirée
chez Rachid et Agnès, belle et généreuse.
Petit déjeuner avec le Shérif. Ai ensuite accompagné d'une tasse de café celui de maman. Propos évoqués à propos du fils, affectueux comme personne mais qui ne trouve pas son chemin. Ne pas comparer avec les autres. Mais certains autres peuvent donner du courage.
Me retrouver dans un « Nous » de lecteurs, de spectateurs aimant certains écrivains, cinéastes,oui, me retrouver dans un « Nous » partageant les mêmes valeurs de dignité, de résistance, de respect pour la personne humaine, oui, me retrouver dans un « Nous » de sensibilités communes, peinture, musique, poésie, paysages, goûts et saveurs, oui, mais le « Nous » de la légitimité, très peu pour moi! Ni là-bas ni ici ni ailleurs.
J'aurais envie de relire Aurélien d'Aragon dont le souvenir me revient, je ne sais pourquoi. Si, je sais... C'est lorsque j'ai pensé qu'en amitié, c'est un leurre de chercher l'absolu. Sauf que dans le roman d'Aragon, il s'agissait d'amour. D'amour impossible, entre Bérénice et Aurélien.
La force, la violence, la surprise des émotions et des sentiments. Vivre, c'est cela aussi, avec ce « danger », ce « risque » en soi.
Se garder aussi de l'intempestif, du trop dit. Entre l'inflation et la retenue, la trop grande retenue, qui instille le malaise, où se trouve la note juste, la note vraie?
« Je demeurai longtemps errant dans Césarée » Racine, repris dans Aurélien, le roman d'Aragon.
Se
construire « une chambre intérieure » pour s'éloigner
des autres, quand ces autres vous agrippent et vous figent dans leurs
images. Lire, écrire. La seule façon d'exister. À un certain
tournant, la seule façon qui vaille.
Lu Le point de côté de Josyane Savigneau, Stock, 2008. Écrit après son éjection du Monde des Livres (harcèlement moral). Ai retenu les portraits d'Eudora Welty, d'Edwige Feuillère, de Philip Roth, de Philippe Sollers.
Savigneau a écrit la biographie de Marguerite Yourcenar, gallimard, 1992 que j'ai lue et relue; la biographie de Carson Mc Cullers, l'auteur de Le cœur est un chasseur solitaire. Un livre dont j'ai gardé grande impression.
Dans son point de côté, J. Savigneau note : « ... le harcèlement moral (...) c'est fait pour détruire, pour annuler. Et pour qu'on se persuade d'avoir commis une faute, d'être un imposteur. » p. 18
Après-midi
à Dampierre/Salon, à une heure environ de Besançon, en compagnie
du Shérif. Pour une Lecture-concert-exposition en
« Résonances ».
Autour de Lenteur des foudres de François Migeot
et du
chant inquiet, poèmes de José Antonio Ramos Sucre (El
canto
anhelante), Éditions, l'Atelier du Grand Tétras-Monte Avila,
2009.
Lecture
: Judith Alvarado et F. Migeot. Guitare : René Lagos-Diaz.
Exposition : réalisations de Caribaï Migeot.
Un
bon moment. Avons également rencontré Bertrand Degott qui nous a
dédicacés ses recueils de poésie Battant et À
chaque
pas.
Rencontré
une jeune femme qui m'a reconnue et qui est venue vers moi. Son
visage ne m'était pas inconnu. Lons.
Très beau temps. Très chaud dès le matin. Petit déjeuner sur la terrasse -merveille!- avec le Shérif. Évocation des Cahiers de la guerre de Marguerite Duras, P.O.L/Imec, 2006 que je viens d'acheter.
Ils
« constituent la part la plus exceptionnelle des archives
déposées par Marguerite Duras à l'institut Mémoires de l'édition
contemporaine (Imec) en 1995. Écrits en 1943 et 1949, Ils ont
longtemps été conservés dans les mythiques « armoires
bleues » des maison de Neauphle-le-Château, leur publication
donne aujourd'hui accès à un document autobiographique unique, en
même temps qu'à un témoignage précieux sur le travail littéraire
de l'écrivain à ses débuts. » dixit la quatrième de
couverture. Bref...
En tous cas, M.D, témoigne d'un passé colonial immonde. Sa mère qui enseignait dans une « école indigène » était, de ce fait, méprisée : « J'oublie de dire que parmi les Français de la colonie, l'annamitophobie faisait loi. Quelques rares Annamites frayaient avec les Français. Un fonctionnaire annamitophile était en principe condamné à ne jamais « avancer ». Nous étions, du fait de la condition de ma mère, au dernier échelon de l'échelle des fonctionnaires. On disait de ma mère qu'elle avait du mérite, mais elle n'était reçue nulle part. (...) Le fait même que ma mère n'avait jamais quitté la colonie et qu'elle y comptait de nombreux amis annamites achevait de la déconsidérer auprès des Français. » P.44
Déjeuner sur la Place Marulaz, en compagnie d'Om. Déjeuner magnifique et délicieux, végétalien, offert par l'Association Resto Trottoir. J'en apprécie les principes d'accueil et d'hospitalité.Celui-là, gardez-vous de lui faire du mal, ni en mots ni en gestes. Gardez-vous de le blesser, en aucune manière. Portes, chemins et routes, ouvrez-vous et laissez-le aller selon ses rêves et son désir. Lumière, accompagnez-le et vous ombre, veillez sur lui là où ses pas le portent. Arbres, inclinez-vous, protégez-le de l'ardeur du ciel et vous les sources claires, étanchez sa soif et vous montagnes, approchez, venez à lui. Paysages, villes et villages, égayez, embellissez sa vie. Et vous, hommes et femmes, ses parents, ses amis, passants et inconnus, qui que vous soyez, gardez-vous de lui faire du mal. Celui-là, mon cœur l'aime et mon cœur veille. Ne demandez ni le pourquoi ni le comment, je ne le vous dirais pas. Il habite le monde et cela seul importe.
Soirée de poésie chez nous, à la Retraite Sentimentale avec les textes et les voix de Mira Wladir, Jacques Moulin, Claude Andreoni (et moi-même). J'ai rajouté deux textes écrits par Isabelle. Isabelle qui a ramené trois de ses tableaux. Les amis étaient là. Soirée de lecture et d'écoute. Écoute dense. Les visages de Boris, de Bruno et d'Annelyse, de Nicole, de Madeleine et d'André, d'Aline, d'ÉLisabeth, de Linael, de Jean-Luc et Maric, de Chérif et du Shérif. Un cadeau. Ensuite dégustation de mets et friandises. Entre autres, le couscous aux fèves et à l'huile d'olive préparé par maman!
« Ma
vie repose presque entièrement sur le travail et sur l'amour... Le
travail n'a pas toujours été facile. L'amour non plus, dois-je
ajouter. » « Que je sois bien portante ou malade, il
faut
que je sois en mesure d'écrire, car ma vie dépend presque
entièrement de l'écriture. » Carson Mc Cullers
Vers 18H30, ai commencé à préparer le diner. Attendant que le Shérif rentre, ai commencé à lire Mon Malagar de Lucienne Sinzette, Collection Haute Enfance, Gallimard. J'y reviendrai.
« Écrire à la place d'aimer, en guise d'aimer, ou pour aimer plus et faire de cette forme d'amour un métier comme un autre » Jean-Luc Lagarce.
Très beau, dès le matin. Au réveil ai lu une ou deux lettres de Veza à Georges Canetti, frère d'Elias : « Je n'oublierai jamais que tu es venu, je ne me remets pas de ton départ; mais tu ne m'as pas écrit immédiatement, et tu me le paieras. » (23 mai 1939, p.135)
Préparatifs pour la venue d'Ho. Poulet aux olives et citron confit cuisiné par maman. Une recette d'enfance. Pain maison. Pour le soir, soupe de blé concassé. Ensemble.
Deuxième
entretien avec Selim Khelifa, plus sur lui-même, sa formation
musicale, ses intérêts, ses goûts et ses rencontres, sa venue et
son installation à Besançon. Geste très sympa, m'a offert le C.D
d'enregistrement qu'il a effectué lui-même lors du Printemps des
Poètes autour de Mahmoud Darwich, avec Fayçal Salhi, jacques Moulin
et moi-même.
Soir. Moment de détente. Venue d'Arnaud à la maison, avec dans les mains ma boisson festive préférée pour fêter l'heureuse nouvelle! En septembre, il sera professeur à Clermont-Ferrand. Arnaud et sa passion des mathématiques, du vélo et de la poésie de Victor Hugo.
Fragment
Le regard aimant, le regard amoureux entoure d'un halo la personne aimée. À travers ce regard, tout d'elle irradie. Tout d'elle est précieux. Pendant qu'il parlait, Hannah observait Karl sans en avoir l'air : Sa haute silhouette, ses cheveux, son visage de profil, ses mains qui virevoltaient, soulignant ses paroles, ses pieds chaussés de sandales...
Pendant plusieurs jours, sa présence l'habita telle une joie, une lumière. Puis, son image pâlit. C'était sans doute trop cette constante intensité qu'elle ressentait et qui parfois l'abattait presque. Mais elle craignit de le voir dénué de cet halo dont ses yeux l'entouraient. Hors de cette lumière qui était-il?
Le souvenir de Selma la traversa. Selma qui pendant des années avait aimé un homme qui n'existait pas ou du moins qui ne correspondait en rien à ce qu'il était dans sa réalité propre. Elle avait aimé, adoré, vénéré une icône qu'elle avait inventée de toutes pièces. le temps de démanteler sa vie, d'y creuser un gouffre. Qu'est-ce que l'amour?
La question résonna dans la poitrine d'Hannah. Était-ce cet exorbitant désistement de soi et la réponse au vertige de l'abîme?
« L'agrément
de la vie, hélas! Je l'ai goûté
Et
mes jeunes plaisirs – depuis quand? - sont passés
Avril
et mai et juin s'en sont allés
J'ai
cessé d'exister, je n'aime plus la vie » Hölderlin
Sur
ma requête, Le Shérif, mon webmaster préféré, met sur mon site
une autre rubrique : « Voix et Rencontres ». Merci
mon si
patient Shérif!
Reçu
un mail de Peter R. de Mongolie.
Dans
une autre vie, nous étions étudiants à Paris et pensionnaires à
la Maison néerlandaise de la Cité internationale. Il faisait des
études de philo et moi de Lettres. Le temps a passé et nous nous
sommes perdus de vue mais ma mémoire sélective avait gardé son
souvenir. Ce grand garçon, comme tout Hollandais qui se respecte,
plus jeune que moi de quatre ans – à nos âges de l'époque, la
différence était notable!- était d'une rare amabilité et
ouverture d'esprit. Grâce à lui, j'ai connu Amsterdam et sa
famille, surtout sa mère, m'avait accueillie avec simplicité et
générosité. J'y ai passé de très beaux jours – c'était en
plus un mois d'avril- me promettant ensuite d'envoyer une jolie carte
de remerciements et un petit cadeau que je n'ai jamais envoyés,
l'insouciance de la jeunesse reprenant vite le dessus. Mais ces
quelques jours et l'hospitalité des parents de Peter me sont restés
comme un point lumineux, un de ces points qui parsèment le chemin de
la vie.
Conseillée
par Am à qui n'échappe pas les ressources
« internetiques »,
j'ai retrouvé Peter via Facebook. J'ai envoyé un message, deux,
trois plus plus tard, j'avais une réponse!
Après
ses études de philo, Peter avait fait des études en médecine.
Aujourd'hui donc, il est chirurgien aux Pays Bas, marié, avec
Katinka, père de trois grands enfants. Il voyage beaucoup. En ce
moment, si j'ai bien compris, il est dans un projet d'entraide pour
ses collègues mongoliens. « Le but, m'écrit-il, est de
faciliter les conditions de travail aux chirurgiens travaillant dans
des régions loin des grandes villes et surtout dans les pays avec
peu de ressources ».
Perception
Professe comme une originalité la détestation du corps et de ses langages. Pas au net avec sa personne, elle voudrait en faire le problème de tout le monde. Mais ce problème ne me concerne pas. Je pourrais lui dire ce que j'en pense, juste ce que j'en pense mais elle ne le supporterait pas. Elle porte un amour profond à sa personne. Dans tout ce qu'elle entreprend, elle est subjuguée par elle-même. Participant à une tâche collective, son souci premier est : comment faire pour qu'il soit tout le temps question de moi? Les tâches discrètes et ingrates, où elle passerait inaperçue, ne sont pas pour elle. Elle demande, prend et ne donne pas. Même si elle fait croire que le bien collectif lui importe en premier lieu et au plus haut point. Je crois qu'elle est rancunière et la bienveillance ne doit pas la submerger. Prête à ressortir les « dossiers » dès qu'elle est en conflit avec quelqu'un. C'est surtout cet esprit tortueux, cette tendance au flicage qui m'ont laissée perplexe. Celle-là, dans un autre contexte, qu'aurait-elle fait?
Soirée. Vu (plutôt revu, pour ce qui me concerne) L'île nue de Kaneto Shindô, avec le Shérif. Film japonais sorti sur les écrans en 1960. Magnifique, dense, à vous décrocher le cœur. Quand on fait avec du silence, l'absence de parole, le labeur obstiné, répétitif de gens pauvres, leur malheur intime, la perte d'un enfant, une œuvre d'art qui vous remue et vous habite pour longtemps. L'art, c'est cela aussi, témoigner de l'humain, cet humain si démuni, si seul et qui s'accroche à la vie aride et hostile qui lui en fait voir de toutes les couleurs possibles on ne sait pour quelle fin...
Matinée. Ai travaillé avec concentration – avec la joie que donne cette concentration – sur mes Cent et 1 Lettres.
Déjeuner, sous un soleil mitigé, préparé par You, tranche de saumon nature et salade mâche et tomates à l'huile d'olive.
Suis
allée voir mes deux petits rosiers qui poussent vaillamment.
Commence à avoir envie d'un carré d'herbes aromatiques et de
tomates-cerises pour assurer les apéro pour les amis, de m'occuper
un peu (!) du jardin et planter plein de rosiers.
Suis
remontée vite au bureau pour travailler sur l'ordi. Coup de fil de
ma grande : 15 de moyenne à ses exam. « Pour que tu aies,
cette après-midi, un motif de bonne humeur » me dit-elle.
Heureuse pour elle.
J'évoque
sur les pages de ce journal, années 1999 et 2000, les frères
Goncourt. J'aimerais y ajouter la photo de Nadar les représentant
ensemble. Navigation sur Internet puis me suis souvenue d'un ancien
dossier du Magazine Littéraire consacré aux deux frères avec de
belles photos. Les heures ont filé. J'ai pensé à la réunion de
Resto Trottoir.
À
la dite réunion, Om m'a rejoint. Le prochain Resto
Trottoir aura
lieu le dimanche 28 juin. Partage des tâches selon les
disponibilités des uns et des autres : récup. Des produits auprès
des marchands, impression d'affiches, collage. Je me garde pour la
cuisine. Anniversaire d'Hélène, 27 ans! A ramené pour l'occasion
un gâteau préparé par ses soins – recette végétalienne –
encore tout chaud. Une autre jeune fille avait ramené des cookies
préparés également par elle-même. Dans les deux cas, j'ai adoré
le geste. Réunion terminée gustativement. Retour à pied avec Om.
Avant
d'aller à la réunion, je devais aller rendre les bouquins à la
médiathèque. Sur le chemin, ai rencontré Henri. Taillé une petite
bavette. Me fait remarquer les verts contrastés d'un même arbre.
Suppose une greffe. Me dit que la Commission des présidents
d'université s'est retirée. Lui parle de l'esprit de Resto Trottoir
et des jeunes qui s'en occupent. « Tout donc n'est pas
morose »
me dit-il.
Je
voulais emprunter le Journal de Jean-Luc Lagarce
mais je
n'arrive pas à mettre la main dessus. Ai pris celui de Jean-Patrick
Manchette, période 1966-1974, Gallimard, 2008.
Le
soir, devient mon livre de chevet.
http://www.educationsansfrontieres.org/
Ce matin, très beau. Bonheur du moment présent. Petit déj avec le Shérif. De fil en aiguille, discussion sur l'égo des dictateurs, des hommes politiques puissants. Me suis rappelée les propos de l'écrivain portugais Lobo Antunes sur les hommes de pouvoir qui meurent vieux dans leur lit : «parce qu'ils ignorent la culpabilité » « Ils sont au-delà de la culpabilité » dit le Shérif, ils sont dans la certitude absolue qu'ils sont les sauveurs ». Donne l'exemple, entre plusieurs, de Pinochet qui est mort avec l'assurance qu'il a relevé, sauvé le Chili. Les arrestation, les morts, les tortures, les disparitions... c'est rien, pertes et profit!
