Journal: année 2009

Soumya Ammar Khodja


Vendredi 2 janvier

 Lis Regardez la neige qui tombe, Impressions de Tchekov de Roger Grenier. Vraiment très bien.
Du coup ai relu Le violon de Rotschild et autres nouvelles de Tchekov, traduit par André Markowicz. J'aime Tchekov. J'aime Markowicz. Tchekov

Samedi 3 janvier

En Algérie, les langues se sont fait la guerre.

Jeudi 8 janvier

L'insignifiance de la vie. Pas loin de minuit. Cette impression-là serait-elle en train de se retirer comme une marée? (J'ai encore mal)

Vendredi 9 janvier

Anniversaire. Promesses. Programme. Allégresse.
Atelier d'écriture : « C'est où chez vous? »
A faire lire à mes amis enseignants : « L'homme intelligent aime à apprendre, l'imbécile à enseigner » Tchekov

Mardi 13 janvier

Conférence de Michel Brugvin. Mes notes : Sur le site de l'Unesco, 12 définitions du mot migrant, insuffisantes et incertaines. Les Algériens auraient un parcours plus diversifié (?). Double appartenance :authentiquement chinois et authentiquement français. Flux nouveaux, des milliers de migrants, traversées à haut risque. Représentations actuelles de l'ailleurs. S'ancrer là où l'on s'arrête. Prix psychique. Retours impulsifs, compulsifs. Du nord : leurs enfants habitent ailleurs. Humanité: pas décisif de son histoire.

Mecredi 14 janvier


Prévoir plusieurs casquettes. La casquette Adèle. La casquette Entretiens pour le Site Migrations. La casquette Poésie. La casquette Site perso. La casquette Aso.

Jeudi 15 janvier

« L'ignorance n'est pas un argument » Spinoza
« Tout bon raisonnement offense » Stendhal

Vendredi 16 janvier

Anniversaire d''Anouar.
Le « manque psychique » - le blanc, le noir, le vide, le trou, l'absence en soi – n'est pas la seule raison qui pousserait à questionner l'identité. Mais la confrontation aux autres remet en question la « stabilité » de notre identité! Non? Elle n'est pas d'accord. Elle tient à sa tranquillité, à ses certitudes.
J'ajoute la casquette Cent et 1 lettres. Créer un rythme, une dynamique. Insuffler de la vie, des événements, des descriptions. Recopie quelques messages de la narratrice adressés à son aimé pour le Festival des mots d'amour de Baumes les Dames:

1-mon inconnu mon étrange mon familier
mon lointain mon proche mon dissemblable
mon doux mon grand mon tendre
mon précieux mon méchant mon un peu brutal
mon opaque mon égotiste mon un peu enfant
mon lumineux mon intéressant mon admirable
mon silencieux mon parcimonieux mon généreux
mon choisi mon désiré mon aimé
je ne voudrais pas que tu partes
Je ne voudrais pas que tu meures.

2-Toi au nom si cher si cher, ce n'est pas tout toi que j'aime. C'est quelqu'un de toi que j'aime. Et non l'autre de toi énigmatique. Quelle est ta part de ténèbres?

3-Quel livre ouvrir, quelle musique choisir, quel pas de danse esquisser pour fêter ce jour? Ce matin, vers 10 heures, tu as téléphoné.

Mardi 20 janvier

Téléphoner à maman. Téléphoner pour un autre entretien. Entourer sur le calendrier la date du 20 mars : Lecture-Hommage à Mahmoud Darwich avec Jacques moulin et Fayçal Salhi dans le cadre du Printemps des poètes.

Mercredi 21 janvier

Pétition de soutien aux trois libraires de Camponovo, licenciés. Hervé, le 17-01-2009 a écrit : « C'est étrange comment les choses s'articulent dans notre système. Dans la plus grande violence qui est cette passivité à laquelle nous sommes tous attachés, nous faisons simplement le constat de ceux qui tombent. »

Vendredi 23 janvier

Depuis à peu près neuf ans, j'anime des Ateliers d'écriture. Pour la première fois, j'ai eu affaire au racisme. Un vomissement de haine, un visage ravagé, tordu. Me suis sentie salie et suis restée calme et lui ai demandé de partir.

Mercredi 28 janvier

« Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur qui fait très mal, comme la mort de quelqu'un de plus cher que nous-mêmes, comme si nous étions repoussés dans les bois, loin de tous les hommes, comme un suicide, un livre doit être la cognée pour la mer glacée en nous. » Kafka.

Vendredi 30 janvier

 Aujourd'hui, dernière séance de l'Atelier d'écriture et je n'en suis pas mécontente.
Pour la suite, pour moi-même, écrire sur la langue. Etre forte.

 Samedi 31 janvier

 « L'homme parle pour autant qu'il répond à la parole. Répondre, c'est être à l'écoute. » « La langue est la maison de l'être » Heidegger
« ...j'aime beaucoup la langue française qui est peut-être mon véritable pays! Mais si on considère la France, comme nation, je dois dire que je me suis rarement identifié à ses impératifs. » Le Clézio.
Lire :  Prague, hier et toujours de Tecia Werbowski, Les Allusifs.

 Lundi 2 février

 Anniversaire du Shérif. Me suis sentie forte de sa présence et forte de la présence d'Am. Ces deux-là, mes deux arbres. Ils sont à ma gauche, ils sont à ma droite, de quelque côté que je sois, je peux m'appuyer contre eux. C'est ce que je pensais lors de la soirée d'anniversaire. You et Om. L'amour circulait telle une rivière joyeuse. Rires, paroles et chants m'ont consolée de la peine d'hier.
« Écrire des lettres, c'est se mettre nu devant les fantômes. Ils attendent ce geste avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à leur destination. Les fantômes les boivent en chemin »  Kafka, Lettres à Milena.
A son futur éditeur,  Kafka a dit : « Si au lieu de publier mes manuscrits, vous me les renvoyiez, je vous serais beaucoup plus reconnaissant »

Jeudi 6 février

Je bute, je n'ai pas de mots pour écrire, décrire sa perversité. Il y a en elle une créature proche de l'araignée immonde... et quoi encore... perverse, sadique, dangereuse, qui s'est offert son propre enfant. En établissant, entre ses enfants, l'inégalité et l'injustice. Elle voulait ma caution. Je ne veux plus entendre parler d'elle!
Si l'écriture est une mise à distance, elle est aussi le contraire de cette mise à distance. Incursion. Elle va jusqu'au bord de la folie des autres, elle en a l'intuition, elle la devine. Exténuée.

Mardi 10 février

Ecrire parce qu'on perçoit la fragilité des limites. Après les limites, la noirceur. Aller au-delà de soi?
Que découvre ma narratrice avec cet amour? La mélancolie de la vie, la sensation du vide, l'incomplétude. Pourquoi?

Mercredi 11 février

S'éloigner du réel. La littérature, c'est aussi ce qui aurait pû être/devrait être. Est-il possible d'être satisfait de sa vie? Est-il possible d'aller vers sa mort sans se dire : ai-je assez aimé? La passion appauvrit, désensibilise. Quelle est la part d'éternité de chacun?

Dimanche 15 février

« Solitude. Je ne crois pas comme ils croient. Je ne vis pas comme ils vivent. Je n'aime pas comme ils aiment. Je mourrai comme ils meurent. » Marguerite Yourcenar

Lundi 16 février

Le temps passe, impunément, lentement, sûrement. Et tout d'un coup, il s'emballe et nous laisse au bord du chemin, exposés et sans recours.

Mardi 17 février

« Assez de questions; elles dormaient très bien aux enfers; pourquoi les appeler à la lumière? Elles sont grises et tristes et elles ont de quoi rendre les gens tristes et gris » «  Ma place est au plus profond du silence, c'est là ce qui me convient »  Kafka , Lettres à Milena

Vendredi 20 février

(Voix off : Mais pourquoi as-tu fait payer ton enfant? Que t'a-t-il fait? Jamais je ne te pardonnerai, jamais je ne te pardonnerai de me l'avoir dit, d'avoir voulu ma caution. Écrire tout cela, fidèlement, posément. Dire un jour à l'enfant : n'attend plus, ne cherche plus, elle ne reconnaîtra rien. Libère-toi et vis ta vie. La tienne.)

Samedi 21 février

Ma narratrice : « Cet amour au coeur, comme une balle »
« Quand on écrit, tout est fictif et tout est réel et même plus : plus c'est fictif, plus c'est réel. Je crois bien même que les écrivains n'ont pas de vie personnelle et tout ce qu'ils écrivent est, a été ou sera réél. » Emmanuelle Pagano

Dimanche 22 février

Je t'ai vu âgé de cinq jours, bébé adorable avec plein de cheveux, à quatre mois et au même âge sur la poitrine de ton père qui semblait si heureux de ce poids. Je t'ai vu petit garçon de huit/dix ans et tu semblais si sage. Je t'ai vu aux côtés de ton frère, vers l'âge de douze/treize ans, avec ton sourire clair et décidé, accueillant le monde. Je t'ai vu jeune homme de dix-huit ans descendre les marches d'un train, poser un regard émerveillé sur le paysage – d'où venais-tu? Où arrivais-tu? Je t'ai vu vers les vingt-cinq/vingt-six ans sourire à celle qui te photographiait et dont tu étais, je crois, amoureux. Je t'ai vu boudant. Je t'ai vu, l'air étrange. Je t'ai vu vers la trentaine, les cheveux longs, portant de larges vêtements, remonter des escaliers, la bonté se dégageant de toi.

Lundi 23 février

« Écrire, c'est sauter hors du rang des assassin » Kafka
Relire, aller et venir. Vérifier le rythme, il ne doit pas se casser, s'infléchir, oui, mais pas se casser.
Je commence à percevoir. Je pourrais écrire, ce que je devine en elle : une masse vivante, visqueuse et noire, sadique, jouissant du mal qu'elle fait. L'apparence? Une apparence cherchant la forme de l'élégance, trompant son monde. Qu'est-elle aux yeux des autres? Une femme courageuse élevant seule ses enfants. Intouchable. Insoupçonnable.

Vendredi 27 février



Lire: Lettres à Georges, Veza et Elias Canetti, Albin Michel.



Je pense à Méphisto. Celui du film d'Istvàn Szàbo (1981) et celui de Klaus Mann (1936). Le film, je l'avais vu en Algérie et je ne l'ai jamais oublié. De compromis en compromission, on vend son âme au nazime, à l'intégrisme...

Samedi 28 février

Terminer les 2 entretiens : avec le monsieur dont le père était russe. Avec Hsin-O TSAI, artiste peintre, née à Taïwan. Mettre au point mes propositions d'intervention pour l'Université Ouverte. Lire Darwich.