Lis par étapes Les Cahiers de la guerre – déjà cité dans ce journal- de Marguerite Duras. C'est vraiment très bien. Des pages implacables. Une très belle langue. La littérature, c'est mieux que la psy! Hautement supérieure. Extraits :
Sur
le frère aîné
:
« Je
voudrais conserver intact l'éclat de l'Événement qu'était pour
moi mon frère aîné. Il était injuste et lâche comme l'est le
sort et toute destinée. Sa férocité à mon égard avait quelque
chose d'accompli, et au fond de pur. Sa vie se déroulait avec
l'implacabilité d'une fatalité et il nous en imposait. Le tissu de
coups et d'injures qu'il m'a donnée est le tissu même dont son âme
était faite, il n'y a pas de marge. Il était toujours de
l'injustice la plus grande, celle que personne ne
pouvait
dépasser, celle qui pouvait le plus rappeler celle du Destin et qui
tombait sur vous avec l'imprévisibilité du sort. Je ne voudrais à
aucun prix qu'au nom d'une morale, si large soit-elle, on le juge
condamnable, et qu'on le juge. Mon frère était méchant, certes,
mais d'une méchanceté telle que je ne lui ai jamais trouvé de
mesure humaine, et c'est là, c'est ce à partir de quoi je réclame,
non pas l'indulgence , mais un sursis de toutes morale...(...) Toute
petite déjà, je croyais que ma mère et mon frère aîné
relevaient directement de Dieu, ils battaient et jugeaient en vertu
de raisons supérieures, remplies d'un mystère infini... »
p.72-73.
Sur
l'enfance :
« Croire
à l'insignifiance de son enfance c'est, je crois la marque d'une
incroyance foncière -définitive, totale. Qu'y puis-je? Tout le
monde est d'accord sur l'enfance. Toutes les femmes du monde
pleureraient sur n'importe quel récit d'enfance, fût-ce même sur
celle des assassins, des tyrans. J'ai vu dernièrement une photo
d'Hitler enfant en jupons brodés, debout sur une chaise. À partir
de l'enfance, toute destinée est pitoyable infiniment. Sans doute
suis-je portée à ne croire qu'à celle des autres, car dans la
mienne je n'y vois qu'une précocité qui me ferait plutôt horreur.
Mes photographies d'enfant me soulèvent le cœur. Lorsqu'il m'arrive
de lire des récits d'enfance ou de jeunesse, je suis étonnée du
monde d'irréalité qu'ils contiennent... Cela me confond toujours,
et je suis portée à croire qu'il s'agit plutôt là d'une trahison
involontaire – ou plus simplement d'une transposition poétique
dont on croit que si l'enfance n'en n'était pas dotée, elle serait
déshonorée. Aussi loin que je me souvienne, mon enfance s'est
déroulée dans une lumière désertique et crue, aussi loin du rêve
que possible... Je peux donc dire que je ne me souviens pas d'avoir
rêvé de quoi que ce soit, fût-ce même d'une vie meilleure... »
P. 73-74.
Vous
avez dit effets positifs du colonialisme français?
« (Une
remarque, qui peut-être n'a pas ici sa place, mais que je tiens à
faire : n'étaient admis au collège de Saigon que les Annamites fils
de citoyens français, exclusivement. Par ailleurs, le port du
costume européen était de rigueur absolue. En 1931, lorsque je
quittai définitivement l'Indochine, quelques jeunes filles annamites
fréquentaient le lycée. Elles étaient obligées de se déguiser en
Européennes, et en général cela leur allait très mal, et elles en
souffraient. De même à l'internat primaire supérieur où je
logeais, le costume européen était de rigueur. Le dimanche, on
pouvait rencontrer dans les rues de Saigon les internes annamites en
promenade, tous habillés à la française et qui se ridiculisaient
publiquement. Pourquoi de telles mesures dont l'imbécilité est
impardonnable? Je pense que des mesures semblables, qui peuvent
paraître insignifiantes de prime abord, ne sont pas loin d'être
criminelles. Par ailleurs, les enfants des indigènes non citoyens
n'étaient admis à faire que des études primaires. Je veux bien que
grâce à nous la tuberculose et la lèpre aient régressé
considérablement en Indochine, mais il n'y a pas de
compensation
morale possible dans l'ordre physique. Sauver des enfants de
la
mort pour ensuite ne leur permettre qu'un développement sanctionné,
limité, dont les limites elles-mêmes sont codifiées, me paraît
beaucoup plus condamnable qu'il n'est louable de les sauver de la
mort.) » p.78-79.
Hier, il a beaucoup plu. Je me suis réveillée ce matin en pensant à ces flots d'eau tombés du ciel, nettoyant la terre. Ah s'ils pouvaient nettoyer les humains de ce qui les tourmente et les ronge!
Je repense à cette phrase de Marguerite Duras, à propos de sa mère, disant d'elle qu'elle avait une inaptitude totale au désespoir. Je voudrais parfois posséder pareille inaptitude!
Il m'arrive d'être presque sûre de cela : c'est la férocité qui nous caractérise le plus souvent, l'indifférence féroce, l'égoïsme, l'égotisme dès que nous nous mettons en relation avec les autres. Quand nous écrivons à quelqu'un qui connaît un grave souci « Je suis avec toi », nous mentons d'autant plus que nous l'écrivons rapidement, légèrement et avec une immense fierté pour notre générosité et avec la certitude profonde que nous ne lèverons pas le petit doigt. Si nous mesurions l'immensité du désarroi où se trouve l'autre, si nous mesurions sa solitude où notre immodestie n'a nulle place, sans doute serions-nous plus respectueux, nous tairions notre prétention et avancerions vers lui sans nous gargariser d'expressions faciles...
« Je pense à toi chaque jour » m'affirme-t-elle. Un jour, je l'entends dire les mêmes mots à quelqu'un d'autre, à d'autres encore. Elle me confie des aspects de sa vie qui ne sont pas anodins, si peu anodins que j'aurais préféré me boucher les oreilles mais je suis bouleversée et je pense qu'elle m'estime si digne de sa confiance qu'elle n'hésite pas à me révéler de pareilles horreurs. Un jour, je l'entends les raconter à quelqu'un d'autre, à d'autres encore...
M'endurcir. Donnez-moi la force, rendez-moi de marbre et de pierre. Insensibilisez-moi à l'auto négation des autres. À L'impuissance des autres. Cette impuissance contre laquelle je ne peux rien.
Envoie un entretien de Kiyoshi kurosawa à propos de son film Tokyo Sonata à l'ami cinéphile.
Coup de fil de Françoise P. Pour me proposer d'animer un atelier d'écriture sur l'autobiographie, l'automne prochain, dans l'une de ses classes. Ai accepté avec plaisir.
Travail sur mes Cent et 1 lettres. Si je les termine, je serais sauvée. Dois les terminer.
Après-midi, rédaction/composition de l'entretien avec Selim Kh.
Terminé le Journal (1966-1974) de Jean-Patrick Manchette. Des années de travail, d'écriture de toutes sortes, de lectures. De fatigue aussi, quasi constante, le travail étant quasi constant. Évocation régulière de son épouse Mélissa, compagne de labeur (dactylographie, travaux de traduction).
Des
passages lucides et beaux sur la difficulté de l'existence menée :
« Mercredi
4 mars 1970 : La vie en général, en ce moment, est en même temps
agréable et amère. Mélissa et moi nous nous aimons comme jamais et
sommes très proches l'un de l'autre. En même temps, toutes sortes
de difficultés empêchent l'épanouissement, et d'abord la nécessité
de travailler. À l'évidence, le choix professionnel que j'ai fait
s'est toujours accompagné de l'espérance qu'un jour viendrait assez
vite où il me suffirait d'écrire cinq cent pages par an pour vivre
dans le luxe. Ce n'est pas encore le cas, et même les succès
partiels rendent plus amère l'insuffisance générale. » P.274
Ses critiques de films très intéressantes, sans concession si ce n'est passionnantes. Un regard explorant toutes les facettes d'un film. Exemple :
« Le
soir, vu l'ÉTAU (TOPAZ) d'Alfred Hitchcock. C'est un film mineur. On
ne s'ennuie à aucun moment, mais le propos est fort limité, c'est
un scénario de bande dessinée, en fait, moins tous les éléments
spectaculaires, un faux documentaire sur une semaine de boulot d'un
agent de renseignement. Le plus frappant : les hommes sont si
pasteurisés, si englués dans une espèce de rond-de-cuir-aventurier
behaviour que tous les rapports avec les femmes
sont gelés et
nuls. C'est sans doute le plus intéressant de l'affaire, et
notamment il y a une jolie scène où Claude Jade s'affaire auprès
de son mari blessé par balle (Subor), qui dit que ce n'est rien,
réclame un verre d'alcool (que Stafford lui donne), et raconte son
aventure à Stafford en répétant que ce n'est rien et de la façon
dont il la raconte, ce n'est, de fait, plus rien. Les seuls
passionnés de cette bande de veaux sont le Cubain et la Cubaine, ce
qui donne lieu à la plus belle scène du film.
Par ailleurs,
perfection hitchcockienne de la narration et de la technique. C'est
beaucoup, mais cela sert un propos très limité – et les méchants,
nombreux, épisodiques et privés, sauf le Cubain, de toute
épaisseur, ne présentent aucun intérêt. L'enjeu présente une
telle facticité, pour une si grande importance supposée, qu'il ne
retient pas une seconde l'attention. Le Héros, enfin, ne semble
jamais en danger. » P.279-280.
Ai repéré sur le Net un Site consacré à Manchette. Il y est aussi question de son Journal. Plus exactement d'une rencontre consacrée à ce dernier à la Bilipo (Bibliothèque des Littératures Policières, à Paris), le 17 mai 2008. La rencontre de 90 mns est enregistrée et peut s'écouter.
Soirée barbecue et crudités à la maison avec Nabile,son épouse et leur petit. Le Shérif et Chérif. Agréable.
Demain lirais mes Cent et 1 lettres sans pitié.
Lundi dernier, avons vu le film Jaffa de Keren YEDAYA, cinéaste israélienne que je découvre*.
Keren
YEDAYA est donc née en 1972 aux États-Unis et vit en Israël
depuis 1975. Militante féministe, elle fait aussi partie de groupes
de protestation contre l'occupation des territoires
palestiniens. À part Jaffa (2008), elle a réalisé
les films
Mon trésor (2004), sur la prostitution féminine à
Tel Aviv
– ce film qui a l'air d'être sans concession, il faudrait que je
le voie, navigant sur la toile, j'ai appris que la
belle
Ronit ELKABETZ** y joue (elle joue aussi
dans Jaffa)-
Lullu (2001), Les
dessous (2001)... Bref,
une cinéaste que je vais m'empresser de connaître!
**Ronit
ELKABETZ, je l'ai vue pour la première fois et admirée dans
le
beau film du cinéaste israélien Eran KOLIRIN,
La
Fanfare (2007). Actrice mais aussi cinéaste, elle fait
partie de
ceux et celles qui nous enseignent, nous rappellent que la société
israélienne peut être dure, impitoyable pour « ses propres
siens », entre autres les femmes.
Traversée par une fulgurance : toute femme, tout homme est d'abord un obstacle, un mur sur lequel bute, se cogne l'élan.
Lis Une part de ma vie, Entretiens (1983-1989) de Bernard Koltès, Les Éditions de Minuit, 1999. Lis parallèlement le Journal (1977-1990), premier volume, de Jean-Luc Lagarce, Éd. Les Solitaires Intempestifs, 2007.
Suis tombée sur ce passage incroyable, à propos d'André Malraux dont elle a été la dernière compagne : « ... s'il était interpellé par la mort à un très haut degré, il était modérément atteint par la perte d'êtres qui lui avaient été proches sentimentalement.
À Dijon pour réunion de préparation du colloque sur la Palestine, automne 2009. Ma part, avec Jacques M. et Fayçal S. : Lecture et musique autour de la poésie de Mahmoud Darwich. Avec plus de poèmes d'amour que la dernière fois.
Travail sur mes Cent et 1 lettres. Passages entiers biffés.
Arrêt vers 13h. Serpillère sur le sol de la cuisine et du salon. Douche et ai filé en vitesse pour être au rendez-vous d'Annie R. et Bernadette à la brasserie 1802, au centre-ville. Pause, moment agréable avec les deux copines.
Soirée de fin d'année universitaire avec les collègues de l'IUFM du Shérif. Soirée gourmande. Les merguez et côtelettes de « chez Mr Hallal » comme dit Arnaud S. Délicieuses! Les morceaux de melon parfumés avec des feuilles de menthe fraîche ramenés par Étienne (et sa bonne humeur). Pas mal du tout et son clafoutis. Les fromages divins dont un magnifique Comté de Lionel. Le cake d'Élia, fait avec de l'huile d'arachide et un vin blanc, moelleux, parfumé, bref, tout le monde s'est jeté dessus, les vins Sancerre de Philippe : blanc et rouge (oui), très bons... etc... la maison de Bernard et son grand jardin. Cerveau en veille (pour ma part en tout cas), papilles en alerte : moment bon à prendre!
Cent et 1 lettres.
Suis
tombée sur un vieux numéro de la Revue Esprit (1982). Relève ces
mots d'un entretien de Dolto (qui n'a jamais été ma tasse de thé):
« ... car la névrose fait partie de la vie du civilisé, mais
on ajoute, on surajoute tout à fait gratuitement des souffrances à
celles que tout un chacun éprouve...» C'est peut-être une de mes
spécialités!
Suis allée à pied à la médiathèque. Bonheur de marcher et conscience de ce bonheur. Comment font-ils ceux qui ne marchent pas? Ai emprunté à la médiathèque le deuxième volume de Jean-Luc Lagarce et le dernier Virginia Woolf de Viviane Forrester, Albin Michel, 2009.
Sur le chemin du retour ai pensé au fait que rarement les êtres quand ils s'attirent se disent ce qu'ils voudraient se dire, en toute sincérité, sans masque, ni stratégie. Pourquoi les gestes sont-ils paralysés, comme interdits d'expression? Pourquoi presque toujours les mauvais mots et presque jamais les bons? Pourquoi les sentiments muselés, comme honteux d'eux-mêmes? Il doit y avoir une raison à cela. (« La fausseté de l'amour même » ? Apollinaire)
La voix du Shérif au téléphone. Sa fatigue mais aussi son rire!
Le Shérif revenu. Ensemble.
« Pourtant les gens vivent. Peux pas imaginer ce qui se passe derrière les visages. Tout est surface dure. » Virginia Woolf
Oui, il est vrai, on n'en finit jamais avec Virginia. Présence fascinante et si vivante, si présente. Mais tout de même, il y a comme un acharnement chez les biographes, à prétendre vouloir capter la « vérité » d'un être... Et cette façon de tenir la chandelle et de s'occuper de la sexualité d'une personne qui n'est plus de ce monde, de distribuer les bons et les mauvais points à ceux de son entourage...
Le dérapage de la biographie : faire de la personne qui n'est plus là un os à ronger.
André Brink, l'un des grands amours littéraires de ma vie, a été invité au Festival Panafricain d'Alger, ce mois de juillet 2009. Lors d'une conférence de presse qui lui était consacrée, des journalistes algériens lui ont demandé quels étaient les écrivains algériens qu'il lisait. Il a répondu : « Albert camus » Il paraît qu'il ne se déplaçait pas pour les conférences des autres écrivains invités comme lui au Festival. Bref.
Nous
en discutons Am et moi, au téléphone et nous sommes d'accord sur le
fait que les livres d'un écrivain valent plus que lui. Ainsi de
Brink grâce à qui l'Afrique du Sud nous fut révélée et de quelle
façon! Jamais je n'oublierai : Au plus
noir
de la nuit, Un turbulent silence,
Une
saison blanche et sèche...
Tant
pis s'il méconnaît à ce point les écrivains d'Algérie, les
écrivains de son continent. Disons qu'il vieillit et qu'on ne peut
pas demander à un écrivain d'être présent sur tous les fronts!
Qui
sait? Lorsque les femmes, encore trop nombreuses, ne se penseront
plus structurellement préposées aux tâches domestiques,
lorsqu'elles ne penseront plus être le prolongement de la
serpillère, du fer à repasser, du chiffon à essuyer la poussière,
quand elle ne se penseront plus représentantes de l'ordre et de
l'honneur ménagers de leur maisons, elles consacreront sans doute
plus de temps aux arts, aux sciences, à l'amour, oui, qui sait?
Pendant
que je parle, elle me dévisage, ses traits se crispent. Je ne
corresponds pas exactement au modèle auquel elle voudrait que je
corresponde. Forcément, je viens de là-bas. Or,
elle le
sait, je suis libre, plus libre qu'elle ne le sera
jamais.
La capacité de fourvoiement dont nous sommes capables, nous autres humains... Les sentiments qui se trompent, persistent et signent... La capacité d'aveuglement...
Il arrive que la souffrance morale soit si intolérable que l'éventualité de la mort est entrevue comme un arrêt de cette souffrance et le soulagement qu'elle apporte.
Dans le train, en direction de Paris. Lis L'amour soudain de Aharon Appelfeld :
« Iréna
connaît le mot « contradiction » mais elle ne sait
comment l'utiliser. Elle le compare souvent à une épée sortie de
son fourreau, qui menace d'attaquer » P.44
« Je
m'entraînais à être un bon soldat, un soldat qui reçoit des
ordres et les exécute sans broncher. Tout ce que j'avais appris au
lycée – le doute, l'hypothèse, la comparaison, le double sens –
cet apprentissage étendu et subtil était à mes yeux une faute que
je devais payer par des travaux forcés. » P.4
Regarde autour de moi, les gens lisent dans le train. Et de gros livres! Des livres de vacances.
Paris. L'angoisse, devenue une tonne de fatigue, me terrasse. Maux de tête. Nerfs à vif. Courbatures. Am s'occupe de moi, me soigne, me gâte.
Fin de journée, promenade à Montmartre avec Am. Fait beau. Nous admirons de belles maisons, entourées de leur silence. Sont-ils heureux ceux qui y vivent?
Foule insouciante et joyeuse de jeunes gens sur les marches qui mènent au Sacré-Cœur. Dis à Am : « Sais-tu que la Basilique du Sacré-Cœur a été édifiée pour célébrer l'écrasement de La Commune? » « Oh maman..! »
Et alors que nous déambulons dans Montmartre, où l'on s'est appliqué à effacer le moindre souvenir de la Commune de 1871, je rappelle à ma grande que cette Commune-là fut le terreau fertile d'acquis sociaux fabuleux dont nous sommes encore redevables que nous le voulions ou non : la liberté de la presse, la liberté de réunion, la séparation de l'Église et de l'État, l'enseignement gratuit et obligatoire, le repos hebdomadaire obligatoire, l'abolition de la peine de mort... Lui parle de Leo Frankel, un Hongrois, celui-là bien sympathique à mon cœur et qui avait siégé au Conseil de la Commune. Lui récite ces quelques lignes magnifiques : « Considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle; considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent (...) la commission est d'avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l'admission du citoyen Frankel » !
Re-lis Le pur et l'impur de Colette. Ces lignes : « Je perçus au-dessus de moi des froissements d'étoffes, des chutes molles de coussins sur le plancher sonore et le silence se reforma. Mais du sein de ce silence même un son naquit imperceptiblement dans une gorge de femme, un son qui s'essaya rauque, s'éclaircit, prit sa fermeté et son ampleur en se répétant, comme les notes pleines que le rossignol redit et accumule jusqu'à ce qu'elles s'écroulent en roulade... une femme, là-haut, luttait contre son plaisir envahissant, le hâtait vers son terme et sa destruction, sur un rythme calme d'abord, si harmonieusement, si régulièrement précipité que je me surpris à suivre, d'un hochement de tête, sa cadence aussi parfaite que sa mélodie »
Arrivée au Tréport. J'éprouve de la joie.
Longue promenade avec Nad et Flo. Flocques. Puis Ménil-Val. Jardins fleuris. Des parterres de fleurs sauvages de toutes les couleurs dont le rouge des coquelicots. Déjeuner de moules-frites face à la mer. Moment calme, agréable, reposant.
Retour au Tréport. Vers la fin de la journée, premier bain de mer avec Flo. Vaste est le paysage. Vaste est la mer. Je respire. Mon cœur s'ouvre.
Courses
« marines » avec Flo à la poissonnerie municipale du
Tréport. Plaisir d'acheter du poisson frais. Étrilles, moules,
sardines. Avons préparé le déjeuner à trois dans une ambiance
enthousiaste.
Nad
ne nous accompagne pas. Irrémédiable méditerranéenne, l'eau est
froide pour elle! Flo et moi nageons dans la mer fraîche et
vivifiante, longtemps. Ressortons délicieusement épuisées. Les
vagues fortes nous font tomber sur les galets. Pas de sable. Que des
galets.
Me suis arrêtée devant « L'hôtel du Calais », datant du 19ème siècle. C'était un relais de voyageurs. J'entre dans la cour et j'imagine les chevaux, les diligences. Victor Hugo s'y arrêta à deux reprises. Il avait fortement aimé le Tréport.
L'hôtel se trouve dans la rue de la Commune de Paris! Cette rue, si j'ai bien compris, est la plus ancienne du Tréport, longue et large, elle a « regard » sur la mer.
Dans une rue en pente, des magasins pour touristes qui vendent des babioles de toutes sortes. Je m'y arrête, cherchant un bandeau pour la tête. La vendeuse, dans les 45 ans, me demande si je viens de la région parisienne. Elle me questionne : « Vous avez remarqué qu'il y a peu de visiteurs? » Je n'en sais trop rien et le lui dis. « Mais, il n' y a personne! (pas d'acheteurs). Il n'y a plus de travail en France. On ferme les entreprises, on laisse les ouvriers sur le carreau pour exploiter ailleurs les gens. Cela ne peut plus continuer ainsi. Comment voulez-vous que les gens prennent des vacances quand ils ne sont pas sûrs de retrouver leur travail en septembre! » Je perçois sa révolte. Et dans sa révolte, j'entends son inquiétude.
Je continue ma déambulation, remarque les titres des journaux annonçant la mise au chômage de centaines d'ouvriers chez Alcatel, repense à la fermeture de la scierie de la région, vois les pancartes « à vendre » affichées sur les façades des maisons...
Gigot bien grillé, à l'algérienne, avec plein de gousses d'ail, préparé par Nad. Une merveille, comme toujours. Nous prépare aussi un café à la normande : faire d'abord frémir l'eau pendant quelques secondes avec une poignée de grains de chicorée avant de rajouter la mouture de café. C'est très bon. Ai, pour ma part, préparé un cake sous les yeux de Flo.
Température tiède, presque chaude mais cette fois, n'ai pas voulu bouger de la maison. Suis restée dans le jardin, étendue sur la chaise longue, en lisant par intermittence : L'Étoile Vesper de Colette.
Quand elle écrit L'Étoile, Colette ne marche plus, alourdie par son poids, quasi paralysée par l'arthrite. Elle y parle, entre autres, de sa vieillesse : «Comme c'est étrange, une vie d'où se retire toute espèce de malice. Ne plus mentir bénignement, ne plus abuser personne. Ne plus porter mes pas dans la direction imprévue, ne presque plus choisir... je suis entrée dans la dépendance »
Évoque des amis dont Hélène Picard, poète, que j'ai complètement oubliée. Me promets de faire des recherches.
Aimer, c'est se rendre compte des immenses contrées désertiques portées en soi.
Au petit musée du Vieux Tréport. De nombreux Tréportais vivaient du ramassage de galets. Métier très dur. Regarde les photographies, lis attentivement les explications affichées. Je recopie : « Sur l'échelle Mors de dureté des corps, seuls le diamant, le carborundum et l'émeraude sont supérieurs au galet silex de mer... » « Les derniers ramasseurs de galets, Mr et Mme Marcassin, prenaient leur retraite le 1er juillet 1985. »
La croix de grès, visible dans la rue La Commune de Paris, a été édifiée en 1618, d'où elle dominait la mer.
Regarde d'autres photos, représentant des porteuses d'eau. Visages sombres, à l'image de la dureté du métier. Un porte-seau, datant de la fin du 19ème/début 20ème siècle, est exposé à nos regards. Un instrument de torture!
Entre
dans l'église Saint-Jacques. Belle et accueillante. Le chemin de
Croix est relaté dans des bas-reliefs qui ne laissent pas
indifférents : « Jésus tombe pour la première fois sous le
poids de la croix », « Jésus rencontre sa
mère »
« Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix »
« Jésus tombe pour la deuxième fois »
« Jésus
rencontre des femmes de Jérusalem qui pleurent »
« Jésus
tombe pour la troisième fois »... Tellement humain... Et ce
supplice horrible! L'imagination cruelle des hommes, s'exerçant sur
leurs semblables est sans fond et sans limites. Je pense à
Spartacus, à l'écrasement de la révolte des esclaves : 6000
esclavec crucifiés sur la Via Appia, la route entre Capone et Rome!
Et le supplice à ceux-là??? Quels bas-reliefs de quelle église le
relateront?
Je
m'assieds dans l'espace consacré à la prière et à la méditation.
Espace de silence où je me pose, me recueille. Qu'il est précieux
de ne pas parler, de ne pas entendre parler. Ma prière profane est
muette et secrète.
Me promène à « l'intérieur » du Tréport. Rue Alexandre Papin au n° 116, une maison à la porte rouge sur laquelle est accroché un cœur blanc piqueté de deux coccinelles rouges. Porte le nom de « Hauteville House », accompagné d'un croquis représentant Victor Hugo. Rampe Jonas Lefranc, au 6 : Comtesse Yves Carrier Lambert. Rue Docteur Pepin, des maisons qui portent la date de 1885. Des maisons qui ont pour noms « Mon caprice », « Mon désir », « La Musarde », « Serpolette »...
« Ce que nous mangeons se transforme directement dans notre corps. D'une certaine façon, c'est mon premier rapport, très direct, à la terre. En tant que danseuse et avec l'âge, je suis encore plus vigilante sur la nourriture. Mes capacités physiques, ma flexibilité, ma résistance aussi, participent de mes aliments. Je veux continuer à danser le plus longtemps possible. Je suis une danseuse avant d'être une chorégraphe. » Anne Teresa De Keersmaeker, Le Monde, 1er août 2009.
« Le corps est notre maison, notre humanité, ce que nous avons à la fois de plus individuel, de plus universel aussi. C'est toujours à travers lui que je me relie au monde et que je lis aussi le monde. Il porte toutes les traces, presque des cicatrices, des expériences que j'ai traversées. Pour en revenir au spectacle et au mouvement, c'est la verticalité du dos qui me semble fondamentale. La colonne vertébrale concentre l'histoire de l'humanité. Aller vers le haut est le mouvement essentiel. Voler évidemment, comme le désir secret d'une danse. »
« J'aime cet artisanat du métier, cet ancrage dans une routine quotidienne qui permet une réflexion sur le mouvement et la danse. », Idem.
Il lui écrit : Je suis ici. Tu es là-bas. De toi à moi, la distance et dans cette distance le manque de toi, le manque de nous.
Hier à Mers-Les-Bains, avec Nad et Flo, pour une brocante qui n'a pas eu lieu. Promenade, observation, en haut d'escaliers, des toits. Certains toits quasiment blanchis par les excréments des goélands. Corrosifs. Les façades faites en briques rouges. De belles maisons. Les pancartes « à vendre » , comme au Tréport, ne sont pas rares.
Il a fait beau. Sommes allées déjeuner dans un restau, en terrasse, non loin de la mer. Service très lent. Nous ont oubliées. Serait-ce parce que nous étions trois femmes? En longeant la table de deux clientes accompagnées de leurs chiens, un serveur a failli se casser la figure, au sens concret du terme, les bêtes lui ayant marché sur les pieds. Il s'est retrouvé étalé par terre, les plats renversés. Risques inattendus du métier...
En face de moi, un couple, pas loin de la trentaine, se régalant de fruits de mer et de vin blanc. J'ai vu la jeune femme s'essuyer les yeux, elle pleurait. Puis ils se sont embrassés, enlacés. Ils se sont remis à manger et à parler. Et ils se sont encore étreint et ils pleuraient tous les deux, de façon très discrète. J'ai détourné la tête, leur chagrin était palpable. Qui pleuraient-ils? Un bébé qu'ils n'ont pu avoir? Un être aimé disparu? S'aimaient-ils en « cachette », étaient-ils un couple « interdit »? Ils s'étreignaient comme s'ils n'allaient plus se revoir.
Ils m'ont souri. Leurs visages étaient aimables, sympathiques. J'ai eu l'impression que je les connaissais un peu, ces inconnus amoureux que j'ai entrevus sur mon chemin.
Un temps merveilleux, chaud, estival au Tréport. La mer s'est retirée, rendant le sable visible. De nombreux enfants sur la plage, heureux. Des familles.
Ai vu une jeune femme arriver, habillée jusqu'aux chevilles d'une longue jupe en tissu jean, d'un sweat, le visage visible ainsi que sa chevelure noire qui ressemblait à une perruque. Juive intégriste? Les deux petites filles qui l'accompagnaient se sont élancées vers la mer, habillées... Tout de même ces religions qui passent par le corps des femmes!!!
Me suis souvenue d'une femme à Alger, il y a deux, trois étés. Couverte de la tête aux pieds, veste et longue jupe, foulard cachant sa tête et encadrant étroitement son visage, elle était entrée telle quelle dans la mer si attirante. J'étais avec Sam qui m'a dit : « Tu as vu? L'appel de l'eau... Son corps n'a pas résisté! »
Soirée : douceur de l'air, embaumé par les petites roses blanches et fournies du vieux rosier du jardin de Nad et Flo. Dernier soir au Tréport. Ai ramené pour la circonstance une bouteille de ma boisson festive préférée et Nad des ficelles normandes, de la tapenade de poissons. Toasts grillés, encore tièdes, accompagnant nos trois coupes : celles de Nad, Flo et moi-même. Îlot d'affection, de bonheur. Ai téléphoné à Anouar qui n'a pu venir me voir, nous voir et l'ai traité de gredin. Il a ri.
Anniversaire d'Am. 25 ans! Je quitte le Tréport. Nad et Flo m'accompagnent à la gare. Départ direction Lyon. Am m'attend. Le soir, son anniversaire fêté avec Ho.
Retour
du Shérif. Épuisé. Retrouvailles. Chaleur étouffante à Lyon.
Qu'importe. Refêtons l'anniversaire d'Am en présence de son père.
Moment d'apaisement. Chaque seconde est pleine de la présence des
miens. Gracias a la vida.
Écoutons
des chansons algériennes, à la gloire de l'amour profane : « Je
t'aime ô Sarah » (J'adore!) et de l'amour
divin.
Grappille dans Le génie féminin, Colette de Julia Kristeva.
Retour à Besançon. Chaleur. Pluie. L'orage gronde. Ai encore dans les yeux, dans la tête, la mer, les paysages, les falaises du Tréport. Les goélands, les mouettes et parfois des cormorans. J'aime le Tréport. Jours heureux. Grande reconnaissance à ma sœur.
Ai repéré sur le Net, un site représentant Le Tréport en cartes postales anciennes.
Commandements
Avant toute chose, nous ne prendrons pas avec nous nos ordinateurs portables, nous n'irons à nul cyber-café et ne consulterons pas nos boîtes électroniques. Pour quelques jours, le monde tournera sans nous.
Nous laisserons derrière nous l'angoisse et l'inquiétude, les attentes vaines, la multitude des vanités et mesquineries, nous mettrons entre parenthèses nos devoirs et corvées de toutes sortes, nous laisserons nos travaux en suspens... Et que le temps passe puisqu'il passe et passera.
Libres et légers, nous prendrons la direction de l'Italie. Depuis combien d'années Venise attend-elle notre retour? Tu glisseras un CD dans le lecteur de la voiture et la voix de Guerrouabi que tu aimes tant s'élèvera sur la route de notre échappée : « Entre mon amour et moi, seuls mon amour et moi, personne d'autre que mon amour, et nulle place à l'intrus »
Déjà
vous n'êtes plus, jours de lumière et de beauté, jours de Venise!
Et voici que septembre arrive...
18 heures, réunion en vue du prochain Resto Trottoir, le 27 septembre 2009.