Mars

Ai un peu lu Darwich. En ce moment, essaye de terminer mes deux pages sur Marguerite Yourcenar et Jerry Wison pour mes Cent et 1 lettres. J'ai un peu ramé cette fois. Elle disait que la vie « n'était pas nécessairement une bonne chose ».
Ce soir, sauf changement de programme, dîner en ville avec Isa.
(Tu refuses ce qui vient simplement à toi. Tu préfèrerais souffrir, attendre)

Mercredi 4 mars

Travail avec Jacques M., chez lui, autour des textes pour la soirée Darwich.

Vendredi 6 mars

Ça y est! Mon site personnel commence à être clair! Grâce au Shérif qui a été d'une patience... J'y vois plus clair.
Rachid  L. m'a offert deux recueils de poésie de Mahmoud Darwich, dans leur version arabe.

Dimanche 8 mars

Journée des droits des femmes dans le monde.

Lundi 9 mars

Isa, il y a quelques jours, m'a promis le beau temps. La grisaille est encore là. Juste un trait de lumière.
Par quoi commencer aujour'hui? Mon écriture perso, coûte que coûte , pendant la matinée. Je lève les yeux (portrait de Virginia Woolf) pour avoir du courage. L'après-midi en deux temps : l'un pour préparer le « Cours hors les murs » avec Adrienne et l'autre pour préparer l'hommage à Mahmoud D. M'y tenir.
Mépris profond, arrogance des gouvernants de ce pays pour tout ce qui relève de la recherche universitaire et de la culture. Nausée.
Hier soir, tout d'un coup mon ordinateur s'est arrêté. J'ai eu peur. Me suis empressée, avec l'aide du Shérif, d'enregistrer mes textes en cours sur la clé.
A 18H, chez Elisabeth C. Elle a sorti les photos de sa famille italienne pour notre entretien. Touchée par ces visages : les ancêtres italiens. Ceux aussi des grands parents migrants accostant en France, pour arriver à Besançon.

Mercredi 11 mars

Matin : écoute La Callas. En face de mon ordi. Lève les yeux et lis le plan de travail d'Henry Miller affiché sur le mur. Premier commandement: « Travaille en fonction du programme prévu et non suivant ton humeur. Arrête-toi à l'heure dite »

O.K chef! Programme : écriture perso à la maison. Rédiger « Le féminin d'artiste n'est pas muse » pour le « cours hors les murs » et tordre le cou à l'humeur! Mais tout de même un peu de soleil ferait du bien.

Vendredi 13 mars

Au café Marulaz de Besançon. Cours hors les murs avec Adrienne. Expérience qui vaut la peine d'être vécue. Ces jeunes, les regards attentifs, ce cercle d'attention. Discussion intéressante sur le genre, la sexualité. Tout n'est pas si simple. Il paraît que l'école reconduit largement les constructions sociales du masculin et du féminin.

   Mardi 17 mars

   Hier, beau temps! Marche, aller-retour. Ai rencontré Boris qui était en recherche d'appart., hésitant encore un peu entre ville et campagne. Et Rafik H. comédien et conteur qui m'a parlé des difficultés de plus en plus grandes du métier.

  Mercredi 18 mars

Il fait beau, clair et froid. Très agréable. Répétition avec Jacques M. et Fayçal S. pour notre Hommage à  Darwich . Une belle matinée partagée. J'aime les répétitions. Vers 13 heures, sommes allés avec J. et Claude Andréoni à la brasserie de la poste. Un de ces moments sympas dans une journée.

Cette belle phrase d'Elias Canetti, extraite d'une lettre à son frère : «Adieu, mon bien cher Georges, et que ton océan de tendresse ne s'évapore pas très vite. Je me contenterais même d'un restant de sel, pour peu que tu en glisses dans une lettre et m'en envoies souvent. Ton frère Elias, qui ne s'est pas encore remis de la beauté du mot frère. » Lettres à Georges, Veza et  Elias Canetti , Albin Michel, 2009.

Jeudi 19 mars

Je me suis retenue d'aller à la grande marche de protestation. Suis restée à la maison et j'ai répété toute la journée. Besoin de cela. Me ramasser, me concentrer sur les textes et leur appropriation sonore. Ai pourchassé mes facilités, mes défauts de langue, mes « fourches », les dissonances. Je n'aime pas entendre un lecteur « fourcher ». Il en perd presque de sa crédibilité. C'est pour cela, entre autres, que j'ai admiré la prestation de Stéphane Kéruel dans Et donc je m'acharne! Un texte difficile, des mots découpés, morcelés, reformulés, recrées, un souffle, une rapidité, une énergie et pas une fois sa langue n' failli!
Certains textes de Darwich sont très durs à dire. Comment dire : « La terre ne nous contient plus. Elle nous entasse dans le dernier passage. Nous ôtons nos membres pour passer. La terre nous pressure. Que ne sommes-nous son blé pour mourir et vivre. Que n'est-elle notre mère pour nous avoir en pitié... » Quand je sais -sans parler de Gaza et des massacres de populations – que les Palestiniens, entre autres maux, souffrent d'enfermement. Les camps. Le mur. L'enfermement enserre les cœurs, les poumons, le corps, le souffle au sens concret. Il est maladie. Cette étroitesse de l'espace n'est pas une métaphore mais une réalité. La terre natale qui enferme, étouffe, devient portion congrue. Je crois que je n'ai pas trouvé la note « juste » pour le rendre. Limites. Impuissance.

Samedi 21 mars

Hier, à la médiathèque de Besançon : «L'exil de la maison », notre Lecture-Hommage à Mahmoud Darwich , avec Jacques Moulin et Fayçal Salhi au oud. Il y avait du monde. Des amis étaient là. Bonheur de préparer, de partager, de donner. Bonheur de l'écoute.
J'ai lu des extraits du poème écrit pour Edward Saïd, dans leur version originale, en arabe. Avec crainte (de mal faire), modestie, respect et jubilation. Encore et toujours, je constate que, pour moi, la poésie est la médiatrice par excellence pour retrouver, aller vers une langue. Que ne l'ai-je su plus tôt!

Dans une autre lecture publique, j'avais lu deux poèmes en hébreu auquel je ne sais rien. Guidée et conseillée, j'y avais beaucoup travaillé et j'en garde un souvenir fort. Mon rêve serait de lire Le cantique des cantiques, ou du moins des passages, en hébreu et en arabe!


J'ai découvert Carlo Bordini, poète italien contemporain que je ne connaissais pas. Un de ses textes : SARÒ UN PO' MENO DI QUELLO CHE SONO
Sarò un po’ meno di quello che sono,
e anzi, molto meno. Polvere. Ho perso molto.
Ciò che si perde è irrecuperabile, e se lo si recupera esso
è ormai disperso, non rientra più nell’ordine prestabilito
delle cose. Sono contento
se di me non rimane che un lieve
involucro. Ho perso
molto. In questa levità,
ciò che più importa è l’essenza di acuti,
che tutto sia tondo e raccolto. Basta
questo. Tutto ciò che è devastato può divenire rotondo,
ancora rotondo. Come un vaso. E’ ancora possibile.
La polvere può essere recuperata. La polvere era una volta
detriti. Ora la polvere non è detriti,
è lenta friabile. La polvere
è un pò meno, ma può essere
tenuta insieme. Le ferite
possono diventare polvere, raccolta
e conchiusa. Sono contento
di non capire le cose. La loro
ragione. Vi sono cose che ignoro, e sono
contento. Appaiono come misteri,
tranquille. Ad esempio,
la ragazza che incontro sempre, mi ama
o no ? Non lo so. Sono contento
di non saperlo. Sono contento di non sapere
se l’amo, o meglio, so che non l’amo, che potrei
amarla ; sono contento
di non sapere se avrei potuto amarla. Questo mistero
mi rassicura più del suo amore.
E’ bello non sapere. Non sapere, ad esempio,
quanto vivrò,
o quanto vivrà la terra.
Questa sospenzione
sostituisce l’eternità.


Sa traduction française :
Je serai toujours un peu moins que celui que je suis

Je serai toujours un peu moins que celui que je suis,
et même, beaucoup moins. Poussière. J'ai beaucoup perdu.
Ce que l'on perd est irrécupérable, et si on le récupère il
est désormais dispersé, il ne rentre plus dans l'ordre préétabli
des choses. Je suis content
s'il ne reste de moi qu'une légère
enveloppe. J'ai perdu
beaucoup. Dans cette légèreté,
ce qui importe le plus est l'absence des aigus,
que tout soit rond et recueilli. Cela
suffit. Tout ce qui est dévasté peut devenir rond,
rond encore. Comme un vase. C'est encore possible.
La poussière peut être récupérée. La poussière était autrefois
décombres. La poussière n'est pas décombres désormais,
elle est lente friable. La poussière
est un peu moins, mais elle peut être
rassemblée. Les blessures peuvent devenir poussière, recueillie
et ramassée sur elle-même. Je suis content
de ne pas comprendre les choses. Leur
raison. Il y a des choses que j'ignore, et je suis
content. Elles apparaissent comme des mystères,
tranquilles. Par exemple,
la jeune femme que je vois toujours, m'aime-t-elle
ou non ? Je ne le sais pas. Je suis content
de ne pas le savoir. Je suis content de ne pas savoir
si je l'aime, ou mieux, je sais que je ne l'aime pas, que je pourrais
l'aimer ; je suis content
de ne pas savoir si j'aurais pu l'aimer. Ce mystère
me rassure plus que son amour.
Il est beau de ne pas savoir. Ne pas savoir, par exemple,
combien je vivrai,
ou combien vivra la terre.
Cette suspension
remplace l'éternité.

Carlo Bordini, Incipit de
Poussière/Polvere, Alidades bilingues, 74500 Évian-les-Bains, 2008, traduit de l’italien par Olivier Favier.

J'ai eu entre les mains l'édition bilingue des poèmes d'Emily Dickinson. Lisant, au fil de mes envies, poème après poème. En anglais, en français, puis de plus en plus rien qu'en anglais, le rythme de la langue s'installant en moi:

Emily DickinsonWe learned the Whole of Love-
The Alphabet-the Words-
A Chapter-then the mighty Boouk
Then-Revelation closed-

But in Each Other's eyes
An Ignorance beheld-
Diviner than the childhood's
And each to cach, a child-

Attempted to expound
What Neither-understood-
Alas, that Wisdom is so large-
And Truth-so manifold!


Traduction :

Nous apprîmes le Tout de l'Amour-
L'Alphabet-les Mots-
Un Chapitre-puis le grand Livre-
Puis-la Révélation fut close-

Mais dans les yeux l'Un de l'Autre
Nous lûmes une Ignorance-
Plus divine que celle de l'Enfance-
Et chacun à chacun, en Enfant-

S'efforça d'expliquer
Ce qu'Aucun-ne comprenait-
Hélas, que la Sagesse soit si vaste-
Si multiple-la Vérité!