Avant la réunion, suis passée à l'une des librairies de la ville. Petit échange avec J-F, libraire, sur sa difficulté de placer le livre d'un écrivain. En littérature française? En littérature maghrébine, africaine et autres? C'était plus précisément à propos du livre d'Anouar, Le Rapt lequel était de toutes façons placé avec les livres de la rentrée. Un écrivain se définit-il par la langue? À mon avis, oui. Il n'y a que la langue qui fait de lui un écrivain. Mais il est sûr que ceux qui écrivent en langue française et qui sont originaires de pays autres que la France brouillent les pistes, mettent à mal les visions binaires.
Matin gris et humide. Dans le train, direction Dijon pour une Ladyfest organisée du 2 au 6 septembre, aux Tanneries. Pour ma part, je n'y assisterai que cette journée.
Traversée par les sensations contradictoires de la vie, du fait d'être en vie, de ressentir le fait d'être en vie.
Les paysages défilent. Peu à peu, une lumière s'y introduit. Trait bleu à l'horizon.
Hier,
non loin de 20H, assisté sur le pont Battant à une fouille au corps
sur un homme qui pouvait avoir entre les 30/32 ans, correctement
habillé. Trois policiers... l'un fouillait, palpait ses jambes, les
deux autres regardaient. Ils l'ont ensuite laissé repartir et ils se
sont engouffrés dans leur voiture.
Le
spectacle était étrange, comme un coup de poing dans l'ambiance
calme de la rue. Cela ne semblait déranger personne. J'ai dit à V.
qui était avec moi : « Nous sommes bien en France? »
Je
voudrais bien savoir quelles étaient les raisons objectives de cette
fouille?
Comment
procèdent-ils, les policiers, au bord de leur véhicule? Ils
regardent les passants et choisissent au hasard? Celui-ci avait la
peau brune, visiblement d'origine maghrébine. Un hasard, sa fouille
au corps? Et d'ailleurs, était-elle légale? Avaient-ils le droit?
Mais je devrais savoir puisque « nul n'est censé ignorer la
loi ».
Hier, journée aux Tanneries de Dijon pour la ladyfest. Linael est venue m'attendre à la gare. Présence sûre et attentionnée. J'apprécie.
Matinée, atelier défense verbale. Très intéressant. Entre autres, dire non quand en soi, au plus profond de soi, c'est non, quelle que soit la demande. Ne pas s'occuper de ce que pourrait penser l'autre de ce non et de toutes façons on n'en sait rien!
Dans
l'assemblée, des hétérosexuelles, des lesbiennes, des
transsexuelles... et quelquefois, la question se pose : elle ou il?
Des
visages très différents, parfois très beaux, souvent jeunes. Des
moins jeunes. Des apparences très diversifiées. La diversité des
êtres humains, touchante, troublante, qui ne laisse pas indemne.
Je
pense à certains de mes amis, ies et is, si sûrs d'être du côté
de ce qui doit être. Ô gens de la norme et de la ligne droite,
traversez vos remparts, l'humanité ne s'arrête pas à la vôtre.
Repense
au film La fille de Monaco (2006)
d'Anne
Fontaine, vu il y a quelques jours à la télé, en compagnie du
Shérif. Pas aimé. En ai gardé une impression vaguement nauséeuse
sans trop savoir pour quelle raison.
Maintenant,
je sais. L'histoire pourrait se résumer à cela : Coalition de deux
hommes pour se débarrasser d'une femme. L'un, le garde-du corps,
pour servir l'autre, l'avocat, la tue en l'envoyant se faire voir par
dessus-bord. Après tout elle le méritait bien, ce n'était
qu'« une
pute », évaporée, futile, vulgaire, ambitieuse, nulle,
immorale, amorale, trop libre de son corps diaboliquement beau, le
donnant de façon immonde à qui veut, quand elle veut.
Un
personnage féminin très chargé titillant la fibre du spectateur
qui applaudit volontiers au meurtre de son prochain ou plus
exactement de sa prochaine. Après tout, elle l'a bien cherché!
Quant
à l'histoire du triangle dont Anne Fontaine semble être la
spécialiste disent les journalistes, bof.
Je
crois qu'elle a surtout joué sur la confusion des genres, média
people/cinéma en puisant son actrice miss météo dans Canal Plus.
Celle-là, Louise Bourgoin, si elle n'y prend pas garde, ils vont la
bouffer toute crue en lui proposant des rôles d'où elle ne sortira
pas, genre « belle garce bête à tuer ».
Il fait beau, aujourd'hui. La journée a été également belle hier. Mais nous l'avons consacrée au nettoyage de la maison. Nettoyage de rentrée!
Relire Les vrilles de la vigne et Chéri de Colette. Lire la revue Cités n°38 pour son dossier consacré à « Wittgenstein politique ».
Toujours
j'aimerais les bibliothèques. Quelle que soit la ville où je mets
le pied, le premier lieu que je cherche, avant le cinéma, avant le
théâtre, est une bibliothèque. Lieu d'accueil et de partage, par
excellence. Quiconque peut y rentrer, en tous les cas en France,
s'asseoir, prendre un livre, le feuilleter, le lire. Écrire,
méditer, somnoler et repartir...
Jamais
blasée quand je traverse le seuil d'une bibliothèque publique, le
sentiment de joie et de reconnaissance à l'esprit qui a en a conçu
l'idée est planté en moi.
Mais
que je suis désolée, écœurée quand certains bibliothécaires
ressemblent à s'y méprendre juste à des guichetiers, n'ayant
aucun goût (savoir?) des livres, et qui ne vous regardent même pas
dans les yeux quand vous vous adressez à eux!
Coup de fil à Annie qui s'est laissée tenter. Rendez-vous à 20h30, Place de la Révolution. Ouverture du 62ème Festival international de musique de Besançon Franche Comté 11-26 septembre, placé cette fois sous le signe de l'Italie. Concerts offerts dont celui du Neapolis Ensemble, un très bon moment, singulier, généreux. Je recopie : « L'Ensemble Neapolis s'inscrit dans l'héritage musical de Naples et, loin de tout cliché, rend hommage à ses habitants au travers de chants traditionnels au contenu social fort, de chants de rues, mélancoliques et gais, bruyants, tendres et hautains. Instruments : guitares, mandoline, flûte, violoncelle, chitarrone, percussion et voix »
Sa mère entre dans la chambre pendant qu'il n'y est pas, elle balaie, essuie la poussière. Elle regarde la photo si familière : trois enfants souriants et sages, assis côte à côte. La sœur, le frère et leur cousin. Trois enfants devenus grands. La sœur et le cousin ont trouvé leur chemin et lui pas, pas encore. Elle prend le cadre entre les mains, les regarde encore, arrête ses yeux sur lui, son petit visage aimant et lui demande : « Dis-moi, que t'a t-il manqué, que ne t'avons-nous pas donné pour t'écarter ainsi de ta lumière? »
Un jour, je serai cynique. J'irai acheter mes livres en grande surface, au moins de ce côté-là, la relation marchande est claire et sans état-d'âme et gare aux libraires qui pleurent sur la crise – et qui soit dit en passant exploitent éhontément leur personnel comme des patrons d'usines – et en appellent au bon cœur des clients!
Guillaume
Apollinaire.
Je l'ai retrouvé, ô merveille! Il m'accompagne là
où je vais. Je le lis des yeux, à haute
voix, le chante : Mon
beau tzigane mon amant/écoute les cloches qui sonnent/nous nous
aimions éperdument/croyant n'être vus de personne Mais nous étions
bien mal cachés/toutes les cloches à la ronde/nous ont vus du haut
des clochers/et le disent à tout le monde...
Musique, musicalité, perfection, beauté de la langue. Toujours bon de faire un tour de ce côté-là. Le recueil Alcools, mieux qu'une bible! :
Templiers
flamboyants je brûle parmi vous
Prophétisons
ensemble ô grand maître je suis
Le
désirable feu qui pour vous se dévoue
Et
la girande tourne ô belle ô belle nuit
Ou bien encore le commencement de « La chanson du mal-aimé » :
Un
soir de demi-brume à Londres
Un
voyou qui ressemblait à
Mon
amour vint à ma rencontre
Et
le regard qu'il me jeta
Me
fit baisser les yeux de honte
De la même « chanson » :
Que
tombent ces vagues de briques
Si
tu ne fus pas bien-aimée
Je
suis le souverain d'Égypte
Sa
sœur-épouse son armée
Si
tu n'es pas l'amour unique
Et le poème « Vendémiaire », magnifique! Un extrait :
J'ai
soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez
toutes couler dans ma gorge profonde
Je
vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris
Vendangeait
le raisin le plus doux de la terre
Ces
grains miraculeux qui aux treilles chantèrent
Ils m'ouvrent la porte. J'entre dans leurs territoires humains, si humains. J'en repars pas tout à fait semblable à moi-même. Accrue, certainement et jamais indifférente, la prescience de leurs secrètes blessures, leur réflexion, leur énergie à vivre s'accumulant en moi.
Hier, échange téléphonique avec Jean-Jacques B. à propos d'un beau programme à venir autour de l'Algérie, du 7 au 14 novembre 2009. Jean-Jacques, un pote même si nous ne nous voyons pas souvent. Promesses de retrouvailles, un de ces déjeuners à la maison, le temps d'interrompre la course et de tailler une bavette.
Miracle. Il a pris ses vêtements, les a mis dans la machine, les a étendus sur le séchoir. Il a nettoyé, ordonné sa chambre. Transporté ses étagères au garage pour les repeindre!
Matin. Bleu, le ciel se déploie. Les couleurs se détachent nettement. Forme précise des toits, ligne verte des arbres. La lumière se concentre, tremble dans les fleurs. Pépiements d'oiseaux, croassements de corbeaux. Le chat des voisins, un chenapan, passe dans le jardin et de sa patte accroche un papillon... Je m'éloigne de la fenêtre, l'odeur du café se répand dans la maison, j'entends ses pas dans l'escalier.
Visages
Visages
amis, visages aimés, visages captivants que l'on voudrait approcher
du sien pour mieux les regarder, les lire telles des cartes de
géographie.
Visages
avenants portant la droiture, la loyauté. Visages jeunes lumineux de
leur jeunesse, éclairant les jours sans soleil.
Visage de cet homme-là traversé par le visage de l'enfant qu'il fut, que l'on voudrait prendre dans ses mains pour lui dire : « N'aie plus peur, regarde devant toi. Ton chemin est bordé d'amour »
Dans l'avion pour Séville. Parce que c'est Séville – Ichbilia - le Shérif m'a proposé de l'accompagner. Participe à un workshop en mathématiques : « Control and Inverse Problems of Systems Governed by PDES »! Assia et lui en discutent déjà pendant le voyage, ordinateur en marche.
Accueil chaleureux de Manolo et de Chari à l'aéroport. Dîner de tapas délicieux...
Laisse les matheux travailler. En solo, retrouvailles d'amour avec la ville. La beauté de Guadalquevir. Les couleurs des bougainvillées, blanc, rose-violet, orange, du laurier rose. Flots de jasmin. Arbres, oliviers, longs et minces palmiers, figuiers. Je marche, le long du fleuve. Séville n'est pas agressive. Il y a de la douceur, de la confiance en elle. Peu à peu, je m'en imprègne. Je suis bien.
Pendant la promenade, coup de fil d'Am. Mention bien. Merci pour toi. Merci pour nous.
Vers 14h, rejoins les matheux au restau universitaire, à l'emplacement réservé aux participants du workshop. Moment agréable. Signe amical d'Arnaud M. Les assiettes ne sont pas avares. Ambiance bruissante.
Laisse les universitaires reprendre leurs travaux. Chaleur de l'après-midi. Résidence universitaire. Lecture de Poèmes à Lou d'Apollinaire. M'exerce à chanter le poème « Faction » :
Amour
vous ne savez pas ce que c'est que l'absence
Et
vous ne savez pas que l'on s'en sent mourir
Chaque
heure infiniment augmente la souffrance
Et
quand le jour finit on commence à souffrir
Et
quand la nuit revient la peine recommence
Rendez-vous encore avec la lumière. La transparence de la lumière. N'ai pas marché, cette fois-ci, le long de Guadalquevir mais de l'autre côté. Dans le parc Maria-Luisa. Y ai déambulé. Colombes blanches. Bel édifice du musée archéologique dans lequel je ne suis pas entrée. Ai préféré prendre du temps pour la visite du musée des Beaux Arts, non loin de la Plaza De Armes.
Visite gratuite, offerte. J'apprécie de lire ces lignes : « Nous vous souhaitons la bienvenue dans ce musée ainsi qu'une agréable visite. Nous vous encourageons à faire la connaissance de tous les musées d'Andalousie et nous vous remercions du lien, désormais permanent, que vous avez crée avec le patrimoine andalou. » Ministère de la Culture de la Junta de Andalucia
Vendredi 2 octobre
Plaisir de vivre ce début d'automne en Andalousie. D'avoir pu capter ces moments. Échanges avec Assia. Fragments de vie. La recherche en mathématiques. La solidarité avec les consœurs. L'université en France. Luttes et inquiétudes. L'Algérie. Les collègues de là-bas. Les voyages. Mexique. Japon. Brésil. Les enfants. Les mères qui vieillissent. Les maisons. Au fond, la passion du travail et de la vie.
Dernier soir à Séville. Visages et voix de Manolo, Chari, Enrique, Rosa, Assia...
Retour au bercail via Paris. Chez Anouar et Nora. Anouar qui suit l'évolution de son livre Le Rapt.
Sur la route, direction Lyon. Visite à Om, hospitalisé à la clinique du Tonkin (Villeurbane). Lorsque Om a débarqué aux urgences, il s'est plié de douleur de 9h du mat à 16h de l'après-midi, sans que personne ne vienne s'en inquiéter raconte Am qui était affolée, n'en revenant pas de tant d'indifférence. Des vieilles personnes geignant, ignorées, « engueulées » même, l'une d'elles ayant eu la malencontreuse idée de tomber et de saigner. Un personnel pas très dévoué, pour n'employer que ce terme.
Sur son lit, sans couverture, Om a grelotté de froid. Quand Am a demandé une couette pour lui, une infirmière l'a envoyé paître. Le comportement a changé quand Anouar, se faisant passer pour un parent pharmacien a téléphoné; quand le même Anouar a fait téléphoner son beau frère, médecin.
Voilà, c'est en France. J'en frémis. C'est cela qui nous attend?
Ta mère de l'autre côté de la méditerranée, aimante, veillante, entrée en vieillesse. Quelques uns de ceux que tu aimes de l'autre côté de toi. Ceux-là que deviennent-ils? Que font-ils, quel air respirent-ils? Qui aiment-ils? Sont-ils heureux?
Mais
pas question de te laisser submerger par la mélancolie. Il fait
tellement beau! Splendeur de l'automne. Couleurs rousses, rouges,
couleurs or et fauve, et le vert qui persiste encore.
Conversation avec le Shérif. Mail de Claire. Et l'appétit d'écrire.
Persiste et signe. La famille, c'est au cas par cas. N'est pas une structure idéale en soi. M'a raconté des horreurs sur sa famille et s'étonne pourtant de ce que j'en ai écrit sur ce journal. Je m'étonne, moi, de cette amnésie, de cette absence de lucidité.
Après tout, avec la chance que j'ai eue, que j'ai d'avoir une mère aimante et bienveillante, un père aimant et solidaire malgré sa sévérité si ce n'est dureté, j'aurais pu chanter ma bluette sur la famille et m'y tenir.
C'est une chance. C'est un cadeau d'être aimé par ses géniteurs. Qui sont des hommes et des femmes, porteurs de leur histoire...
Autour de moi, que d'enfants de trente, quarante, cinquante, soixante ans portant les cicatrices du désamour de leur mère, de leur père!
La famille? Pas rare qu'elle soit « le lieu du pire » de toutes les façons possibles. Et quand on sait que sur ce plan-là l'imagination des humains est sans limites...
Les écrivains, quant à eux, ne sont pas dans la bluette!
Lis à ma mère/50 écrivains parlent de leur mère, Textes réunis par Marcel Bisiaux et Catherine Jajolet, Éditions HORAY, 1988, 2006.
Extraits :
« J'ai été élevé durement... Bon! Cela n'a rien à voir avec les cinq mille enfants martyrs que l'on recense tous les ans en France et dont trois cents meurent des mauvais traitements infligés par leurs parents. Je n'ai quand même pas été à l'hôpital! Cela dit, mois qui suis d'un naturel plutôt affectueux, j'aurais préféré de beaucoup avoir une mère aimante. » Hervé Bazin
« Ma mère n'a pas lu mes poèmes. Elle ne lit strictement rien. Elle ne s'intéresse pas à la littérature, elle n'a aucune idée de ce que peut être quelqu'un qui écrit, qui travaille dans un maison d'édition. Même par curiosité, elle ne s'intéresse pas à ce que je fais ou écris. Je suis passé une fois à Apostrophes et je l'avais prévenue, pensant que cela la flatterait un peu, mais à cette heure-là, elle prenait un bain, et elle n'a pas regardé l'émission. » Marcellin Pleynet
« J'avais six ans quand j'ai définitivement cessé d'aimer ma mère. Un jour où elle et mon père se disputaient, elle s'est mise à pleurer, et je suis allée vers elle pour la consoler. J'ai mis mes bras autour de son cou. Elle m'a brutalement repoussée : « Toi, vas à ton père! » Han Suyin
La même : « Elle me disait toujours que j'étais la laide de la famille! Je le croyais. Je l'avais très bien admis. J'étais laide? Eh bien oui! »
Mail de Peter. Sera à Strasbourg en novembre. Nous verrons-nous après trois décennies?
Hier, reçu de la poste un courrier de la médiathèque Nelson Mandela de Besançon. « Son club de lectures pour adultes fête ses quinze ans d'existence... À cette occasion 15 ouvrages ont été retenus parmi les 550... Votre recueil de nouvelles Rien ne me manque fait partie de cette sélection anniversaire... Le jeudi 22 octobre à 18h, l'Atelier du Pied Levé proposera des lectures de passages extraits des ouvrages retenus. Nous espérons avoir le plaisir de vous accueillir » Plaisir bon à prendre!
Soir. Écoute d'une émission sur la réforme des Universités en France, sur France-Culture. Sentiment partagé avec le Shérif : « C'est la plus grande offensive libérale menée contre l'Éducation nationale ».
Nul
n'est indifférent au sentiment d'admiration ou d'amour qu'il
provoque. C'est, au moins, agréable d'être désiré, aimé même si
l'on n'est pas dans la réciprocité. Mais c'est un jeu bien pervers
lorsque la personne non aimante joue de ce sentiment en ne le
décourageant pas pour le bénéfice de son égo, pour des intérêts
bassement matériels – restaurants, cadeaux et
« avantages »
de toutes sortes (oui!) -, pour s'adonner au goût si répandu de se
jouer de l'autre.
Il
y a quelques jours, j'ai assisté en témoin imprévu à ce jeu-là
entre « elle » et « lui ». Un
spectacle
proprement démoralisant. J'en suis revenue cafardeuse,
m'interrogeant sur les ressorts obscurs des sentiments, sans doute
opaques à celui-là même qui les ressent.
Rendez-vous chez Claire aux Ragots. À pied (aller-retour). Pris le chemin le plus long. Il faisait humide. Le nez en l'air, mes yeux s'aiguisant aux paysages, j'ai salué l'automne.
Retrouvailles avec la copine, autour d'un bon repas préparé par ses soins. Détente. Rires. Nouvelles. Vacances. Nos enfants. Amis communs. Nos lectures. Claire me parle du livre qu'elle est en train de lire La Mémoire Saturée de Régine Robin, Stock, 2003. L'auteur y évoque, entre autres, Pérec pour son livre La Disparition et Modiano pour son livre Dora Bruder. Ce dernier m'avait proprement bouleversée. Il faut que j'en retrouve le résumé que j'avais rédigé pour je ne sais plus quel site internet. L'écrivain a d'une certaine manière comblé les vides, les silences de l'Histoire.
Nos films. Je n'irai pas voir le film de Guédiguian sur le groupe Manouchian. Je ne veux pas voir les visages de Missak Manouchian et ceux du groupe remplacés par ceux des acteurs.
Apprends la maladie d'une amie. Cela me rend triste. Fragilité de la vie. La vie si précaire.
Soir avec le Shérif. Mail d'Annie.
Jacques et moi, avec le guitariste Fayçal Salhi, avions fait une lecture en hommage à Darwich en mars dernier, dans le cadre du Printemps des Poètes. Je l'évoque dans ce journal.
Nous
ne reprenons pas exactement les mêmes textes. En rajoutons d'autres
dont le très beau « L'Art d'aimer »
:
...Q'elle
prenne place, apaisée, comme le jardin à sa pleine floraison
Et
attends-la
Q'elle
respire cet air étrange à son cœur
Et
attends-la
Qu'elle
soulève sa robe qu'apparaissent ses jambes, nuage après nuage
Et
attends-la
Et
mène-la à une fenêtre qu'elle voit une lune noyée dans le lait
Et
attends-la
Et
offre lui l'eau avant le vin et
Ne
regarde pas la paire de perdrix sommeillant sur sa poitrine
Et
attends-la
Et
comme si tu la délestais du fardeau de la rosée
Effleure
doucement sa main lorsque
Tu
poseras la coupe sur le marbre
Et
attends-la...
Mahmoud
DARWICH in La Terre Nous est Étroite et
autres poèmes,
Traduit de l'arabe par Elias SANBAR, Éditions
Poésie/Gallimard,2000.
Bribes de conversation aussi. Résidence d'écriture de Jacques. Sa rentrée. Nos lectures. Il lit en ce moment Les Dieux ont soif d'Anatole France - « je suis sûre que ça te plaira! » me dit-il, connaissant ma passion de la Révolution française. Il y a quelques années, il m'avait envoyé une carte de Bruxelles représentant « Marat assassiné » du peintre David. Nos écritures. Nos obsessions poétiques. M'a offert Cinq poèmes d'Arthur Praillet (1912-1992).
Après-midi,
coup de blues. Pense à ceux qui sont malades.
Lis L'Étreinte Fugitive de Daniel Mendelsohn, Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina, Flammarion, 2009.
De très beaux passages. Réflexion très intéressante sur l'identité, s'articulant sur sa connaissance des cultures grecque et latine, sur sa connaissance du latin et du grec ancien. Plus je le lis et plus je me dis - mais cela, je le savais depuis quelque temps déjà - que la planète hétérosexuelle dont je suis est bien prétentieuse dans ses certitudes binaires.
Un
écrivain gay, assumé, revisitant les « concepts » de
la
filiation, de la paternité, de la famille, du désir, de la honte,
de l'impossibilité aussi du désir... Ce passage :
« Dans
ma génération, il n'y a pas un gay dont la première expérience de
désir n'ait été une sorte d'affliction, qui nous a appris à
associer l'attirance à la honte. Peu importe à quel point elle est
ancienne, peu importe qu'elle ait été supplantée par d'autres
amours plus heureuses, cette expérience primitive nous marque au fer
rouge.
Quand vous êtes désespérément amoureux – je n'entends
pas ça au sens du cliché, au sens figuré, pour suggérer que mon
amour me consumait entièrement, que je ne pouvais y résister, mais
bien à la lettre, parce que dès que j'ai posé les yeux sur P.,
j'ai su que c'était sans espoir,
quel que fût
l'endroit où m'emportait mon désir, je n'y trouverais jamais
accomplissement ni bonheur - , quand vous êtes désespérément
amoureux, vous pouvez toujours échafauder des stratégies, toujours
penser aux diverses façons d'envelopper le bien-aimé dans le tissu
de votre vie pour faire de lui, sinon le « vôtre »,
du
moins qu'il ne soit à « eux » - les autres, les gens
normaux, les gens heureux. » P.101.
Sur le thème de la honte associée à l'impossibilité du désir, à l'impossibilité de l'accomplissement amoureux, je pense aussi à Apollinaire :
Un
soir de demi brume à Londres
Un
voyou qui ressemblait à
mon
amour vint à ma rencontre
Et
le regard qu'il me jeta
Me
fit baisser les yeux de honte
dans « La Chanson du Mal Aimé » du recueil Alcools
Ou
plus clairement :
Je
reste confus je reste confondu
Je
me sens las de cet amour que tu dédaignes
Je
suis honteux de cet amour que tu méprises tant
dans le poème « L'amour le dédain et l'espérance » du recueil Poèmes à Lou
« ... est-ce une passion? Est-ce l'amour? L'amour n'existant pas sans la connaissance intime des plaisirs qui le perpétuent. La duchesse était donc sous le joug d'une passion; aussi en éprouva-t-elle les dévorantes agitations, les involontaires calculs, les desséchants désirs, enfin tout ce qu'exprime le mot passion : souffrir. » Balzac, Langeais.
Rencontre.
Je devais lui écrire et ne l'ai pas fait mais je pensais à elle,
attendant que la source revienne pour que mes mots ne soient pas de
vides coquilles. Elle vient vers moi, souriante et me raconte. Sa
solitude. Le manque de travail. Sans se plaindre, c'est juste une
situation objective. Des hommes déglingués qui la repèrent et se
croient autorisés de la « mater ». Elle écrit des
poèmes. Elle peint. Un peu feu follet. Les femmes ne la supportent
pas, la tiennent à distance.
Je
l'écoute, la regarde et pendant qu'elle parle, je me dis qu'elle est
sûrement « cataloguée ». Les femmes, gardiennes et
reproductrices de la norme, sont féroces envers celles qui ne leur
ressemblent pas. Et ce qui n'arrange pas les choses, cela se passe
dans une petite ville.
Dîner
avec Annie. Pizzas indigestes, mal cuites. Les restaurateurs ne
manquent pas d'air!
Conversation,
entre autres, sur la difficulté d'être soi dans un environnement
« normé », lisse, où il ne faut surtout pas
contester...
Quand
on me parle d'innocent, j'ignore de quoi on me parle. Je n'en sais
que le sens juridique : contraire de coupable. Si c'est pour me dire
: qui ignore le mal, qui ne fait pas la différence entre le bien et
le mal, qui fait le mal sans penser à mal...
Je
connais des êtres innocents dangereux, semant le malheur autour
d'eux, si ce n'est la mort.
Vu
avec le Shérif le film Bonnie and Clyde
d'Arthur
Penn (1967) à la salle
du Kursaâl de Besançon. Une merveille esthétique. Les premières
images pourraient relever du ballet... Son visage à elle (Bonnie),
son visage à lui (Clyde), la rencontre, quand ils se parlent, quand
il se vante et qu'elle le suit en l'écoutant presque en dansant, le
visage émerveillé...
Dur comme un diamant, comme un coup de poing au ventre. On le regarde en sachant qu'en ce monde, il n'y a aucun salut possible. L'amour n'est pas salvateur. La misère dépossède les humains de leurs maisons, de leur dignité, de leur vie. Des êtres déboussolés, dangereux à eux-mêmes et aux autres. Et au-dessus de tout, la violence extrême des maîtres : L'argent, les banques, la police
Des fleurs sur le Doubs en souvenir du 17 octobre 1961.
Couscous fabuleux préparé par Rachid, l'ami le plus cher (en langue arabe dans ma tête). Réunion de matheux dont le Shérif. À un moment, ils se sont lâchés et n'ont plus parlé que de mathématiques. Trop de revues. Trop de publications. C'était fascinant et étrange d'entendre des mots, des expressions que je « connaissais » mais qui avaient des sens qui m'étaient fermés.
Voilà ce qui arrive dans la vie et, encore une fois, gare aux apparences, gare aux certitudes! Un couple semblait s'aimer d'amour tendre, le temps de faire trois enfants, de mener une existence commune avec ses joies et ses difficultés...etc. Puis le couple s'est séparé, brisé. L'homme est parti rejoindre l'homme dont il était amoureux. (Témoignage entendu sur France-Culture).
Reçu par la voie postale un courrier de Claire : « Ce matin, c'est gelée blanche aux Ragots. Je vais prendre le vélo ou mes jambes pour aller à la poste...je ne sais pas encore... » M'envoie des extraits sur Pérec et Modiano du livre de Régine Robin. Ainsi que l'affiche de l'exposition : « 2009, Cinquantenaire des éditions François MASPERO », à Lyon.
Soirée à l'Espace théâtre de Besançon (Planoise) avec Annie. Un spectacle valant la peine d'être vu : Manuel du merveilleux par la Compagnie Système Castafiore (Grasse) expliquant les trente et une fonctions universelles du conte dénombrées par « un certain Vladimir Propp » dans Morphologie du Conte (1928). Décor, costumes, formes, couleurs, mouvements des corps, danse, chants et musique sobres et beaux. Les enfants présents ont apprécié, arrêtant de rire quand la beauté de ce qu'ils voyaient les saisissait.
Quand je pense que des générations d'étudiants de Lettres (dont j'ai été) ont été proprement traumatisées par l'enseignement si aride des fonctions dite de Propp! Il y a véritablement un enseignement pédagogique à tirer des possibilités de l'art, du théâtre...
Cécile Ladjali évoque « l'accent discriminant » des élèves issus des quartiers défavorisés. Elle dit : « À l'oral du Bac, les jury les attendent au tournant avec une massue! Les ghettos linguistiques sont pires que les ghettos architecturaux. »
L'enfer, c'est les autres? Je ne sais. Ce que je sais, c'est que ces autres donnent des coups de griffes, par désintérêt, légèreté. Quelques heures pour que l'effet en disparaisse.
Fin d'après-midi, médiathèque Nelson Mandela : belle lecture des extraits choisis par l'Association « Au pied levé » à partir de la sélection de « 15 titres restés en mémoire » établi par le club de lecture fêtant ses 15 ans en 2009.
Matinée. Répétition « poésie Mahmoud Darwich » avec Jacques M. Travail, lecture, concentration et éclats de rire. Je suis une personne angoissée, impatiente, coléreuse... Qu'est-ce qui fait qu'avec lui, je retrouve une de mes façons d'être qui me constitue aussi : ma propension à la gaité? Peut-être que Jacques est jeune.
Fait beau. Des fourmis dans les pieds. Me faut marcher. Ce sera l'occasion d'aller à la biblio pour emprunter Lettres à Lucilius de Sénèque. Pas voulu reprendre le chemin habituel, celui qui passe par la rue de Vesoul, pour aller au centre ville. Comme une grande, ai emprunté une autre direction et quelques rues, si belles avec les couleurs de l'automne. Me suis tout de même perdue et suis retombée sur la rue de Vesoul.
Ma sortie a été fructueuse. Ai trouvé l'ouvrage que je cherchais, en version latine accompagnée de la traduction française, en cinq volumes. Les ai emportés tel un trésor. Merci, Bibliothèque d'étude et de conservation de Besançon! Merci bibliothécaire compétente et avenante grâce à qui je les ai vite retrouvés!
Courses en vue du lendemain.
Repas à la maison avec des amis. En langue arabe, les amis sont aussi appelés les aimés.
Petit-déj avec le Shérif. Conversation. « Tu les termines, tes Cent et 1 lettres »? Il a raison de me tarabuster même si ça m'énerve un peu.
Entrevois de la fenêtre de mon bureau les couleurs or et rouille de l'automne. L'automne fastueux de Besançon, quand il ne pleut pas.
Après-midi,
en face de l'ordi, en face de mes écritures. Moments intenses et
moments de tristesse.
Mercredi 28 octobre
Concert
de Jazz au Petit Kursaal de Besançon organisé par le Tao
Saxophone Quartet et ses invités en hommage à
l'ami
saxophoniste disparu Jean-Luc Salgues.
Comment
arriver à l'écrire? D'abord, la relation des musiciens à leur
instrument. Saxophonistes, trombone, guitaristes, pianistes,
batteurs, percussionnistes, oudiste... Une relation physique,
charnelle, sensuelle, qui ne laisse pas indifférent, prend au
ventre!
La
musique. La joie qui peu à peu emplit la scène, déborde, saisit
l'auditoire et les connaisseurs qui applaudissent, reconnaissant au
passage une phrase, captant une performance.
Je
ne suis pas une spécialiste mais je crois reconnaître le talent, de
toutes mes fibres. Et ces musiciens qui ne comptent pas leur temps,
prêts à jouer jusqu'au matin!
Et
comme ce fut doux d'entendre Noël Pelhate, saxophoniste, parler de
son ami. Et ces mots : « L'Algérie, la terre de
l'amour... ».
Jean-Luc Salgues et sa compagne s'étaient rencontrés en Algérie.
Matinée, présente au séminaire d'Épiphymaths, pour cause de littérature : « Le soleil dans la science, la religion et la littérature » exposé par François ROUDAUT. Très intéressant. Pistes à creuser.
Après-midi,
avec Gaby venue de Vienne, dans les rues de Besançon. Pause dîner
léger à « La Calabraise », rue d'Arène. Et tout d'un
coup ce sentiment d'être ailleurs que dans le présent. Nécessité
de décoller, de partir.