Magnifique texte! Et ces deux beaux vers :

It is the Ultimate of Talk-
The Impotence to Tell-

Traduction :

C'est l'Ultime de la parole-
Que l'impuissance à Dire-

Extraits, Une âme en incandescence, Poèmes, traduits et présentés par Claire Malroux, José Corti, 1998.

Dimanche 22 mars

Annie m'a invitée hier soir au théâtre Edwige Feuillère de Vesoul pour aller écouter Souad Massi. C'était très agréable. Souad, grande jeune femme à la voix longue, claire, douce. Je suis convaincue qu'elle n'a pas encore donné toutes ses possibilités. Elle reste encore a être révélée à elle-même. Trop sage, trop douce, « retenue ».
Guitariste, entourée de trois musiciens très bons : guitariste, oudiste et surtout le derboukiste-percussionniste, magnifique, d'un talent époustouflant. Des mains et doigts puissants, magiques. Il a joué un moment seul, sur la scène, tenant en haleine le public qui réagissait par des « avec toi! » « avec toi! » en langue arabe – présence d'Algériens dans la salle -. C'était comme un moment d'amour, souffle et rythme, cœur et sang, prolongé comme une caresse cherchant toutes les résonances possibles d'un corps. Mais j'ignore son nom. On oublie trop souvent que les musiciens qui accompagnent une chanteuse, un chanteur, sont pour beaucoup dans leur réussite et leur succès auprès du public.

Lundi 23 mars

Visions

Planter ses dents dans l'autre, dans le corps de l'autre, le contrôler tel un douanier : « Où étais-tu? Que faisais-tu? Avec qui étais tu ? » et appeler cela fidélité.

Marcher sur le corps de l'autre, qui pleure, supplie et tombe, pour rejoindre l'autre autre et appeler cela agir ouvertement.

En soirée, invités chez des amis. Il est tard de son point de vue, 23 heures. Elle veut partir, il veut rester. Elle fait la gueule, une sombre gueule. Il fait mine de l'ignorer et continue de converser avec leurs hôtes mais son air finit par l'excéder. Il cède, ils partent et s'empoignent dans la voiture, cela s'appelle un couple (et même pas vieux!)

Jeudi 26 mars

Je l'avais dans la tête, tapie quelque part dans mes neurones. Depuis quelques jours, j'en fredonne l'air sourdement sans la reconnaître. Et voici que tout d'un coup, elle jaillit : Drouot, la chanson de Barbara!
Je cherche le CD, le retrouve, le met en marche et la voix cassée s'élève – cette voix-là que je n'avais pas aimée au début et que j'aime beaucoup maintenant (avec des inflexions riches et inattendues).Une chanson visuelle, bouleversante. Une vie vendue, réduite à quelques billets de banque.

« Vous êtes sur terre, c'est sans remède » Hamm dans Fin de partie de Samuel Beckett

Vendredi 27 mars

Réunion avec les organisateurs du Colloque Palestine à Dijon. Pour trouver la salle Théma, Fac de Lettres, rue Mégevand, j'ai dû chercher non parce que je ne la retrouvais pas mais parce que les issues était bloquées par des chaises. Deux étudiantes connaissant « d'autres chemins » m'y ont menée, patientes et gentilles. Sans elles, je crois que je repartais bredouille. Je crois en l'humanité!
Réunion intéressante et sympa. Il y avait Juliette au nom si joli et elle-même jolie, à la gracieuse chevelure. Née à Dijon et ayant vécu ses six premières années à Alger, ses parents y étaient enseignants.

Samedi 28 mars

Il lui écrit : « Je ne sais pas ne pas t'aimer. Je ne sais pas ne pas t'aimer même si je ne te vois pas, ne te parle pas, ne t'écris pas »

Dimanche 29 mars

Am et Ho sont là. Un bonheur. Tous réunis, la maison s'emplit. Moment privilégié de l'existence, où la course (vers quoi?) s'arrête. Partage de la table, écoute des un et des autres, rires, détente.
Am à un tournant de sa vie. L'enfance s'éloigne. Nous nous retrouvons et discutons, seule à seule. Ma fille.

Lundi 30 mars

Hier, passage à l'heure d'été. J'aime les soirées claires, le jour qui se prolonge, ce qui me permet d'envisager tranquillement des retours à pied, assez tard.
Il fait assez beau. Le printemps va-t-il cesser d'hésiter? Trop long hiver. Fatigue qui perdure.

Ce passage à lire, relire, faire lire, à afficher :
« Lorsque les gens ne sont plus maîtres de leur destin, les faibles sont poussées à fuir la réalité. Nombreux étaient ceux que leur imagination repoussait exclusivement dans le passé, qui ne parlaient que de leur foyer et devenaient ainsi victimes d'une sorte de dissociation de la conscience. Cela faisait obstacle à leur adaptation, la rendant parfois impossible et débouchant sur la perte de leur capacités de résistance. D'autres s'efforçaient d'échapper à la réalité du camp en régressant dans un état d'irresponsabilité adolescente, infantile, en se conduisant comme des gamins, en adoptant des attitudes ineptes. Je trouvais étrange la façon dont changeaient les réactions des détenues aux événements les plus terribles. Lorsque nous entendions parler de condamnations à mort, d'opérations expérimentales, de transports de malades et autres horreurs, la stupéfaction, le désarroi ne duraient que fort peu de temps, quelques minutes seulement. Puis les femmes pouvaient recommencer à rire et à échanger les propos les plus futiles sur la vie quotidienne du camp.
Qu'un détenu réussisse à s'adapter à la réalité du camp, qu'il parvienne à surmonter le choc qu'il a subi en perdant la liberté, et il commence à changer imperceptiblement. Le stade suivant, que traversent pratiquement tous les détenus, est celui de la résignation, de l'acceptation de la fatalité. Dans cet état, son sentiment de sympathie, de solidarité avec les autres s'affaiblit, voire disparaît complètement; sa résistance interne aux contraintes qu'il subit diminue, il perd peu à peu sa dignité face aux SS et finit par se soumettre. Certains s'identifiaient même aux SS, devenant les complices de nos bourreaux. Le plaisir que l'on éprouve à exercer un pouvoir est l'un des aspects les plus sombres de l'humanité que révèle l'existence au camp. Des femmes qui obtenaient un poste de responsabilité au camp changeaient de personnalité au fil des jours; détenues opprimées et souffrantes, elles devenaient des maîtres-sûres d'elles-mêmes, impérieuses, arrogantes. De tels individus transformaient la vie des autres en un tourment perpétuel » Margarete Buber-Neumann, Milena, Seuil, 1986.

Om revenu de la Fac : a participé au rassemblement étudiants toutes disciplines confondues, rue Mégevand. Vote : pour ou contre le blocus de la Fac des Sciences. 753 ont voté sur mille six cents étudiants. Résultats : 473 ont voté pour le blocus, 63% donc...
Rendez-vous jeudi à Paris pour occuper la Bastille!

Mardi 31 mars

Si je devais croire et adresser ma prière à je ne sais quelle divinité, voilà quels seraient mes mots : « Donnez-moi le détachement! Détachez-moi de ces futiles attentes, de ces banales griffes, de ces égos plus bas que terre... Donnez-moi de la hauteur et laissez-moi voir les aigles! »

Mardi 1er avril

Au petit-déj, j'en parle au Shérif de ma prière qui me dit : « Les aigles, ce n'est pas toujours bien ». Je sais, c'est une boutade mais enfin... Je devrais accéder au détachement. Car si je devais faire un sérieux ménage en moi, n'y laisser que ce qui importe vraiment, sans doute serais-je bien allégée. Se coltiner les égos de certains, à la longue, c'est y laisser son énergie.

Elle me parle de sa nostalgie, sa nostalgie inguérissable. Je voudrais lui dire d'en finir car elle s'empêche de vivre le présent et de voir mais de quel droit?

Tous, nous poursuivons une ombre même quand nous possédons. Une part de nous reste vide, absente même quand nous sommes comblés. Oui, « nous sommes sur terre et c'est sans remède » Autant ne pas l'oublier et faire avec.

Il fait beau. Printemps, installe-toi enfin. Reste avec nous. Lis La vie de Tchekov d'Irène Némirovsky, Albin Michel, 1989 (1ére édition, 1947, chez le même éditeur).
Un ton à la fois agaçant et attachant. N'apprend rien de nouveau sur Tchekov sauf que le personnage qu'il a essayé de jouer – détaché, surtout pas amoureux d'une femme – le rattrape à la fin de sa vie. Cette Olga Knipper qu'il a épousée m'est encore plus antipathique.

S'il me restait encore quelque naïveté et innocence, elle les a bien lézardées. J'y pense encore. Cela me revient par vagues et me submerge. J'ai découvert « en direct » que la perversité avait le masque de l'élégance. Sa perversité a consisté aussi a enlever brusquement le masque et à me laisser voir son vrai visage. Elle voulait ma connivence. Toi aussi, n'est-ce pas? Non, pas moi aussi! Je n'ai aucun goût pour l'injustice, la dévalorisation, exercées jour après jour, avec délectation, pendant des années sur un être humain. J'ai détourné la tête et j'ai pleuré.

Vendredi, samedi, dimanche

À Paris. Mariage de Lyès qui a été un jour un petit garçon que j'ai tenu dans mes bras. Bénédiction religieuse-Mairie-Soirée festive, amicale et familiale. Musique. Danse. Retrouvailles de ceux de « là-bas et d' « ici ». Les générations se succèdent. La vie passe.

La famille. Pour beaucoup, les plus terribles blessures, définitives et inguérissables y sont données là. L'amour maternel est une imposture. Les êtres ne valent que par eux-mêmes et non par leur situation familiale. Un père peut être un salaud pour ses enfants, pareil pour une mère. Sauf que cette dernière s'abrite derrière la mythologie sociale. Être mère ne fait pas de vous un être bienveillant « de nature » pour ses enfants. Une mère peut démanteler posément, en toute conscience, en toute hypocrisie, en toute tranquillité ses enfants.

Je connais des adultes non remis. Comment en serait-il autrement quand ceux qui vous ont donné la vie ont exercé sur vous l'injustice, vous ont inculqué la certitude que vous n'étiez pas aimable? Ceux qui vous ont donné la vie ne vous aiment pas. Comment sortir indemnes de cela? Il n' y a pas que la violence sexuelle qui profane un enfant. Un père, une mère peuvent attenter à un enfant sans violence physique et sexuelle. C'est plus facile, plus commode. Pas de preuves, impunité assurée.

Il fut un temps, pas lointain, où je disais à l'un ou à l'autre qui me racontait : « Ne lui en veux pas, oublie, pardonne, c'est ta mère, c'est ton père » Aujourd'hui, je ne le dis plus car aujourd'hui je sais. Je sais les dégâts intérieurs, le désastre.

Avant, je savais extérieurement, intellectuellement. La Bible ne parle que de cela, toutes ces histoires atroces autour du fils préféré, de l'inégalité établie entre les enfants d'une même fratrie... Je repense aussi, ces temps-ci, à L'Est d'Eden, le roman de Steinbeck et au personnage de la mère, perverse « sans remède ». C'est le souvenir que j'en ai gardé...