Matinée, marché. Gaby. Stefan. Arrivée de Tea. Brasserie Café Poste. Rues de Besançon, après-midi.
Soirée,
concert Musiques libres 2009 au kursaal. Promenade
entre deux
concerts, le long du Doubs. De toute beauté. Beauté nocturne qui me
réconcilie avec la ville.
Déjeûner
chez nous, à la Retraite sentimentale avec Gaby, Stefan et Tea.
Repas délicieux préparé par le Shérif. Au fil des conversations,
Tea évoque deux passions : David Bowie et Freddy Mercury.
Raconte que Mercury a chanté avec la cantatrice Montserrat
Caballe, me signale, entre autres et surtout, leur chanson
Barcelona où se mêlent à
merveille leurs voix et
leurs styles, pop et opéra.
Soirée, concerts Musiques libres au Kursaal. Ai en particulier apprécié la prestation de Jacques Bonnaffé, « un acteur pas comme les autres ». Talent. Présence physique intense, les mots des poètes portés par sa voix, son corps. Générosité. Offrande.
Jour des morts ici et là-bas. Anniversaire du 1er novembre 1954, déclenchement de la guerre d'indépendance en Algérie. Oui!
Et
encore Apollinaire, mon amour de poésie :
Non,
je ne veux aucun de ces cœurs que l'on donne,
Ni
de l'aumône humaine exquise aux cœurs ingrats,
Ni
du pieux soulas des grâces des madones,
Ni
de l'amour humain qui fait trop d'embarras.
Tous
les dons sont impurs et les joyaux sont tristes
Et
l'amour est maudit pour ce qu'il peut donner,
Il
n'y a pas encore de cadeaux anarchistes
il
n'y a que la paix quand finit la journée.
Extr, poème « Adieux » in « Il y a » du recueil Poèmes à Lou
« La part la plus considérable de la vie se passe à mal faire, une large part à ne rien faire, toute la vie à n'être pas à ce que l'on fait. » Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 1.
« Tandis que l'on diffère de vivre, la vie court » Idem.
À MÉDITER : « ... crois-tu qu'on a le moindre souci du remède, quand on compte ses tares pour des vertus? Prends-toi donc sur le fait, autant que tu le pourras; informe contre toi-même. Sois d'abord ton accusateur, puis ton juge; ne te fais ton avocat qu'en dernier lieu. À l'occasion sache te désobliger. » Sénèque, Lettres à Lucilius
Jean-Jacques est enfin venu déjeuner à la maison. Difficile de le « capturer » tant il semble ne plus s'accorder de moments hors de la militance.
Atelier d'écriture, 1ère séance, rue Mégevand. Venue à pied. Fine pluie au début. Puis le soleil est revenu. Vu du cimetière St-Claude, que je longe, des arbres qui semblaient irréels tant ils étaient beaux, se dressant telles de hautes flammes dans la transparence de l'air. Flammes d'or, âmes végétales, âmes légères de ceux qui ne sont plus êtres de chair et de sang.
Situations
Situation
1. D'origine tchèque, il parle le tchèque, l'allemand, le
français,
l'anglais et fait même une incursion érudite du côté de l'hébreu.
Part sans rien dire, au bout de 15 années de vie commune, laissant
celle qui fut sa compagne médusée.
Situation
2. J'apprends l'événement. Je suis étonnée, troublée,
presque
effrayée de cette impossibilité de dire malgré cette
« profusion » de langues à sa disposition pour
pouvoir
dire, mieux que quiconque.
Situation
3. Une amie me fait entrevoir cette hypothèse : celui qui
part sans
dire à l'autre pourquoi il part a au moins une raison : cet autre
est quelqu'un qui n'entend pas.
Matinée : belle et fraîche, tonique. Sans pluie, avec un trait de soleil. À pied pour le marché de la place des Beaux-Arts, sac à dos. Ai acheté chez une dame des pommes de son jardin, rouges, vertes et jaunes, ressemblant à celles de l'enfance. Des produis laitiers « faits maison » me dit-on fièrement. Quelques légumes, chez un vieux monsieur qui, discutant avec une cliente, déclare : « Internet, c'est perverse » Et elle, lui répond : « Mais on trouve tout sur internet! Tout! »
Sac à dos rempli, retour, moitié à pied, moitié en bus, jusqu'à la station « Vallon du jour ».
Après-midi, venue de Maïa. Lis, crayon à la main, un livre d'Olivier Blanc, La dernière lettre, Prisons et condamnés de la Révolution, 1793-1794, Préface de Michel Vovelle, Robert Laffont, 1984.
Fin
de journée, à la médiathèque Nelson Mandela, Planoise, pour le
vernissage de l'exposition de photographies et portraits de Claude
Cornu «UN VILLAGE DANS LES AURÈS : NOUADER
1958-1960 »,
présentée par l'Association « À la rencontre de Germaine
Tillon ».
De
très belles photos, esthétiquement et humainement parlant, où les
visages rient, s'offrent en toute confiance! C'était pourtant le
temps de la guerre.
« Claude
Cornu n'avait pas choisi, lui, d'avoir 20 ans dans
les Aurès et
d'y faire la guerre. Mais en revêtant l'uniforme des appelés, il
s'était juré de ne jamais tuer. Les circonstances l'aidèrent à
tenir cet engagement. À Nouader, au camp militaire français, en
contre-bas du village chaouï de Nouader, il fut d'abord affecté à
des tâches administratives, puis après des escapades réitérées
au bord de l'oued pour y rencontrer les plus accessibles des
habitants, les enfants, il reçut l'ordre de mettre en œuvre ce pour
quoi il avait d'abord été sanctionné : s'occuper des enfants en
leur faisant l'école.
Voici donc les fillettes et les garçonnets
qu'il eut pour élèves pendant deux ans. Les voici à la sortie de
la modeste bâtisse qui leur servait de salle de classe, les voici
dans les champs où ils aident au labour ou gardent les bêtes, dans
les rues du village dont l'étagement audacieux se dessine en
arrière-plan, sur les chemins de l'école à la maison, et bientôt
les voilà à l'intérieur des maisons dont peu à peu les portes
s'ouvrent... » Nelly Forget, 21 août 2009.
Mariage de Matthieu, collègue du Shérif, et d'Alina. Lui français, elle roumaine. Cérémonie, mairie, église. Émotion. Bonheur. Découvertes. Matthieu, matheux universitaire, joue du piano. Nabile, attachant, surgissement entre nous de la langue arabe. Martin et la présence, dans sa vie, du chinois, de la Chine, de Taïwan. Facettes des uns et des autres, riches et inattendues. Promesses d'invitations futures, de retrouvailles.
Matin,
l'odeur du café préparé par le Shérif. Conversations matinales.
Il fait beau. Présence de la lumière. Cette lumière qui donne de
l'énergie, amplifie le goût de travailler. Débarrassons vite la
table et reprenons nos travaux : le Shérif, son article de
mathématiques, en cours, moi, mon journal.
L'après-midi,
nous passerons prendre Christine et Cédric pour aller ensemble au
Gymnase de L'IUFM, Fort Griffon, de Besançon, écouter Virginie
CUDEY, au piano. Au programme : Bach,
Mozart, Debussy,
Rachmaninov.
Cela
dans le cadre de Dimanches Musicaux proposés
-gratuits!- par
l'Association DEV'ART. Association qui a
l'heureuse idée d'organiser
des « concerts d'amateurs aguerris, sélectionnés lors du
Festival des Nuits de Besançon.
Écoute
de Virginie CUDEY, jeune femme rayonnante de 24
ans. Sans
partition aucune sous les yeux. Concentration, rigueur, force,
virtuosité. Éblouissement avec Rachmaninov (Étude tableau opus 33
n°2 et Sonate opus 36 n°2).
Et
encore une fois, ma révération pour le talent, derrière lequel se
profile un travail de tous les instants, le respect de soi et du
public.
Coup d'œil dans ma messagerie. Mail qui me fait sourire de Jacques M. pour la répétition de demain concernant le « Moment poétique et musical » dédié à la poésie de Mahmoud Darwich : « Demain presque à l'aube, j'rai chez Soumya; je sais qu'elle m'attendra en robe d'apparat. J'essaierai d'être ponctuel cette fois. Heure LIP, neuf heures au cadran. On travaillera jusqu'à 11heures 45; je ne peux aller plus avant. Contacte AU PLUS VITE Fayçal pour organiser une répétition en commun. La bise et bon onze à toi et au compagon Chérif que j'aime beaucoup aussi ». Mail de Peter.
Soirée. Écoute de France-Culture. Voix familière que je retrouve. Saisie de bribes. Pense à ma mère. À ma fille. À ma sœur. À mes frères. Je ne téléphone pas assez. Quels sont ces jours qui foncent (et fondent) vers je ne sais quelles directions?
Côté « bibliothèque », documentation, publication, internet est un outil formidable que je ne cesse d'apprécier. La possibilité de s'offrir un espace à soi. Possibilité que je ressens comme l'exercice d'une liberté.
9H,
arrivée de Jacques M. pour la répétition. L'ordonnancement des
textes est bien clair, désormais. Nous avons mieux lu certains
textes difficiles, plus difficiles que d'autres dans leur déploiement
rythmique, dans leur densité sémantique. Avons aussi déterminé
les moments de musique que nous proposerons à Fayçal lors de la
prochaine répétition.
Et comme toujours, des pauses de rires, de divagations langagières. Reposantes, rechargeant les batteries de bonne humeur.
Télépathie. Cela sert de penser fort aux aimés. Coup de fil de Nad « pour prendre de tes nouvelles ». Coup de fil d'Am pour annoncer sa venue, le soir même.
Hier, 2ème séance d'Atelier d'écriture, rue Mégevand. Très intéressante, motivante, je dirais même enthousiasmante! Proposé d'écrire sur les images de publicité captées dans la rue. Sur les couleurs. JP a écrit : « Le blanc a obscurcit ma vie » Il y eut aussi le bleu, le bleu du drapeau, des yeux de la mère, le bleu de la nostalgie, du pays natal, de la Tunisie, le bleu de l'émotion... Les mots sont aussi des sons. Moment consacré à leur répétition, à leur découpage en syllabes.
Matin,
le Shérif parti tôt enseigner. Am à la maison. Déjeuner ensemble.
Conversation. Travail sur Cent et 1 Lettres. Un
nouveau
passage écrit. Que vaut-il? Arrêt. Discute avec ma fille. Remonte
au bureau. Continue ma collecte de poèmes écrits par des femmes.
Mon téléphone portable sonne, une voix résonne à mon oreille :
« Soumaya? ». Des décennies après, la voix de Peter.
Am
m'a demandée : « Tu l'as reconnue? » Moi, je reste
étonnée de cette masse de temps qui est passée.
N'ai pas bougé de la maison. Suis restée dans le voisinage de ma fille, qui se repose chez ses parents et qui le dit. Évocation de ses amis de lycée avec lesquels elle a gardé le contact. Ninon qui attend un bébé. Cécile, courageuse, forte « comme un roc », compétente et bienveillante. Thomas, vivant aux USA.
Retour sur Internet. Consulte des sites consacrés à Saint-Just et Robespierre. Et lis encore et encore.
Hier, Linaël accrochait sa crémaillère! Très contente pour elle.
Prends
mes notes pour réviser la conférence de demain dans le cadre du
cycle que j'ai proposé à l'Université Ouverte de Besançon,
intitulé « Lettres à... ».
(Ai
déjà donné une première intervention-lecture ayant trait aux
Lettres à Lucilius de Sénèque. Une deuxième
consacrée à
la dernière lettre de guillotinés de la révolution française.
Celle de demain concernera la dernière lettre de Missak Manouchian, le chef du groupe Franc-Tireur-Partisans/Main-d'œuvre immigrée (F-T-P-MOI) de Paris, écrite quelques heures avant de mourir fusillé avec ses autres camarades du groupe, sur le Mont-Valérien, le 21 février 1944.
Le groupe dit de L'Affiche rouge. Affiche qui s'est voulue infamante parce qu'ils étaient presque tous des étrangers...
J'écris ces lignes et tout d'un coup je me pose la question. Qui a tenu les fusils du peloton d'exécution mettant fin à la vie de Manouchian et de ses amis? Des Allemands nazis ou des miliciens français collabo?
Donc, je prends mes notes et les premières phrases sur lesquelles mes yeux tombent : « Le 16 novembre 1943, Manouchian et Joseph Epstein sont arrêtés par des policiers français en civil... » et je suis en train de les parcourir ce 16 novembre. Mon dieu, quel anniversaire!
J'ai
encore longuement regardé leurs visages. Leurs derniers visages. Ai
retrouvé la belle tête d'Henri Boczov,
l'ingénieur du
groupe, la jeune belle tête bouleversante de Marcel Rayman.
En agrandissant la photo, je remarque la déchirure de sa manche et
ce détail me broie le cœur.
Le groupe de l'Affiche rouge, je l'aime. J'aime les étrangers artisans de liberté. Ces artisans-là, je les ai aimés en Algérie, en France... Où que je sois, où que je vive, je porte en moi la part de l'étranger.
Soirée. Vu avec Annie un spectacle de danse de la Compagnie Paco Dècina (Paris) à l'Espace Théâtre de Besançon. Danseuses et danseurs algues, grenouilles, félins, gazelles. Beauté. Force. Précision. Fluidité. Sensualité perceptible, si perceptible à en troubler les corps de ceux qui ne dansaient pas.
Matinée. Répétition poétique et musicale de l'hommage à Mahmoud Darwich avec notre jeune oudiste, Fayçal Salhi et l'ami Jacques M. Un bon moment.
Après-midi. Répétition en solo des textes les plus durs à dire.
Soirée. Sommes vite allés, le Shérif et moi, voir le film Lettre d'une inconnue de Max Ophuls, « librement adapté » de la nouvelle de Stefan Zweig.
Dans les deux cas, texte et film, la passion sous sa forme terrifiante. Un être humain, une femme en l'occurrence, se démet de sa vie et la dépose aux pieds d'un homme qui la voit à peine, ne se souvient même pas de son nom. Une femme, un homme en dissymétrie. Dissymétrie radicale, mortelle que font bien voir l'écrivain et le cinéaste.
Encore une fois, quel est le ressort de ce sentiment qui fait qu'un être humain englobe de son regard, de son cœur, de son corps un autre humain pour lequel il est quasi transparent, invisible?
Répétition en solo, matinée. Vers 15H30, en route pour Dijon. Voiture conduite par Fayçal, Jacques M. à l'arrière et moi à la place devant. Je nous aime bien, tous les trois dans ce moment que nous vivons ensemble. Mon imagination prend le chemin « buissonnier ». Nous sommes sur la route, nous sommes des saltimbanques!
Arrivée vers 17h à la fac de Droit, Dijon. En Plein colloque : « Quel État Palestinien? Histoire, Réalités et Perspectives » Écoutons les dernières interventions. Retiens celle du journaliste Pierre Barbancey, « Le rôle des médias internationaux », dite avec fougue (enfin! Je croyais que ça n'existait plus!) et conviction. Grand reporter à L'Humanité. Vais désormais suivre ses articles, ses reportages.
Vers 19H et 1/4. Nous trois. Moment poétique et musical du Colloque, dédié à Mahmoud Darwich.
Matin. Dans le bus qui nous ramène de l'hôtel à la Fac où se poursuivent les travaux du colloque, Jacques M. me parle de Michelet et de sa Jeanne D'Arc. Il en parle de telle manière que je me promets de me jeter dessus!
De toutes façons, cela fait un moment que le journal de Michelet fait partie de mon programme de lectures de chevet.
Amphi Guitton, Fac de Droit et Sciences Politiques. Écoute des intervenants. Retiens des mots. Dépossession. Milieux en miettes. Murs. Barrières. Points de contrôle. Matrices de contrôle. Dégradation de l'environnement. Dépossession de l'eau. Mer. Identité. Continuité historique avec l'environnement. Eau virtuelle. Zone en pénurie. Économie souterraine. Marché noir. Centaine de tunnels. Produits de première nécessité. De l'essence et de la nourriture. Dépression collective.
Désormais, je ne verrai plus de pins sans penser, encore plus, à ceux qui poussent en Palestine, à la place des oliviers arrachés.