J'ai rencontré T et R qui m'ont parlé de désamour, de désaffection, de solitude à deux. Les années passent, l'âge se profile et elles sont dans un labyrinthe. Trouveront-elles la sortie?

Mardi 7 avril

Écoute le CD D'Île en Île, Tao Saxophone Quartet offert par Noël Pelhâte. Lui même y joue : « La grue blanche déploie ses ailes ». Très agréable.

Une saison est partie. Une autre revient. Elle lui écrit : « D'où me vient cet engouement pour l'absence et le silence? Tu es absence, silence, du vent... »

Très tôt le matin, il a fait beau. Ai-je entendu le merle? Les arbres fleurissent.

Ses paroles me reviennent : « Les Algériennes en Algérie ne courent pas forcément après le mariage. Elles savent qu'un mari ce n'est pas le nirvana! (J'ai ri). Et s'il y a tant de célibataires parmi elles, c'est parce qu'elles sont exigeantes »

Tout est compliqué, contradictoire. Oui, des femmes sont exigeantes (combien?) et d'autres ne le sont pas (combien?) qui s'affolent, terrorisées par l'hypothèse du célibat à vie et épousent des tocards qui ne leur arrivent pas à la cheville. Et les tocards ne sont pas rares.

L'image sociale dominante est bien la suivante : une femme « normale », dans les rangs, est une femme mariée, avec enfants.

Des vies bien tracées comme leurs jardins et leurs allées, c'est bien, ça fait vivre vieux. L'imprévisible, l'inattendu, l'émotion qui vous empoignent, vous ébranlent, ça fait battre le cœur à mille à l'heure, fait monter la tension, effectivement ça peut être dangereux!

Où ai-je lu cela : les hommes sont des fantômes de fantômes? J'y repensais alors que je m'interrogeais sur la « nature » et la force des sentiments. Ne croyons-nous pas ressentir certains sentiments? Ne les inventons-nous pas de toutes pièces? Fantômes les hommes, fantômes leurs sentiments. L'existence est parfois cela : un monde qui croit exister et n'existe pas. Un monde hanté par ce qui a été, ce qui aurait pu être.

Des vies bien tracées qui font barrage à tout bouleversement. Voici ce qui doit être, voici la norme, la tranquillité, notre travail, nos vacances, notre emploi du temps, nos enfants et les loisirs de nos enfants. Quoi la grève? Le désordre, l'inquiétude, les acquis sociaux qui faisaient la France rognés, mis à mal? Quoi, la république en danger, des générations de jeunes attendues par le chômage et le désespoir? Quoi, des gouvernants qui crachent chaque jour leur mépris et cirent les bottes des super-riches du monde? Mais en quelle langue parlez-vous? Ce n'est pas la nôtre. La langue que nous comprenons c'est celle de nos vies à nous, rien qu'à nous, le reste ne nous importe pas. Que sombre l'univers tout entier si cela ne dérange pas nos vies, rien que nos vies!

Ce jeune homme que j'avais cru doué de mille talents et d'abord celui de n'être pas comme les autres serait-il juste imbu de lui-même, plutôt égoïste et volontiers brutal? Cette jeune fille que j'avais crue singulière et brillante serait-elle juste un peu manipulatrice et assoiffée de reconnaissance? Cette femme mûre que j'avais crue bienveillante et compréhensive serait-elle juste perverse et avide?
Me suis-je trompée à ce point?

Mercredi 8 avril

Mettre en marche l'ordinateur. Relire-réécrire, d'abord et avant tout, tel est le programme de la matinée. Dans cette îlot de temps, n'exister que pour cela. Promis? Promis.

Vers la fin de l'après-midi, rassemblement devant le Palais de justice de Besançon pour protester contre le délit de solidarité. 300 personnes, aux dires de Clo.

Suis remontée à pied. Il faisait beau et j'ai eu chaud. Me suis arrêtée devant un des jardins des maisons qui bordent le chemin, suffoquée par cette évidence : c'en est fini de l'insouciance. Tout fait mal, la présence et l'absence.

Jeudi 9 avril

Ce matin, avec ma narratrice. En suis sortie, sans carapace. J'ai fermé les yeux, très fort, comme un enfant, imaginant cet autre-là, si loin, si proche, si réel, si peu palpable. Une ombre? Un être réél qui va bientôt paraître, offrant son visage à mon regard.

Il a fait beau. Vers un peu plus de 13H, ai grinotté et me suis assoupie au soleil, prenant ma dose de vitamine D. Reposant et agréable.

Le garçon ne travaille pas. Colère. Désespoir. Impasse. Il admire les Palestiniens en lutte. Je lui ai dit : « Par respect pour eux, travaille, toi qui en a les possibilités »

Vendredi 10 avril

Il/elle doivent devenir aussi vivants, aussi rééls que s'ils existaient. Aller vers eux, c'est aller vers des personnes vivantes plus vivantes que les vivants.

Il fait beau. Soleil chaud. Toute la matinée, écriture. Ai encore retravaillé ma première page. Changé l'incipit. Ajouté des éléments qui risquent de faire changer la suite.

Samedi 11 avril

« Ce bel étranger que reste malgré tout l'être qu'on aime » Hadrien dans Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar

Dimanche 12 avril

Il a fait beau. J'ai attendu la fin de l'hiver, l'entrée dans le printemps pour avoir ce rhum/sinusite.
Ai fait des rangements, entrecoupés de pauses de repo

La question flotte dans l'air. Qu'est-ce qui fait durer un couple?

L'amour, quelle que soit son expression au fil du temps, la compréhension, le partage du monde, son échange, sa découverte, les coups durs, les mauvais moments, les disputes, les orages, les tempêtes, les portes qui claquent, les assiettes qui volent parfois, l'estime de l'autre, l'admiration de l'autre, la sévérité, la sincérité, les encouragements de l'autre, les conversations, le partage des forces et des faiblesses, le partage de coups de coeur, d'enthousiames, les fous rires, les virées à deux, la douceur, la tendresse, l'impatience et la patience, le respect de l'autre, de sa liberté, de ses besoins de retrait, de sa solitude nécessaires... Cela s'apprend, difficilement souvent, la société ne prépare pas à cela et surtout, surtout, l'assurance indéracinable que l'autre est votre recours, votre tanière, votre protection, votre soutien quand le monde entier pourrait vous accuser, vous condamner, vous abandonner.

Pensant à G. et N., je me dis que la haine aussi fait durer un couple. Le ressentiment, la fureur, les reproches continuels, le mépris... c'est du ciment qui fait tenir.

Elle raconte : « Cette rencontre manquée m'a laissée un regret. Un regret qui ne veut pas disparaître, qui persiste. Vieillirais-je, mourrais-je avec ce regret-là? Après ma mort, je le chercherai encore. »

Lundi 13 avril

Sérieusement mal en point : sinusite-gorge-nez. Automédication : ai trouvé à la maison ce qu'il fallait.

Lis Comment lire un livre de Virginia Woolf, L'Arche Éditeur, 2008.
Recueil d'articles qu'elle avait écrits les années 20 et 30 sur les auteurs élisabéthains. Une délectation :

Woolf«... la femme connaissait un obstacle de taille : on pensait que l'écriture seyait mal à son sexe. Il arrivait ici ou là qu'une grande dame, à laquelle le rang garantissait la tolérance et peut-être même l'adulation d'un cercle servile, écrive et fasse imprimer ses œuvres. Mais c'était un acte inconvenant pour une femme de rang inférieur. « La pauvre femme doit être un peu égarée, jamais elle ne pourrait se rendre plus ridicule qu'en se risquant à écrire des livres, et en vers encore », s'exclama Dorothy Osborne quand la duchesse de Newcastle fit publier l'un de ses livres. Pour sa part, ajoutait-elle, « même si je ne dormais pas pendant quinze jours d'affilée, je n'en viendrais pas là » Et ce commentaire est d'autant plus éclairant qu'il provient d'une femme de grand talent littéraire. Si elle était née en 1827, Dorothy Osborne aurait écrit des romans; si elle était née en 1527, elle n'aurait jamais écrit. Mais elle était née en 1627, et à cette date, même s'il était ridicule pour une femme d'écrire des livres, il n'y avait rien d'inconvenant à écrire des lettres. Ainsi, le silence se dissipe progressivement; nous commençons à entendre des bruissements dans les fourrés; pour la première fois dans la littérature anglaise, nous entendons des hommes et des femmes bavarder ensemble au coin du feu... » Article « Les Lettres de Dorothy Osborne », p. 69-70.

Mercredi 15 avril


Lu quelques beaux messages de dignité, de prise de position publique, de résistance par des enseignants, à l'Université. Même si pas concernée personnellement, toujours bon à prendre pour le moral par les temps qui courent!
Stephen Frears, à propos de son film Chéri : « Le roman de Colette est impressionniste. Il capture quelque chose d'infiniment délicat, à propos de la relation entre les deux personnages, et au sujet de chacun d'entre eux. Une liaison entre un homme mûr et une jeune fille serait d'une grande banalité. Inverser les rôles rend la chose plus intéressante et plus douloureuse. » Revue Transfuges, Littérature et Cinéma, 2009.

« La vie, c'est beaucoup de jours, jour après jour » Joyce

Ai travaillé à la médiathèque. Écouté les conseils du Shérif. Arrêter de revenir en arrière, pour fignoler et refignoler. Continuer d'abord tout droit pour terminer et ensuite y revenir.

Vendredi 17 avril

Dehors. Sensation erratique. Matinée plutôt fraiche malgré des tentatives de soleil.
Ce matin, débouchant sur les bords du Doubs, pont Battant, j'ai assisté au déploiement des marchandises – lunettes, colliers multicolores, statuettes en bois, portes-monnaie – des deux vendeurs noirs. Combien vendent-ils par jour?
Écris ce journal , installée à la brasserie de l'Hermitage, Grande Rue, tranquille et agréable (sans musique!).
Peut-être tout à l'heure irais-je au Centre diocésain pour l'expo de photos sur le Japon mais avant j'espère pouvoir acheter ce que je voulais pour avoir l'impression d'avoir gagné ma journée!

Lundi 20 avril

Ces deux jours, étais vraiment malade. Sous antibiotique. Finalement, j'ai lâché prise et laissé courir. J'ai lâché l'écriture, l'ordinateur, le courrier, l'urgence, l'inquiétude... J'ai découvert le plaisir sans pareil de m'assoupir en pleine journée, la fenêtre ouverte, la chambre inondée de lumière, les préoccupations mis en veille. Un grand fond de fatigue était là et le fait de tomber malade n'a pas été une mauvaise chose.