Après-midi, arrivée de Claire. Avant de reprendre le chemin du retour avec d'autres compagnons de route, nous dînons avec H. qui repart le lendemain à Berlin. Pendant le repas, évocations par les uns et les autres de lectures. Du Journal de Victor Klemperer et de la langue allemande, pervertie par les Nazis. Du dernier livre de Laurent Mauvignier, Des hommes, aux Éditions de Minuit. De la mémoire de la guerre d'Algérie. Du mutisme souffrant des uns. Du trou de mémoire des autres.
Claire
a raccompagné chacun de nous, F. D. et moi, jusqu'à la porte de sa
maison. (Mille bisous!)
Sur la demande de Jo, le Shérif a enregistré l'émission où passe Wassyla Tamzali à l'occasion de son dernier livre : Une femme en colère, Lettre d'Alger aux Européens désabusés, Gallimard, 2009.
Regarde
l'émission. Présence de Loubna Ahmad al-Hussein, la
journaliste soudanaise qui a été passible de 40 coups de fouet pour
port de pantalon, selon l'article 152 du Code pénal de son pays. A
écrit un livre en co-auteur avec une journaliste d'origine libanaise
vivant à Paris. Celle-ci cite les interdictions nombreuses et
diversifiées qui frappent les Soudanaises. J'écoute et je frémis.
Des interdictions que n'auraient pas renié... certaines lois d'un
certain IIIème Reich.
Dimanche austère, de travail, d'écriture. N'en suis pas mécontente. Ai mis en veilleuse les « perturbations» de toutes sortes qui pouvaient m'empêcher décrire. Les vagues s'éloignent.
Asymétries
« Personne ne comprend personne. Personne... » Que disent les yeux? Qui est derrière la peau du visage? Derrière le masque. Les eaux noires de chacun, jusqu'à quel niveau remontent-elles, jusqu'au cœur, jusqu'à la bouche?
Cru faire plaisir et n'ai pas fait plaisir. Cru avoir compris et n'ai pas compris. Quel est cet élan qui m'a dirigée vers cette personne, dégoulinant d'égo, par tous les pores de sa peau? Pourquoi mon élan s'est-il transformé en exacte aversion? Pourquoi n'ai-je pas le talent de la distance? Et celui-là, bloc et ciment, de quelle planète vient-il? Comprends pas. Je crois que je suis devenue analphabète des autres et de moi-même aussi. « LE TEMPS PERDU EST CELUI PENDANT LEQUEL ON EST À LA MERCI DES AUTRES » Boris Vian
Une
autre phrase : « L'abus de travail tue les
sentiments »
de Lautréamont. L'ai relue posément et me suis mise
au
boulot. Cent et 1 lettres. Et
le sourire intérieur est
revenu.
Pour
mon anthologie perso, ai recopié ce grave et beau poème d'Emily
Dickinson :
I reason, Earth is short- I reason, we could die- I reason, that in heaven- |
Je me dis : la Terre est brève- Je me dis : on pourrait mourir- Je me dis qu'au Ciel, Traduction: Claire Malroux |
Soir, tard, juste avant d'éteindre l'ordi, message de Claire. Message doux et attentionné. Vivre, c'est cela aussi. Recevoir la pensée d'affection comme un oiseau léger qui se pose sur votre épaule...
Ces deux-là
Toujours sur le thème « Lettres à... »,Université ouverte de Besançon. Cette fois, lettres d'amour échangées entre Juliette Drouet et Victor Hugo.
Un amour de cinquante années, nourrie de souffrances, de blessures, de désespoir au fil de la vie mais si fort.
Extraits, au hasard :
Elle : « Je te remercie de ta confiance, je te remercie de ta loyauté, je te remercie de ta bonté, je te remercie de ta patience et de ta mansuétude. Je t'en remercie avec un cœur reconnaissant, je t'en remercie avec un dévouement sincère et passionné, je t'en remercie avec humilité et avec orgueil, je t'en remercie avec larmes et avec joie, je t'en remercie avec amour et pitié. »
9 septembre 1851 mardi soir, 8h. In Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard, 1985 et 2001.
Lui : «Je te bénis, ma bien-aimée. L'année qui finit a clos la seconde moitié de ma vie; chaque moitié de trente-un ans; la première moitié passée à t'attendre, la seconde passée à t'aimer. Ce qui me reste à vivre maintenant va s'ajouter à cette seconde moitié, et n'en sera pas distincte, tout en moi étant plein du même amour. Aime-moi... » 1864. In Victor Hugo, Lettres à Juliette Drouet, Fayard, 1964, 1985 et 2001.
Matin, travail. Après-midi douce, si douce à se méprendre sur la saison. Ai rencontré, rue Battant, Val, Véro et Moumoud. Ai visité le prochain local de Resto Trottoir. Les apprécie et les admire.
Direction
médiathèque Nelson Mandela, Planoise. Acheté un coupon de tickets
de bus dans un point journaux-tabac. Il y avait Christine, la
chanteuse de rue, à la voix si belle, même quand elle parle!
Matin, tendresses du Shérif qui va tôt enseigner. Il fait beau. Café juste assez fort. Entre les mains : Les Disparus de Daniel Mendelsohn, en lit les premières lignes : « Jadis quand j'avais six ou sept ou huit ans, il m'arrivait d'entrer dans une pièce et que certaines personnes se mettent à pleurer. », Flammarion, 2007.
Coup de fil de Jacques F, « Grand Jacques » comme je l'appelle parfois. Reparlons du Colloque Palestine de Dijon que j'ai vraiment apprécié, qui se répercute encore en moi. Je pense à vous. S'envole dans quelques jours pour l'Algérie.
Boulot, sur l'ordi. Ai écrit sur mes Cent et 1 lettres. Dans un état de porosité...(ce n'est pas bon!!!) Que vont-ils devenir? Va-t-il être rattrapé par la violence du monde? Va-t-elle le perdre? Je ne sais, j'hésite et pour le moment, elle lui envoie des messages, qu'il reçoit tels des baisers : « Bonjour mon âme, je t'aime » « Comment vas-tu aimé de mon âme? Je veille sur toi. » « Matin de bonheur, n'oublie pas, je t'aime. »
Après-midi, Atelier d'écriture, rue Mégevand. Ils me mettent en joie. Ils écrivent avec tant de plaisir! Que j'aime ce silence, quand ils ont la tête penchée sur leurs feuilles. Recueillement, respect pour les mots qui adviennent, se lient les uns aux autres tels des chainons et deviennent des phrases... Sur les goûts, Ilze a écrit : « Le fade m'ennuie ». À propos « de la meilleure chose au monde » Jacqueline : « Tous les enfants du monde heureux »; Jean-Paul : « la joie »; Isabelle : « Ressentir »; Annie : « Aimer »; Rose-Marie : « la musique ».
À propos de la nourriture, d'une assiette pleine, JP a dit qu'il considérait que c'était une chance de pouvoir manger et que cela valait peut-être bien une prière.
Soir, chocolats noirs offerts par le Shérif. Me suis adonnée au péché de gourmandise avec allégresse! Ai liquidé en quelques minutes tout un « étage ».
Fête de l'Aïd El Kebir. Coups de fil en Algérie.
Toujours
elle vous aura embrassé
Jusqu'à
l'ombre de vous
Jusqu'après
vos pas
Toujours
ses baisers
Auront
parcouru vos visages superposés
Et
ses bras vous auront entouré
Vous
offrant un pays
À
vous seul accordé
Elle
vous a tant rêvé
Au-delà
de vous
Au-delà
de vos apparences
Jusqu'à
la jointure de vos os
Sachez-le
certains jours
Quand
le vent se lève
Et
obscurcit la plaine
C'est
son cœur qui s'alourdit
De
ne pas être auprès de vous
Pour
vous faire advenir
Elle
n'a plus rien à vous offrir
Si
ce n'est la promesse de l'instant
De
l'autre côté du temps...
© Soumya AMMAR KHODJA (poèmes)
Matin déj avec le Shérif. Conversation autour de certaines relations humaines si difficiles. Lui, il sait ne pas s'encombrer, ne pas se laisser entamer. Il écarte et avance. Moi, je me laisse encore submerger. Mais j'apprends aussi.
Après-midi. Quelqu'un m'a donné de son temps et de son attention pour installer une nouvelle rubrique dans mon Site, la rubrique Poésie. Quelqu'un qui ne me dit pas : « Je n'ai pas le temps, je suis surbooké, je croule sous le travail, je suis à la bourre (berk, quelle atroce expression!) alors qu'il le pourrait, mon webmaster, mon matheux préféré, le Shérif.
Voulu faire un tour, marcher, respirer mais il pleuvait. Alors suis remontée au bureau. Essayé de travailler mais la relecture des poèmes sur l'ordi m'a dispersé l'attention.
Parcouru
Nue de Sylvia
Kristel (Emmanuelle qui en
son temps a fait fantasmer, pour ne pas dire un autre mot, la planète
entière!), co-écrit avec Jean Arcelin, Le cherche Midi, 2006.
Ces
lignes : «J'aimerais bien rencontrer mon inconscient. Il doit être
une sorte de bête sauvage au pelage barré, cicatrisé, qui vit dans
l'obscurité, grogne et hurle, un être sans loi, sans respect, sans
pitié pour moi, en souffrance, brut. »P. 220
Mail d'Annie qui m'a écrit en même temps que je lui écrivais. Mail d'Arnaud M. arrivé comme un pigeon voyageur de Clermont-Ferrand. Ai déroulé le message et sur le message il y avait : une chanson de Kent parlant de Prévert! Merci Arnaud!
« Nous
sommes tous un peu nomades d'ici et d'ailleurs »
Coup
de fil à maman de l'autre côté de la Méditerranée. J'entends sa
bonne voix, son rire et cela me réjouit, me rassure. Puis au fil de
l'échange, elle me parle des jours de folie à propos du match de
foot Algérie-Égypte. Moi, je n'ai pas regardé, m'en suis tenue à
l'écart.
Ce
qu'elle me raconte m'attriste profondément. Maman regarde des
chaines arabes. Elle y a vu, entendu des artistes, des acteurs
égyptiens « que nous aimons » dire
les pires
horreurs sur les Algériens et l'Algérie. Du genre : ils n'ont pas
de civilisation, pas de langue, pas d'histoire alors que les
Égyptiens sont fils de Pharaons... L'indépendance c'est grâce aux
Égyptiens qu'ils l'ont eue... etc. Tout cela à propos de foot! Ce
ne sont pas des citoyens lambda qui parlent mais, d'une certaine
façon, la crème du pays!
J'imagine
les méchantes répercussions sur les Algériens vivant en Égypte,
sur les Égyptiens vivant en Algérie.
Je
suppose que les Algériens ne doivent pas être en reste. Quelle
tristesse. Quel niveau affligeant. Des guerres ont commencé de cette
façon.
Aujourd'hui, dans mon cycle « Lettres à... », j'ai lu Lettre au père de Franz Kafka. Kafka avait 36 ans et il ne l'a jamais remise à son destinataire.
J'aime beaucoup cette lettre, radicale et magistrale. Et je ne lui pas fait l'injure de l'enfermer dans une interprétation psychanalytique si confortable et rassurante... Pensez-vous! Kafka était pétri de complexes et de culpabilité! Et même si, et alors?
La Lettre de Kafka interpelle fortement car si nous ne sommes pas tous parents nous sommes au moins tous enfants de. À Lire et à faire lire.
Ces lignes : « Or tu es au fond un homme tendre et bon (ce qui va suivre ne le contredit pas, je ne fais que parler de l'apparence et de son effet sur l'enfant), mais tous les enfants n'ont pas la patience et l'intrépidité de chercher le lieu de cette bonté. »
Ces
lignes encore : « L'impossibilité d'une
relation
paisible a eu une autre conséquence, en somme très naturelle : j'ai
perdu la faculté de parler. De toutes façons, je ne serais jamais
devenu un grand orateur, mais j'aurais quand même maîtrisé le flux
de la langue humaine ordinaire. Mais tu m'as interdit la
parole très
tôt. Ta menace : « Pas un mot de réplique! » et ta
main
levée m'accompagnent depuis toujours. »
Et
encore : « Tu appelais tes employés
« ennemis
payés », ce qu'ils étaient, mais avant même qu'ils ne le
soient devenus, tu me semblais être, toi, leur « ennemi
payant » »
(Je
ne connais pas de vision de relations patron-personnel plus juste!
Demandez, par exemple, au personnel des librairies de votre ville.)
Vendredi intense. Matinée avec Lucie pour préparer le Printemps des poètes, mars 2010. Vers 12h30, ai pris le temps de regarder l'expo « à ciel ouvert », Place Granvelle, de Gilles Porte. Expo intitulée « Syrim, Ibrahim, Malo et tous les autres, Portraits Autoportraits ». Le principe : aux enfants de plusieurs pays, il a été demandé de dessiner leur autoportrait. Chaque dessin est accompagné de la photographie (portrait) de son auteur prise par le photographe. Le résultat est parfois saisissant. Entre autres, les visages graves des enfants du Sri Lanka, la photo de cette petite fille de 5 ans, au visage si triste, aux yeux malades... L'observant, j'ai mis quelques instants à comprendre. En fait, elle portait un foulard sur la tête et son dessin, son autoportrait : à peine un gribouillis, une trace. Mon dieu, elle existerait à peine à ses propres yeux! Bien sûr, il y avaient aussi des dessins et des photographies d'enfants heureux... Ensuite, rencontre imprévue avec Jean-Ph si agréable. Sommes allés nous poser à Identité Café et avons parlé de littérature, de poésie, de lecture de poèmes, de rythme. Lui faisant part de mon cycle de confs sur « Lettre à », j'ai évoqué les lettres qui n'arrivent pas à leurs destinataires, telles les dernières lettres des guillotinés pendant la Révolution française, détournées par Fouquier-Tinville. Et il m'a dit : « Nous, lecteurs, nous devenons leurs destinataires ». Après coup, y réfléchissant, cela m'a bouleversée. Que soient bénis ceux qui cherchent et qui trouvent, ceux qui lisent et ceux qui publient, portant jusqu'à nous l'ultime parole, l'ultime expression de vie de celles et ceux qui allaient mourir et dont nous entendons, au-delà des siècles, l'imperceptible respiration. Vers 14h, nous nous séparons, chacun porté par ses pas. Les miens me mènent au petit Kursaal qui consacre l'après-midi au thème des migrations et surtout au Site Migrations de Besançon. Des interventions très intéressantes, parfois émouvantes. Le tout mené par une chef d'orchestre de talent, Odile chopard sans oublier l'efficace webmaster du Site, Damien Fury. Pendant le Pot, discuté avec Martin M, derrière lequel se profile une histoire familiale et de migration extraordinaire, l'Espagne, l'empire ottoman, le nom coupé en deux... Martin devrait écrire cette histoire, en retrouver les étapes. Il y avait également une exposition qui m'a bien plue, portant le titre Empreintes de Céline BOYER et qui « repasse » à l'Atelier Courbet d'Ornans, du 18 déc 2009 au 14 mars 2010.
Week-end
bonheur, bon à prendre. Avec Am et Ho, Nad et Flo. Prétexte : la
fête des Lumières à Lyon. Tendresses, rires à profusion –
retrouve ma gaité d'enfant avec ma sœur -. Ho m'a offert ma boisson
festive préférée.
Dimanche, à Saint-Étienne, brunch fantastique. Am nous a acheté au marché des galettes et crêpes, des fines et des épaisses fourrées d'oignons et de tomates, faites maison, toutes fraiches. Des galettes comme celles de là-bas, mmm... Vu ensuite l'expo « L'objet du design » (du 1er oct au 28 février 2009) à la Cité du design. Pas mal du tout! Certains objets très beaux, alliant fonctionnalité extrême et épure.
Fin
de journée, sur la route, direction Vesoul, annexe de l'Université
Ouverte.
Sur
place, exposé sur : « Représentations de l'amour dans les
chansons ». Ai proposé le thème de l'initiation,
de la
première fois avec les chansons Trousse
chemise(1962)chantée par Charles Aznavour, Éducation
sentimentale(1974)chantée par Maxime Le Forestier
et Au
suivant(1964)chantée par jacques Brel. Cette
dernière
relate, et de quelle façon! la première fois d'un jeune homme de 20
ans dans un « bordel ambulant d'une armée en
campagne ».
Cette chanson fait toujours réagir, souvent par le malaise.
De
l'initiation, je suis passée à l'institution, déjà
évoquée
dans Au suivant, en l'occurrence
l'armée. De l'armée
à la famille, avec la chanson Ces gens-là
(1966),
écrite et chantée par Jacques Brel.