L'après-midi entretien avec Selim Kh. Intéressant, fort, émouvant parfois. 
« ... j'ai toujours aimé écouter les gens parler d'eux-mêmes; cette tendance, paisible et passive en apparance est si vive chez moi qu'elle représente l'image la plus intime que je me fasse de la vie. Je serai mort lorsque je ne saurai plus écouter quelqu'un parler de soi. » Elias Canetti

Mardi 21 avril

Un temps presque chaud dont il faut se méfier. Beaucoup de monde dehors. Suis venue à pied de la maison. 18H, à Identité Café, rue d'Anvers. Deux femmes parlent fort, trop fort comme si elle étaient seules.
Rencontre avec Luc Ch. que je ne connaissais pas. Discussion intéressante et qui montre encore une fois l'ampleur et la diversité de la fragilité humaine. Mais aussi les facettes de la solidarité et de la ténacité. Il s'occupe de Cent Voix, journal d'expressions solidaires. L'association, type loi 1901, de même nom « vise à permettre aux personnes connaissant une situation certaine d'isolement, que cet isolement soit le fait de la maladie, du handicap, de l'âge, de la précarité ou de l'exclusion sociale, de trouver ou retrouver une capacité d'action réelle au moyen de leur contribution à la réalisation d'un journal. Chacun y est libre de se dire ou de s'y exprimer, de manière anonyme ou non, sous forme de textes, de citations, de pensées, de poèmes, de nouvelles, de témoignages ou de dessins »
Le journal annuel en est à son troisième numéro (septembre 2008), il coûte 3, 50 euros. Les bénéfices sont destinés à l'aide et au partage pour des actions de solidarité locale, nationale ou internationale. Le prochain numéro, le 4ème, est prévu pour septembre 2009.

Jeudi 23 avril

Termine Le Faon de Magda Szabo, Édition Viviane Hamy, 2008 (pour la traduction française; initialement publié en 1959). Moins aimé que ses deux autres livres La Porte et La Ballade d'Iza. Plus laborieux mais tout de même attachant. C'est cela un grand écrivain : même ses livres les moins aboutis ne laissent pas indifférents. N'ai pas encore lu sa Rue Katalin.

Lundi 27 avril

Lis L'Orient après l'amour de Mohamed Kacimi, Actes sud, 2008. Carnets de voyage, en quelque sorte. Regard critique et féroce sur l'Algérie, la Tunisie, le monde arabe de façon générale, Israël surtout pas terre de justice et de paix. Pour l'Algérie, je lui « reprocherais » son appréciation un peu réductrice des exactions coloniales, concernant les événement du 8 mai 45, par exemple.
Sinon, les passages forts, saisissants ne manquent pas, comme celui-ci :
« Le vent se lève, il n'y a plus de Beyrouth, cette ville renaît non pas de ses propres cendres, mais de celle de ses incendiaires. Flinguée à bout portant avec l'argent des pétrodollars, elle ressuscite, comme elle peut, grâce à une fortune d'Arabie. Les immeubles de Beyrouth se dressent comme autant d'anthologies de trous d'obus, de roquettes, de balles et de mémoire. Ici, on tue pour embellir l'oubli. Ici, les ruines de la guerre semblent avoir été dessinées par de grands couturiers. Ici, même la mort passe au maquillage avant d'entrer en scène. Ici, la lumière est si intense qu'on ne prend pas au sérieux la nuit. Ici, la terre est si ardente qu'elle n'a pas de temps pour les tombes. Ici, les femmes sont si belles qu'il faut un plein temps juste pour tomber en amour. Combien de milliards de balles ont traversé l'air de cette ville? Elle devaient être plus nombreuses que les étoiles du ciel et les grains de sable de la mer. Les balles ont tout fauché, blessé, marqué, mais toutes ont contourné, avec une délicatesse d'ostéopathe, le boulevard des banques. Il est sorti intact et même clinquant de cette guerre. La guerre civile a duré dix-sept années, elle a fait cent cinquante mille morts, dix mille disparus, vingt mille exilés. Elle a foutu en l'air des milliers de vies et de villages. Elle a bousillé des milliers d'amour. Mais elle n'a pas laissé un seul grain de poussière tomber sur la façade de la Bourse. Tel est le génie de la civilisation libanaise : pouvoir ravager, mais en finesse, le feu et l'écriture, brûler l'air et l'histoire, saccager l'eau et l'amour, mais éviter religieusement de froisser le moindre billet vert. » P. 121-122.

Ne pas oublier : ne pas retrouver ce rythme de vide et de perdition. Ne pas retrouver ce lien de tension.
Terminer Cent et 1 lettres, fin juillet (avant, ce serait mieux!)

« Un jour (elle était déjà âgée de soixante treize ans), tante Buzena dit tristement à Milena : « J'ai bien l'impression que je vieillis : cela fait déjà trois ans que je ne suis plus tombée amoureuse... » Milena, 156.

Mardi 28 avril

« Ô vous les petites routes qui courent au loin derrière la ville, vous les chemins à travers champs d'où l'on entend, au lointain, le carillon vespéral! Comment ne nous rendriez-vous pas heureux?! Croyez-moi, il n'est pas une douleur au monde que l'on ne puisse anesthésier en parcourant à grands pas une route de campagne inconnue. Toute peine est supportable sur une route de campagne. Une, deux, une, deux – et voici la douleur qui monte en pulsations régulières, une, deux, une, deux. La douleur est encore aux prises avec les pieds, le cœur, lui, manque encore de courage, cela fait mal, mais les pieds disent : Regarde le monde! Regarde le monde! Et voici que le cœur tout convulsé s'ouvre lentement, il bat la chamade, déborde puis se calme et, bercé, assoupi par la marche, peut soudain rire de nouveau. Ce sont les pieds qui ont réduit à néant la douleur, elle est morte, regarde le monde, regarde le monde. Mais maintenant, il ne faut pas rester en place, pas maintenant, car tu retomberais aussitôt dans le désespoir. Continue, toujours, des heures durant, jusqu'à épuisement. Si ensuite tu t'immobilises, si tes pieds se taisent, alors peut-être, dans le silence qui s'étend autour de toi, trouveras-tu – je ne puis, bien sûr, te le promettre, deux ou trois larmes... » Milena Jesenskà, Le chemin de simplicité, cité par Margarete Buber-Neumann in Milena, Seuil, 1986, p.81-82.

Mercredi 29 avril

Écrire. Ne pas se laisser entamer. Ne pas se laisser entamer. Écris! Écris, c'est la seule réponse.

Jeudi 30 avril

Des nuages encore dans le ciel, ronds et lourds. Mais il y a du soleil, de la lumière.
Ai fait des rangements dans la cuisine. Pour ne pas jeter un fond de miel, ai préparé un pain d'épices. Pendant que j'écris, il cuit. You est à Paris. Maman arrive le 2 mai. Le Shérif est à la fac.

MilenaToujours en compagnie de Milena Jesenskà, connue peut-être surtout par les familiers de Kafka en tant que Kafaka destinataire de ses très belles lettres (Lettres à Milena). Elle fut aussi une brillante journaliste.
Chère, chère, chère Milena de Prague. Je t'aime pour avoir été si faible et si forte, si belle et laide, si mince et grosse, implacable et généreuse, pleine d'assurance et de doute, pour avoir été tenace, têtue, pour avoir éprouvé des sentiments contraires, la fureur et l'amour, pour avoir été souvent amoureuse, vivant l'amour d'un homme comme l'une des raisons qui donnent du bonheur et rattachent à la vie, pour avoir ressenti intérêt et bienveillance pour tes semblables humains jusque dans un camp nazi, Milena pleine de courage et de grâce, morte à Ravensbrück, un 17 mai 1944. Tu es étoile dans mon ciel et lorsque je vais mal, je lève les yeux et te vois scintiller : « Regarde le monde. Regarde le monde... »

Vendredi 1er mai

Il a fait beau. Sommes allés le Shérif et moi à la marche du 1er mai.
J'ai acheté du muguet au PCF. Ai rencontré des visages amis, des visages aimés. Bu un verre offert par la CGT, je crois, à la gare d'eau. Mangé une assiette de couscous « anar », place Marulaz. Retourné à la gare d'eau : assemblée générale peu consistante. Colère d'Adrienne. Suis repartie, à pied. En cours de route, ai encore acheté du muguet à une femme accompagnée de son petit garçon.

Dimanche 3 mai

Maman est là. Elle aime la maison. Om Revenu. Il a fait plutôt beau. Ai nettoyé le sol de la salle de séjour et de mon bureau. Après-midi, visite d'amis.
Relis en diagonale Les Heures de Michael Cunningham, Belfond, 1999.

Hier, Claire m'écrivait qu'en achetant un brin de muguet à sa belle-fille, elle n'a pu s'empêcher de penser à cette phrase : « Travailleur, ne cueille pas le muguet du 1er mai, il est rouge du sang des travailleurs » Cela m'a... comment dire, touchée et fait penser à la chanson de La butte rouge : « Qu'elle en a bu du sang, cette terre/Sang d'ouvriers et sang de paysans... »

Lundi 4 mai

À méditer? « Il faut pouvoir garder ses distances. Il faut être capable de fréquenter quotidiennement des gens sans rien leur révéler de soi-même. Peut-être ne pourra-t-on pas empêcher que tel ou tel connaisse des aspects de notre vie privée, mais ce n'est pas une raison pour l'y aider de surcroît. Lorsqu'on franchit les barrières de l'intimité, on s'expose à la critique, à la pitié et à l'envie; les relations humaines commencent alors à devenir problématiques car, sans le vouloir, l'on a ouvert toutes grandes les portes aux malentendus. On ne maîtrise plus jamais les relations avec les autres, on ne peut plus jamais les façonner, on est au contraire modelé par elles. Au reste, l'excès d'intimité débouche sur l'infidélité vis-à-vis des véritables amis, c'est une faute de goût vis-à-vis de soi-même. » Milena Jesenskà

Mardi 5 mai


Ce matin, en compagnie de ma narratrice des /Cent et une lettres/. Elle et lui, ont enfin consenti l'un à l'autre. Le lendemain à l'aéroport, chacun, de son côté, repart : « Lorsque nous nous sommes quittés ce matin-là, sans nous embrasser, sans nous étreindre, j'aurais voulu te retenir en t'entourant de mes bras. Tu as pivoté sur tes talons et je t'ai laissé partir sans dire un mot, sans esquisser un geste. J'aurais voulu me terrer dans une tanière et hurler ma douleur. Est-il possible de souffrir autant et de ne pas mourir? »

Souvenirs, pourquoi me traversent-ils? Elle s'appelait Nadia, je l'avais rencontrée à Marseille ces années où l'Algérie allait si mal. Elle était attentionnée, vive, tendre et spontanée. Au milieu d'une conversation, elle avait pris ma main et l'avait portée à ses lèvres, simplement. Je ne l'ai plus revue. Qu'est-elle devenue?