Famille
où tout est programmé pour que l'amour n'advienne pas. Famille
engluée dans sa façon d'être étriquée, mesquine, dans ses
conventions sociales et ses intérêts financiers : « On ne
pense pas on prie ». « On ne vit pas on
triche ». « On ne cause pas on
compte ».
famille engluée, engluante, complètement fermée.
Si
fermée que le rêve d'amour du narrateur et de Frida est celui du
départ et d'une maison « avec des tas de
fenêtres », « avec
presque pas de murs ». Rêve impossible, il ne donne pas assez
de forces à Frida de partir laquelle se plie et se rend car
« chez
ces gens-là, on ne s'en va pas ».
En
deuxième partie, les amour condamnées qui disent la
différence d'âge entre les amants, elle plus âgée que lui (pour
changer un peu, tiens!) : « Amours
incestueuses »
écrite et chantée par Barbara, Il
venait d'avoir
dix-huit ans chantée par Dalida.
Et
pour finir, avec l'intitulé : « Cette année-là » –
plus exactement 1964, année de la loi Neuwirth autorisant la
contraception – Comme un garçon
chantée par
Sylvie Vartan (+ en passant, évocation de Harley Davidson chantée
par Brigitte Bardot) et Déshabillez-moi chantée
de
manière torride et talentueuse par Juliette Gréco la magnifique!
Après-midi,
dernière conf portant sur « Lettre
à... »
Cette fois, les lettres de Calamity Jane.
Authentiques ou non,
elles sont tout à fait plausibles. « Ce gâchis qu'on appelle
amour » écrit-elle à sa fille.
Très
tôt, des êtres se retrouvent seuls au monde, sans mère ni père
qui aiment et protègent. Le monde impitoyable auquel ils doivent
s'adapter d'une manière ou d'une autre. Ils y vivent, y durent comme
ils peuvent. Ce fut le cas de Martha Jane Cannary dite C J. Les
derniers mots de sa dernière lettre : « Pardonne-moi et songe
que j'étais solitaire. »
Calamity Jane, Lettres à sa fille, traduit de l'anglais par Marie Sully, Rivages poche/Bibilothèque étrangère, 1997.
J'étais un peu triste d'avoir terminé. Au fil des séances, j'ai vu dans leurs yeux attention, intérêt et même quelque chose qui ressemble à de l'affection. Suis partie, imprégnée de leurs visages.
Fin de journée, assisté au Concert de Jazz du Groupe Gerchouine And Fire, quatuor de saxophones au Gymnase de l'IUFM, Fort Griffon. Quatre garçons qui nous ont fait passer un très bon moment. J'adore les musiciens qui habitent l'espace. Leur relation à leur instrument. Ce genre de musiciens, toujours généreux! Et j'adore les saxos.
Soirée à la médiathèque Nelson Mandela. Les photographies de Claude Cornu, que je les aime!
Les visages ne mentent pas. Ils se donnent, s'offrent au regard aimant du photographe. Fraicheur des enfants, dignité et simplicité des hommes et beauté altière des femmes. Leur port, cette façon fière de se tenir assise, droite, de porter leurs bijoux, leurs foulards croisés sur le front et la tête tout en vaquant à leurs tâches quotidiennes... Un regard pareil dans les Aurès, pendant la guerre, est rarissime. Il témoigne de la singularité d'un homme, de « l'individu et ses surprises » comme dit un ami. Oui, ce serait bien qu'un livre puisse réunir ces photos, traces inestimables...
Et pour finir plutôt tardivement, diner au restau avec Claude, Annie, Josette, Jean-jacques. La nuit était belle, les rues de Besançon magnifiques. J'ai rêvé d'y déambuler jusqu'aux aurores. Annie me l'a promis pour une autre fois.
Soirée chez Cédric et Christine. Leurs bons visages. Soirée halte, soirée repos.
La
vie aux angles durs, très durs. La vie aux contours tendres et ses
surprises. Am m'a offert la bague que je voulais.
Incipits
«Et
offre-lui l'eau avant le vin »
Mahmoud
Darwich
1-...Je passerai du côté de votre vie et frapperai à votre porte. Peut-être m'entendrez-vous. Vous m'ouvrirez et me laisserez vous connaître et vous aimer un peu.
2- Je resterai au-delà de votre porte, au-delà de votre rue, de votre ville. Mais vous saurez que j'existe et vous viendrez, pèlerin quêteur, demander l'eau qui sauve et repose. Sur le seuil de ma maison, vers mes mains réunies vous vous pencherez. Et pendant que vous étancherez votre soif, mes yeux caresseront vos cheveux couleur soleil couleur nuage.
3- Et quand vous lèverez la tête, je regarderai votre visage. J'y reconnaîtrai votre regard, la source vive, le jour profond...
Fin de journée. Sur la route vers Vesoul pour ma conférence sur les représentations de l'amour à travers un choix de chansons, Acte II et fin. Mon matheux préféré met en marche la radio, station France-culture, émission en cours, je ne sais laquelle. Captons cette phrase émise par une voix de femme : « Ma mère n'aurait pas accepté que je me marie avec quelqu'un de race noire » Puis, le mot identité qui revient et revient. Je dis au Shérif, avec une sensation de lassitude pesant des tonnes : « Ils me fatiguent avec leurs histoires de race (ils en sont encore là!) et d'identité! Après tout, blancs, jaunes, noirs, rouges, verts, roses bonbon, nous avons tous des intestins adonnés à la même fonction universelle ».
18H30,
Vesoul. Ai déroulé ma thématique autour de l'amour,
commencement du monde, promesse de liberté avec la
chanson de
Ferrat « Deux enfants au soleil » (1962),
de l'amour maladie mortelle avec la chanson Sid'Amour
À
Mort (1987) écrite et chantée par Barbara.
Ensuite,
la rencontre furtive et inoubliable
le temps d'un
baiser avec la chanson de Souchon Baiser volé (2004).
Après
cela, ai proposé celle qui ne viendra pas au
rendez-vous
avec Tu ne viendras pas ce soir (1963)
d'Adamo et
Madeleine (1961)
de Brel. Puis en
dernière étape Portraits d'hommes aimés par des femmes
avec Celui que j'aime (1966)
de Mireille
Mathieu, Mon mec à moi (1988)
chantée par Patricia
Kaas et la toute dernière, Mon homme (2008/2009)
chantée par la jeune, née en 1984, et très
prometteuse
Zaza Fournier.
La
comparaison entre ces trois chansons vaut le détour... L'amoureuse,
avec cette dernière, n'est plus béate et sans nulle exigeance mais
ressent lucidement l'ambivalence de son amour pour son homme (Car
aussi amoureuse que l'on soit, l'amour serait aussi reddition,
étouffement à l'intérieur d'un couple)
« Je
veux ranger ma vie comme on range sa chambre
Et
puis tout dégommer j'ai trop peur de me rendre
Là,
je le fuis
Mon
homme »
Pour terminer, l'amour comme une métaphore avec la chanson Les voyages en train (2006) écrite et slammé par Grand Corps Malade (né en 1977) un bijou langagier!
Si
je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu
pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et la dernière strophe :
Lou
si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
-Souviens-t'en
quelquefois aux instants de folie-
de
jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur-
Mon
sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et
sois la plus heureuse étant la plus jolie
O mon unique amour et ma grande folie
30 janvier 1915, Nîmes.
Que nous sommes étranges, énigmatiques, nous autres humains! Que l'on m'explique pourquoi quelqu'un attend d'autrui ce que lui-même ne donne pas.
Celui-là qui voudrait être aimé alors qu'on se demande s'il a bien un cœur. Celle-là qui ne va à aucune conférence de ses collègues et qui s'étonne qu'il n'y ait personne pour elle. Celui-là qui ne s'enquiert jamais de ce que vous écrivez et publiez et qui trouve naturel que vous vous intéressiez à ses travaux de recherche. Le même qui ne répond pas aux invitations de vos lectures publiques mais qui trouve normal que vous assistiez à ses exposés. Cet autre qui ne répond qu'à la partie des mails qui intéresse sa seule personne... Celle-là qui n'invite personne, qui ne dit pas bonjour, qui ne s'arrête pas et qui ne comprend pas que les autres ne la voient pas. Celle-là toujours qui ne pose aucun regard d'intérêt sur les autres pour leur demander comment ils vont, ce qu'il font et qui voudrait être pourtant l'unique sujet de conversation de toute une soirée. Cette personne-là qui évoque continuellement l'opacité des autres et qui ne se rend pas compte que son propre regard est obscurci, aveugle aux autres...
Moi-même, qu'est-ce que je ne donne pas aux autres? Qu'est-ce que j'attends d'autrui que je ne lui donne pas?
Elle, en face d'elle-même, solitude. Elle vient aussi de là, son arrière-pays. Quand la mélancolie devient une marée noire, elle lui fait part de cette solitude. Il lui répond : « Moi, je ne suis pas seul. Tu es avec moi. Je suis avec toi »
On peut être universitaire scientifique, enseigner de longues années et demander, sans ciller : « Qui c'est? » à l'évocation du nom d'Émilie du Châtelet.
Non seulement, on ne s'est pas aventuré dans les territoires de la culture générale, méconnaissant gaillardement le patrimoine intellectuel mais on a vécu, on vit dans son pays, sa société en étant sourd, aveugle à ses écrivains et philosophes contemporains vivants. Qui écrivent livre après livre, exposant, explorant, développant les idées, enrichissant la réflexion, provoquant des débats contradictoires et forcément passionnants... On peut avoir enseigné de longues années à l'université et ne pas connaître Élisabeth Badinter et ne pas en rougir. Entre autres nombreux ouvrages, Badinter a écrit Madame du Châtelet, Madame d'Épinay ou L'Ambition féminine au XVIII siècle, Flammarion, 2006.
« Tombe la neige ». Matin déj avec le Shérif. Conversation. Après son départ, cours à mon ordi travailler à mon journal. Venue de Maïa. Me confie qu'elle aimerait quitter Besançon pour aller vivre non loin de Paris pour être près de son frère. « Cela fait 7 mois que je ne l'ai pas vu! »
Sarah dit : Pour avoir un peu vécu, je sais maintenant qu'on peut inventer de toutes pièces un sentiment et appeler ça passion. Qu'on peut y perdre son temps et son énergie et parfois sa dignité... Ne pas aimer et croire qu'on aime. Ne pas désirer ce corps-là et croire qu'on le désire. Mystère du vide...
Hier, dernière séance de mon Atelier d'écriture, rue Mégevand. Visages de Suzanne, d'Annie, de Micheline, d'Ilze, d'Isabelle, de Jean-Philippe...
Ces
quelques jours, ai vécu, avec la neige autour, comme dans un espace
insonorisé, loin du monde. Retrait blanc et tiède.
j'ai
cette chance. Au programme, lecture , écriture et rêverie.
Ce
matin, plus de neige sur les toits « comme une carte
postale »!
N'en suis pas mécontente. Vais enfin sortir et marcher, marcher.
J'en jubile rien que d'y penser. Merci mes jambes, merci mes pieds.
Sur mon chemin, j'ai rencontré
Hélène qui m'a appelée de sa voiture, rue de Vesoul. Hélène, toute jeune femme, claire et rousse, souriante et généreuse, ouvrant sa maison, donnant de son temps. Prenant sa vie en mains, sillonnant les routes dans le cadre de son travail. Sa vue, un rayon de soleil.
Françoise, rue Battant, qui venait à mes conférences et que je n'ai pas revue depuis quelques années. Nous nous sommes regardées quelques instants et... reconnues. Grands sourires de part et d'autre. Bises échangées. Me dit des paroles chaleureuses. Me dit aussi qu'elle se déplace beaucoup et n'ai pas osé demander où et pourquoi?
Bertrand, quelques pas plus loin, à Battant encore, et qui des yeux cherchait... quoi donc? « La devanture du nouvel horloger de la rue » Nous regardons ensemble et trouvons vite. Dans cette rue, régulièrement, les boutiques « épicerie fine » et autres de thé, de chocolat et d'habillement ferment et rouvrent sous d'autres appellations.
Annie R., Grande Rue, faisant ses toutes dernières courses de Noël. Des fruits confits pour sa sœur, « son péché mignon » et des petites voitures pour ses neveux. « Et toi, me demande-t-elle, où en es-tu de tes courses? » « Moi, je n'aime pas et ne sais pas faire. C'est Am qui s'en occupe »
J'aimerais bien dire aux miens : s'il vous plaît, ne nous faisons pas de cadeaux! Contentons-nous du bonheur de nous voir et de partager la table. Mais...
Ai encore croisé Bertrand qui me dit quelques mots sur l'horloger « qui a plein d'anciens objets, des réveils, des montres... » et soudain me demande « Tu vas bien? » « Je réponds banalement « Oui, ça va plutôt bien » « Ah moi, je n'ai pas le moral! » Et je saisis ce qu'il veut exprimer car nous sommes en temps de régression. Le cassage en marche des IUFM, des Universités, le « débat » indigne sur l'identité dite nationale, les suppressions envisagées de disciplines – l'Histoire, entre autres - dans certaines classes, les tentatives tonitruantes de récupération nauséeuse de toutes sortes, parmi elles la panthéonisation d'Albert Camus (« IL » n'a pas dû voir la tombe de Camus, une dalle toute simple avec de la lavande...), cette façon de faire accepter aux gens que le travail est un luxe alors qu'il est un droit, oui, la férocité et la vulgarité érigées en expression politique, la démagogie, le mensonge... etc. Etc. Etc. Etc.
Bertrand poète qui a écrit :
Il
a fait froid ces derniers jours à Besançon
si
froid qu'avec la bise le beau temps persiste
mais
c'est l'hiver et je pense à toi (Jean-Baptiste)
aux
psaumes, au mépris... sais-tu que des glaçons
se sont formés dans nos fontaines?...
in Battant, Bertrand Degott, La Table Ronde, 2006.
Jacques F., Grande Rue toujours, avec son grand cartable. Revenu du Sud algérien depuis quelques jours.
Et pendant tout ce temps où je déambulais, échangeant avec les uns et les autres, m'arrêtant devant des vitrines, entrant dans deux librairies – les autres, je n'y mets plus les pieds - une pensée ne me quittait pas, comme en surimpression. Celle concernant l'énigme persistante des relations humaines, des sentiments. Une personne qui a compté et dont l'importance s'est désagrégée « au moment même » où j'ai compris que nous ne partagions rien (Et j'ai repensé aussi à cette autre, A. Qui avait tant signifié pour moi à tel point que pendant longtemps Paris avait eu son visage et les rues de Paris avaient été aussi celles qui menaient à son quartier, à sa maison où j'avais ma place. Puis un jour... défaite de la pensée, défaite de l'affection. Et que cela fût possible...)
Et l'obscurité est tombée. Je n'ai plus rencontré personne. Il a un peu plu. J'ai ouvert mon parapluie et suis retournée sur mes pas jusqu'à la maison.
Après le dîner, ai téléphoné à M. en Algérie. M. qui a perdu, il y a quelques jours, son frère âgé de 60 ans, d'une crise cardiaque. De ce qu'elle me confie, je retiens ces mots : « Ma vieille mère malade, amoindrie, est comme une bête blessée depuis la mort de son fils. »
Soirée, ai réfléchi à mon choix de textes pour le Récital du Printemps des Poètes 2010 avec Selim Khelifa et sa guitare -et autres objets sonores, m'a-t-il dit. Consulté assez longuement le Site Poezibao de Florence Trocmé et lu aussi des passages de son Flotoir. Pris des notes.
Puis, livre de chevet Les Disparus de Daniel Mendelsohn que j'apprécie et que j'ai un peu trahi, détournée par d'autres livres. Mais je lui reviens.
À vous, au bord.
Escale
1
Au
bord de votre visage
J'approcherai
J'y
chercherai votre regard
La
source vive
Le
jour profond
Au
bord de votre visage
Je
m'arrêterai
J'y
chercherai la voie étoilée
le
chemin sûr la mélodie
Au
bord de votre visage
Je
ferai halte
J'y
chercherai la pente douce
Le
trouble fort la connivence
Au
bord de votre visage
Je
ferai escale
Votre
visage
Que
de mes doigts
J'effleurerai
© Soumya AMMAR KHODJA (poèmes)
2
ô
vous entrevu
inattendu
pays
qui
me laissez
enfin
parcourir
de
mes lèvres
le
sel de vos rivages
moi
obstinée
venue
d'un pays
de
roc et de silence
© Soumya AMMAR KHODJA (poèmes)