Elle avait pour nom E. Parce que nous étions originaires du même continent, elle me voulait inconditionnelle, lui donnant constamment raison contre les autres. Elle m'avait raconté son enfance pauvre, si pauvre que j'en avais fait des cauchemars. Elle était imbue d'elle-même, pourvue d'un égo démesuré, ne comprenant pas qu'on ne l'admirât pas.  Elle était séductrice, toujours prête à jouer son numéro. J'ai pris la poudre  d'escampette quand elle a voulu faire de moi sa mère de substitution.

Jeudi 7 mai

Soirée chakhchoukha. Visages amis, visages aimés. Et la compréhension n'est pas toujours au rendez-vous. Que faire?

Vendredi 8 mai

Tendre et violent mois de mai.
8 mai 45 : Anniversaire de la victoire des Alliés contre le nazisme. Anniversaire de la répression sanglante des manifestations des Algériens par les forces coloniales en Algérie.

À toi.
Frayer un chemin vers l'autre. L'approcher, le toucher à peine, reculer, attendre, revenir, l'approcher un peu plus, craindre de se tromper et se tromper encore et encore. Ne pas savoir quel geste esquisser, quel mot formuler. Attendre. Comment l'atteindre à travers la barrière des mots? Que lire, que déchiffrer dans cet imperceptible mouvement? Déception, répulsion? Est-il possible malgré le savoir des livres, des rencontres, des expériences, des épreuves d'être aussi ignorant de cet autre, de son regard, de son visage, de ne rien en capter, pas la moindre parcelle? Pourquoi cette nuit si sombre en lui, en toi, à ne plus voir en lui, à ne plus voir en toi? Es-tu le pèlerin qui s'est arrêté devant le seuil qui ne s'ouvrira pas, quelle que soit son attente, et qui reprendra sa marche dans l'implacabilité des jours? Mais sois obstiné, rêve et crois, oui crois, puisque cet autre t'importe, que tu sauras traverser ses remparts et accéder enfin à sa connaissance, à sa rencontre.

Dimanche 10 mai

Petite, je l'ai trouvée petite, l'entendant clamer : « Chez nous », s'octroyant la légitimité du pays et de ses frontières, indifférente au monde. Ce « chez nous » elle l'a, à chaque fois, exprimé pour dire ce genre de négations généreuses : « Nous ne sommes pas responsables des problèmes du monde, pas responsables de la pauvreté de l'Afrique... », s'identifiant à un « Nous » étatique dont elle n'est pas, de toute façon, elle individu, n'occupant nulle fonction politique, nulle fonction syndicale. Ai eu eu envie de lui rétorquer : « Mais qu'as-tu donné, toi, de ton énergie, de ton pain, de ton porte-monnaie à l'Afrique pour être du bon côté de la barrière, de ceux qui s'autorisent à faire la morale et à donner des leçons.» Je n'ai rien dit, m'éloignant d'elle. Ce « Nous » n'est pas le mien.

Promenade en compagnie d'Om dans les rues de Besançon, alors que la nuit tombait. L'air était doux, agréable. Discussion sur les sentiments, lui à l'orée de sa vie et moi, toujours en questionnement, avec la certitude, que je n'aurais pas voulu avoir, que « l'âme d'autrui est ténèbres »

Marylin French est morte le 2 mai.

Lundi 11 mai

Ai travaillé ce matin à Cent et 1 Lettres. Relecture de haut en bas et de bas en haut pour retrouver le rythme et corrections.

Déjeuner avec maman et discussion inopinée sur l'expression « Il n'y a que la vérité qui blesse ». Pourquoi la vérité serait-elle vue seulement comme blessante, pourquoi ne serait-elle pas aussi... quel terme choisir? comme celle qui fait plaisir, rend heureux?
Maman dit que le vérité est parfois si simple qu'elle n'est pas acceptable par les autres.
Suis sortie ensuite pour aller au Plaza Victor Hugo voir Still Walking, un film japonais de Hirokazu Kore-eda (Samedi dernier, j'avais vu dans la même salle Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa, beaucoup aimé) mais j'avais une heure d'avance devant moi.
Me suis alors retrouvée à Identité Café, rue d'Anvers. Ambiance tranquille, miraculeuse pour écrire. Ai choisi un thé noir-sapin; peu parfumé malgré l'appellation. J'ai voulu relire les pages manuscrites de Cent et 1 lettres, non encore reportées sur l'ordi. Mais au lieu de relire, j'ai pensé à la jeune femme qui m'a envoyé ses poèmes et un texte de Lagarce sur l'acte d'écrire et de la place que prend cet acte dans l'existence, j'ai pensé à la journée de poésie qui aura lieu le 26 mai, chez moi et qu'il va falloir préparer, j'ai pensé au Shériff (ton cher if, m'écrit Annie) à Marrakech, j'ai pensé à « l'ami retrouvé » et l'heure a filé et j'ai couru au cinéma.

Mardi 12 mai

Still WalkingStill Walking, un beau film. Ai retenu cette phrase : « Pourquoi comparer une vie à une vie? » « Ta mère est redoutable », « Les gens sont redoutables ». Part de cruauté, de manque de compassion que chacun porte en soi. La famille, encore une fois, sujet inépuisable. Hiérarchie des enfants dans la perception, l'affection des parents. L'enfant mort est plus présent que l'enfant vivant. La vieillesse. L'incompréhension des êtres. La cupidité des enfants. L'indifférence des plus jeunes. L'implacabilité des plus vieux. La grâce, la beauté des actrices japonaises. Pense aussi à celle qui joue la mère dans Tokyo Sonata, pour elle, il faut ajouter, classe, gravité des actrices japonaises!

Mail du Shériff, à Marrakech : « La conférence a bien commencé, j'ai déjà fait trois cours...Marrakech Marrakech est une très belle ville qui rappelle un peu Cordoue. Une place éblouissante, djemaa el fna, en fait la plus orientale des villes maghrébines! Quelle ambiance incroyable : les conteurs, les bonimenteurs, les comédiens, les chanteurs, les restaurants, tout cela rassemblé dans une immense place. Beaubourg, à côté, c'est de la rigolade! Nous irons sûrement pour une quinzaine de jours au Maroc dès que nous aurons un peu de sous, pour passer des moments ensemble dignes de ceux que nous avons passés en Andalousie. »


Mercredi 13 mai

Bonjour matin de mai qui m'inculques la force et m'offres la voix de La Callas s'élevant dans la lumière. Fais-moi oublier les murs, les barrières, les citadelles qui enserrent les êtres et barrent leur accès. Bonjour matin de mai qui m'ouvres les portes de l'écriture. Bonjour matin de mai qui m'envoies les nouvelles de l'ami voyageur.

Vendredi 15 mai

« ... apprêter ton repas et ta couche dans quelque coin ignoré de l'univers... », Chateaubriand

Lis Lettres à Georges de Veza et Elias Canetti, Albin Michel, 2009 :

« Les endroits où l'on se plaît ne sont-ils pas ceux où l'on plaît le plus, peu importe à qui? »

Samedi 16 mai

Annie, un pot de fleurs entre les mains, est venue à la maison partager les crêpes maghrébines préparées par maman. Moment agréable. Propos échangés, entre autres, sur la pratique ou l'absence de pratique culturelle des uns et des autres, à Besançon. Sur des film vus.
M'a donné envie d'aller voir Je l'aimais.
Soirée chez Rachid et Agnès, belle et généreuse.

Lundi 18 mai

Petit déjeuner avec le Shérif. Ai ensuite accompagné d'une tasse de café celui de maman. Propos évoqués à propos du fils, affectueux comme personne mais qui ne trouve pas son chemin. Ne pas comparer avec les autres. Mais certains autres peuvent donner du courage.

Mardi 19 mai

Vous parlez, vous déblatérez, vous dites n'importe quoi (Mais n'y avait-il rien d'autre à faire ?). Un jour, la personne qui vous « écoute » et dont vous ne savez rien sur le fonctionnement du cerveau et de sa transformation des mots, s'amène et se croit autorisée à qualifier, à juger votre vie. Rien que ça!

De passage, elle me raconte : Ce que j'ai ressenti a été tellement fort. Imagine des sentiments-aimants, aimantés par sa personne, présente dans la réalité, présente dans mes pensées, des sentiments en perpétuelle aimantation. Aujourd'hui, j'ai l'impression que mes sentiments sont « désaimantés ». Tant d'années à l'aimer pour ne plus l'aimer?

Reçu un message très sympa d'Odile Ch. du Site Migrations de Besançon pour mes entretiens avec des Bisontins ayant dans leurs parcours l'expérience, la trace de l'ailleurs (lieux et langues). Les mots encourageants, toujours bon à prendre! Agissent sur moi telles des vitamines!

Mercredi 20 mai

Me retrouver dans un « Nous » de lecteurs, de spectateurs aimant certains écrivains, cinéastes,oui, me retrouver dans un « Nous » partageant les mêmes valeurs de dignité, de résistance, de respect pour la personne humaine, oui, me retrouver dans un « Nous » de sensibilités communes, peinture, musique, poésie, paysages, goûts et saveurs, oui, mais le « Nous » de la légitimité, très peu pour moi! Ni là-bas ni ici ni ailleurs.

Jeudi 21 mai

Ma narratrice : Aimer au-delà de la personne aimée. Avoir à tout jamais la nostalgie d'elle, l'emporter jusqu'après la mort.

J'aurais envie de relire Aurélien d'Aragon dont le souvenir me revient, je ne sais pourquoi. Si, je sais... C'est lorsque j'ai pensé qu'en amitié, c'est un leurre de chercher l'absolu. Sauf que dans le roman d'Aragon, il s'agissait d'amour. D'amour impossible, entre Bérénice et Aurélien.

La force, la violence, la surprise des émotions et des sentiments. Vivre, c'est cela aussi, avec ce « danger », ce « risque » en soi.

Se garder aussi de l'intempestif, du trop dit. Entre l'inflation et la retenue, la trop grande retenue, qui instille le malaise, où se trouve la note juste, la note vraie?

Vendredi 22 mai

« Je demeurai longtemps errant dans Césarée » Racine, repris dans Aurélien, le roman d'Aragon.

Se construire « une chambre intérieure » pour s'éloigner des autres, quand ces autres vous agrippent et vous figent dans leurs images. Lire, écrire. La seule façon d'exister. À un certain tournant, la seule façon qui vaille.

Lu Le point de côté de Josyane Savigneau, Stock, 2008. Écrit après son éjection du Monde des Livres (harcèlement moral). Ai retenu les portraits d'Eudora Welty, d'Edwige Feuillère, de Philip Roth, de Philippe Sollers.


Savigneau a écrit la biographie de Marguerite Yourcenar, gallimard, 1992 que j'ai lue et relue; la biographie de Carson Mc Cullers, l'auteur de Le cœur est un chasseur solitaire. Un livre dont j'ai gardé grande impression.


Dans son point de côté, J. Savigneau note : « ... le harcèlement moral (...) c'est fait pour détruire, pour annuler. Et pour qu'on se persuade d'avoir commis une faute, d'être un imposteur. » p. 18


Samedi 23 mai

Après-midi à Dampierre/Salon, à une heure environ de Besançon, en compagnie du Shérif. Pour une Lecture-concert-exposition en « Résonances ». Autour de Lenteur des foudres de François Migeot et du chant inquiet, poèmes de José Antonio Ramos Sucre (El canto anhelante), Éditions, l'Atelier du Grand Tétras-Monte Avila, 2009.
Lecture : Judith Alvarado et F. Migeot. Guitare : René Lagos-Diaz. Exposition : réalisations de Caribaï Migeot.
Un bon moment. Avons également rencontré Bertrand Degott qui nous a dédicacés ses recueils de poésie Battant et À chaque pas.
Rencontré une jeune femme qui m'a reconnue et qui est venue vers moi. Son visage ne m'était pas inconnu. Lons.

Dimanche 24 mai


Très beau temps. Très chaud dès le matin. Petit déjeuner sur la terrasse -merveille!- avec le Shérif. Évocation des Cahiers de la guerre de Marguerite Duras, P.O.L/Imec, 2006 que je viens d'acheter.

Ils « constituent la part la plus exceptionnelle des archives déposées par Marguerite Duras à l'institut Mémoires de l'édition contemporaine (Imec) en 1995. Écrits en 1943 et 1949, Ils ont longtemps été conservés dans les mythiques « armoires bleues » des maison de Neauphle-le-Château, leur publication donne aujourd'hui accès à un document autobiographique unique, en même temps qu'à un témoignage précieux sur le travail littéraire de l'écrivain à ses débuts. » dixit la quatrième de couverture. Bref...

En tous cas, M.D, témoigne d'un passé colonial immonde. Sa mère qui enseignait dans une « école indigène » était, de ce fait, méprisée : « J'oublie de dire que parmi les Français de la colonie, l'annamitophobie faisait loi. Quelques rares Annamites frayaient avec les Français. Un fonctionnaire annamitophile était en principe condamné à ne jamais « avancer ». Nous étions, du fait de la condition de ma mère, au dernier échelon de l'échelle des fonctionnaires. On disait de ma mère qu'elle avait du mérite, mais elle n'était reçue nulle part. (...) Le fait même que ma mère n'avait jamais quitté la colonie et qu'elle y comptait de nombreux amis annamites achevait de la déconsidérer auprès des Français. » P.44

Resto Trottoir

Déjeuner sur la Place Marulaz, en compagnie d'Om. Déjeuner magnifique et délicieux, végétalien, offert par l'Association Resto Trottoir. J'en apprécie les principes d'accueil et d'hospitalité.
Le soir, vers 19H, promenade en voiture avec maman, pour lui faire voir les hauteurs de la ville.

Lundi 25 mai

Celui-là, gardez-vous de lui faire du mal, ni en mots ni en gestes. Gardez-vous de le blesser, en aucune manière. Portes, chemins et routes, ouvrez-vous et laissez-le aller selon ses rêves et son désir. Lumière, accompagnez-le et vous ombre, veillez sur lui là où ses pas le portent. Arbres, inclinez-vous, protégez-le de l'ardeur du ciel et vous les sources claires, étanchez sa soif et vous montagnes, approchez, venez à lui. Paysages, villes et villages, égayez, embellissez sa vie. Et vous, hommes et femmes, ses parents, ses amis, passants et inconnus, qui que vous soyez, gardez-vous de lui faire du mal. Celui-là, mon cœur l'aime et mon cœur veille. Ne demandez ni le pourquoi ni le comment, je ne le vous dirais pas. Il habite le monde et cela seul importe. 


Mardi 26 mai

Soirée de poésie chez nous, à la Retraite Sentimentale avec les textes et les voix de Mira Wladir, Jacques Moulin, Claude Andreoni (et moi-même). J'ai rajouté deux textes écrits par Isabelle. Isabelle qui a ramené trois de ses tableaux. Les amis étaient là. Soirée de lecture et d'écoute. Écoute dense. Les visages de Boris, de Bruno et d'Annelyse, de Nicole, de Madeleine et d'André, d'Aline, d'ÉLisabeth, de Linael, de Jean-Luc et Maric, de Chérif et du Shérif. Un cadeau. Ensuite dégustation de mets et friandises. Entre autres, le couscous aux fèves et à l'huile d'olive préparé par maman!


Mercredi 27 mai

« Ma vie repose presque entièrement sur le travail et sur l'amour... Le travail n'a pas toujours été facile. L'amour non plus, dois-je ajouter. » « Que je sois bien portante ou malade, il faut que je sois en mesure d'écrire, car ma vie dépend presque entièrement de l'écriture. » Carson Mc Cullers

Jeudi 28 mai

Ce matin, de passage au marché de Planoise. Avons acheté persil, coriandre, menthe et citrons confits. Des pêches aussi, tomates et quelques piments forts. Gentillesse du marchand qui a offert à maman une grappe de raisins.


De retour à la maison, ai fait un peu d'ordre. Sentiment d'urgence. les Cent et 1 lettres m'attendaient. Pas écrit mais recopié des pages manuscrites. Pas contente de moi. Pas assez travaillé. Relu des poèmes à moi. Quand aurais-le temps et le courage de structurer « définitivement » le recueil?

Vers 18H30, ai commencé à préparer le diner. Attendant que le Shérif rentre, ai commencé à lire Mon Malagar de Lucienne Sinzette, Collection Haute Enfance, Gallimard. J'y reviendrai.


Vendredi 29 mai

« Écrire à la place d'aimer, en guise d'aimer, ou pour aimer plus et faire de cette forme d'amour un métier comme un autre » Jean-Luc Lagarce.

Samedi 30 mai

Venue d'Am. Grande et belle. Ma joie. Demain, Ho sera là. You a passé la tondeuse. Coup de fil d'Arnaud, nous fait partager une heureuse nouvelle!


Dimanche 31 mai

Très beau, dès le matin. Au réveil ai lu une ou deux lettres de Veza à Georges Canetti, frère d'Elias : « Je n'oublierai jamais que tu es venu, je ne me remets pas de ton départ; mais tu ne m'as pas écrit immédiatement, et tu me le paieras. » (23 mai 1939, p.135)

Préparatifs pour la venue d'Ho. Poulet aux olives et citron confit cuisiné par maman. Une recette d'enfance. Pain maison. Pour le soir, soupe de blé concassé. Ensemble.

Mercredi 3 juin

Deuxième entretien avec Selim Khelifa, plus sur lui-même, sa formation musicale, ses intérêts, ses goûts et ses rencontres, sa venue et son installation à Besançon. Geste très sympa, m'a offert le C.D d'enregistrement qu'il a effectué lui-même lors du Printemps des Poètes autour de Mahmoud Darwich, avec Fayçal Salhi, jacques Moulin et moi-même.

Jeudi 4 juin

Matin. Commence par rédiger ces quelques lignes sur mon journal : Hier, réunion avec l'équipe de Resto Trottoir. Touchée par la jeunesse des visages. La majorité – présente – n'a pas trente ans. Cette jeunesse-là concernée par ce qui se passe dans le monde. Avec une réflexion. Qui donne de son temps. Car derrière un repas offert, il y a toute une organisation de plusieurs jours. La récupération des fruits et légumes et autres produits, leur tri, leur préparation...
Le fait qu'il n'y ait aucune viande est fédérateur et permet d'offrir le repas à tout le monde.

Journée. Heures laborieuses, à essayer d'écrire. Colère. Angoisse du quotidien et de ses problèmes, tangibles et durs tels des rochers.

Soir. Moment de détente. Venue d'Arnaud à la maison, avec dans les mains ma boisson festive préférée pour fêter l'heureuse nouvelle! En septembre, il sera professeur à Clermont-Ferrand. Arnaud et sa passion des mathématiques, du vélo et de la poésie de Victor Hugo.


Vendredi 5 juin

Fragment

Le regard aimant, le regard amoureux entoure d'un halo la personne aimée. À travers ce regard, tout d'elle irradie. Tout d'elle est précieux. Pendant qu'il parlait, Hannah observait Karl sans en avoir l'air : Sa haute silhouette, ses cheveux, son visage de profil, ses mains qui virevoltaient, soulignant ses paroles, ses pieds chaussés de sandales...

Pendant plusieurs jours, sa présence l'habita telle une joie, une lumière. Puis, son image pâlit. C'était sans doute trop cette constante intensité qu'elle ressentait et qui parfois l'abattait presque. Mais elle craignit de le voir dénué de cet halo dont ses yeux l'entouraient. Hors de cette lumière qui était-il?

Le souvenir de Selma la traversa. Selma qui pendant des années avait aimé un homme qui n'existait pas ou du moins qui ne correspondait en rien à ce qu'il était dans sa réalité propre. Elle avait aimé, adoré, vénéré une icône qu'elle avait inventée de toutes pièces. le temps de démanteler sa vie, d'y creuser un gouffre. Qu'est-ce que l'amour?

La question résonna dans la poitrine d'Hannah. Était-ce cet exorbitant désistement de soi et la réponse au vertige de l'abîme?

Samedi 6 juin

Il a plu cette nuit et toute la matinée. La grisaille comme en hiver. Tristesse. Fatigue physique et morale. Énigme des êtres et impuissance face à leur opacité.

« L'agrément de la vie, hélas! Je l'ai goûté
Et mes jeunes plaisirs – depuis quand? - sont passés
Avril et mai et juin s'en sont allés
J'ai cessé d'exister, je n'aime plus la vie » Hölderlin


Dimanche 7 juin

La grisaille encore. Coup de téléphone d'Am pour la fête des mères que j'avais complètement oubliée. Encouragements de ma fille.

Sur ma requête, Le Shérif, mon webmaster préféré, met sur mon site une autre rubrique : « Voix et Rencontres ». Merci mon si patient Shérif!

Reçu un mail de Peter R. de Mongolie.
Dans une autre vie, nous étions étudiants à Paris et pensionnaires à la Maison néerlandaise de la Cité internationale. Il faisait des études de philo et moi de Lettres. Le temps a passé et nous nous sommes perdus de vue mais ma mémoire sélective avait gardé son souvenir. Ce grand garçon, comme tout Hollandais qui se respecte, plus jeune que moi de quatre ans – à nos âges de l'époque, la différence était notable!- était d'une rare amabilité et ouverture d'esprit. Grâce à lui, j'ai connu Amsterdam et sa famille, surtout sa mère, m'avait accueillie avec simplicité et générosité. J'y ai passé de très beaux jours – c'était en plus un mois d'avril- me promettant ensuite d'envoyer une jolie carte de remerciements et un petit cadeau que je n'ai jamais envoyés, l'insouciance de la jeunesse reprenant vite le dessus. Mais ces quelques jours et l'hospitalité des parents de Peter me sont restés comme un point lumineux, un de ces points qui parsèment le chemin de la vie.
Conseillée par Am à qui n'échappe pas les ressources « internetiques », j'ai retrouvé Peter via Facebook. J'ai envoyé un message, deux, trois plus plus tard, j'avais une réponse!
Après ses études de philo, Peter avait fait des études en médecine. Aujourd'hui donc, il est chirurgien aux Pays Bas, marié, avec Katinka, père de trois grands enfants. Il voyage beaucoup. En ce moment, si j'ai bien compris, il est dans un projet d'entraide pour ses collègues mongoliens. « Le but, m'écrit-il, est de faciliter les conditions de travail aux chirurgiens travaillant dans des régions loin des grandes villes et surtout dans les pays avec peu de ressources ».


Lundi 8 juin

Perception

Professe comme une originalité la détestation du corps et de ses langages. Pas au net avec sa personne, elle voudrait en faire le problème de tout le monde. Mais ce problème ne me concerne pas. Je pourrais lui dire ce que j'en pense, juste ce que j'en pense mais elle ne le supporterait pas. Elle porte un amour profond à sa personne. Dans tout ce qu'elle entreprend, elle est subjuguée par elle-même. Participant à une tâche collective, son souci premier est : comment faire pour qu'il soit tout le temps question de moi? Les tâches discrètes et ingrates, où elle passerait inaperçue, ne sont pas pour elle. Elle demande, prend et ne donne pas. Même si elle fait croire que le bien collectif lui importe en premier lieu et au plus haut point. Je crois qu'elle est rancunière et la bienveillance ne doit pas la submerger. Prête à ressortir les « dossiers » dès qu'elle est en conflit avec quelqu'un. C'est surtout cet esprit tortueux, cette tendance au flicage qui m'ont laissée perplexe. Celle-là, dans un autre contexte, qu'aurait-elle fait?

L'ile nueSoirée. Vu (plutôt revu, pour ce qui me concerne) L'île nue de Kaneto Shindô, avec le Shérif. Film japonais sorti sur les écrans en 1960. Magnifique, dense, à vous décrocher le cœur. Quand on fait avec du silence, l'absence de parole, le labeur obstiné, répétitif de gens pauvres, leur malheur intime, la perte d'un enfant, une œuvre d'art qui vous remue et vous habite pour longtemps. L'art, c'est cela aussi, témoigner de l'humain, cet humain si démuni, si seul et qui s'accroche à la vie aride et hostile qui lui en fait voir de toutes les couleurs possibles on ne sait pour quelle fin...




Mercredi 10 juin

Matinée. Ai travaillé avec concentration – avec la joie que donne cette concentration – sur mes Cent et 1 Lettres.

Déjeuner, sous un soleil mitigé, préparé par You, tranche de saumon nature et salade mâche et tomates à l'huile d'olive.

Suis allée voir mes deux petits rosiers qui poussent vaillamment. Commence à avoir envie d'un carré d'herbes aromatiques et de tomates-cerises pour assurer les apéro pour les amis, de m'occuper un peu (!) du jardin et planter plein de rosiers.

Suis remontée vite au bureau pour travailler sur l'ordi. Coup de fil de ma grande : 15 de moyenne à ses exam. « Pour que tu aies, cette après-midi, un motif de bonne humeur » me dit-elle. Heureuse pour elle.

J'évoque sur les pages de ce journal, années 1999 et 2000, les frères Goncourt. J'aimerais y ajouter la photo de Nadar les représentant ensemble. Navigation sur Internet puis me suis souvenue d'un ancien dossier du Magazine Littéraire consacré aux deux frères avec de belles photos. Les heures ont filé. J'ai pensé à la réunion de Resto Trottoir.

À la dite réunion, Om m'a rejoint. Le prochain Resto Trottoir aura lieu le dimanche 28 juin. Partage des tâches selon les disponibilités des uns et des autres : récup. Des produits auprès des marchands, impression d'affiches, collage. Je me garde pour la cuisine. Anniversaire d'Hélène, 27 ans! A ramené pour l'occasion un gâteau préparé par ses soins – recette végétalienne – encore tout chaud. Une autre jeune fille avait ramené des cookies préparés également par elle-même. Dans les deux cas, j'ai adoré le geste. Réunion terminée gustativement. Retour à pied avec Om.

Avant d'aller à la réunion, je devais aller rendre les bouquins à la médiathèque. Sur le chemin, ai rencontré Henri. Taillé une petite bavette. Me fait remarquer les verts contrastés d'un même arbre. Suppose une greffe. Me dit que la Commission des présidents d'université s'est retirée. Lui parle de l'esprit de Resto Trottoir et des jeunes qui s'en occupent. « Tout donc n'est pas morose » me dit-il.

Je voulais emprunter le Journal de Jean-Luc Lagarce mais je n'arrive pas à mettre la main dessus. Ai pris celui de Jean-Patrick Manchette, période 1966-1974, Gallimard, 2008.
Le soir, devient mon livre de chevet.

Jeudi 11 juin

Maria CallasJe ne m'en lasserai jamais. La Traviata par La Callas, dans l'enregistrement de 1953.Sa voix ricoche sur des marches de lumière. Le duo amoureux avec Francesco Albanese : « Di quel amor, quel amor ch'è palpito/dell universo, dell'universo intero/Misterioso, misterioso, altero... », inégalable.

Vendredi 12 juin

« Il faut m'astreindre à n'écrire ici que lorsque je suis de bonne humeur, et surtout pas quand je me crois malheureux. Le chagrin rend stupide. Il ne faut pas écrire de stupidités. » Manchette, sur son Journal, 29 décembre 1966. Il avait vingt-quatre ans.

Ô nous qui aimons arpenter le monde et qui en faisons une passion, une conduite, un humanisme, n'oublions pas, n'oublions jamais, ceux qui rêveraient de s'arrêter enfin dans un pays, dans une ville, dans une maison, dans une école et de pouvoir y vivre et d'y connaître la durée. Même si la réalité le dément, croyons intérieurement, du plus profond de notre être, à l'utopie. La terre est à tous. 

http://www.educationsansfrontieres.org/

Samedi 13 juin

FondaSur l'insistance du Shérif : « Tu es en train de rater des moments d'anthologie! », j'ai vu L'homme aux colts d'or à la télé et en effet, je n'ai pas regretté. Un film prenant, intéressant, fort, sur la vie et la mort, la loi, la marginalité, la peur, la lâcheté, le courage et la témérité et l'amour si fort qui enracine dans la vie, l'amour si fort qui ravage. Avec Henri Fonda : impressionnant de sobriété et d'élégance. Un acteur, un grand seigneur.



Dimanche 14 juin

Hier maman est repartie. Direction : ses autres enfants. Ho s'est proposée de l'y mener en voiture, en compagnie d'Am. Geste très sympa, qui lui a facilité le déplacement.

Ce matin, très beau. Bonheur du moment présent. Petit déj avec le Shérif. De fil en aiguille, discussion sur l'égo des dictateurs, des hommes politiques puissants. Me suis rappelée les propos de l'écrivain portugais Lobo Antunes sur les hommes de pouvoir qui meurent vieux dans leur lit : «parce qu'ils ignorent la culpabilité » « Ils sont au-delà de la culpabilité » dit le Shérif, ils sont dans la certitude absolue qu'ils sont les sauveurs ». Donne l'exemple, entre plusieurs, de Pinochet qui est mort avec l'assurance qu'il a relevé, sauvé le Chili. Les arrestation, les morts, les tortures, les disparitions... c'est rien, pertes et profit!

DurasLis par étapes Les Cahiers de la guerre – déjà cité dans ce journal- de Marguerite Duras. C'est vraiment très bien. Des pages implacables. Une très belle langue. La littérature, c'est mieux que la psy! Hautement supérieure. Extraits :

Sur le frère aîné :
« Je voudrais conserver intact l'éclat de l'Événement qu'était pour moi mon frère aîné. Il était injuste et lâche comme l'est le sort et toute destinée. Sa férocité à mon égard avait quelque chose d'accompli, et au fond de pur. Sa vie se déroulait avec l'implacabilité d'une fatalité et il nous en imposait. Le tissu de coups et d'injures qu'il m'a donnée est le tissu même dont son âme était faite, il n'y a pas de marge. Il était toujours de l'injustice la plus grande, celle que personne ne pouvait dépasser, celle qui pouvait le plus rappeler celle du Destin et qui tombait sur vous avec l'imprévisibilité du sort. Je ne voudrais à aucun prix qu'au nom d'une morale, si large soit-elle, on le juge condamnable, et qu'on le juge. Mon frère était méchant, certes, mais d'une méchanceté telle que je ne lui ai jamais trouvé de mesure humaine, et c'est là, c'est ce à partir de quoi je réclame, non pas l'indulgence , mais un sursis de toutes morale...(...) Toute petite déjà, je croyais que ma mère et mon frère aîné relevaient directement de Dieu, ils battaient et jugeaient en vertu de raisons supérieures, remplies d'un mystère infini... » p.72-73.

Sur l'enfance :
« Croire à l'insignifiance de son enfance c'est, je crois la marque d'une incroyance foncière -définitive, totale. Qu'y puis-je? Tout le monde est d'accord sur l'enfance. Toutes les femmes du monde pleureraient sur n'importe quel récit d'enfance, fût-ce même sur celle des assassins, des tyrans. J'ai vu dernièrement une photo d'Hitler enfant en jupons brodés, debout sur une chaise. À partir de l'enfance, toute destinée est pitoyable infiniment. Sans doute suis-je portée à ne croire qu'à celle des autres, car dans la mienne je n'y vois qu'une précocité qui me ferait plutôt horreur. Mes photographies d'enfant me soulèvent le cœur. Lorsqu'il m'arrive de lire des récits d'enfance ou de jeunesse, je suis étonnée du monde d'irréalité qu'ils contiennent... Cela me confond toujours, et je suis portée à croire qu'il s'agit plutôt là d'une trahison involontaire – ou plus simplement d'une transposition poétique dont on croit que si l'enfance n'en n'était pas dotée, elle serait déshonorée. Aussi loin que je me souvienne, mon enfance s'est déroulée dans une lumière désertique et crue, aussi loin du rêve que possible... Je peux donc dire que je ne me souviens pas d'avoir rêvé de quoi que ce soit, fût-ce même d'une vie meilleure... » P. 73-74.

Vous avez dit effets positifs du colonialisme français?
« (Une remarque, qui peut-être n'a pas ici sa place, mais que je tiens à faire : n'étaient admis au collège de Saigon que les Annamites fils de citoyens français, exclusivement. Par ailleurs, le port du costume européen était de rigueur absolue. En 1931, lorsque je quittai définitivement l'Indochine, quelques jeunes filles annamites fréquentaient le lycée. Elles étaient obligées de se déguiser en Européennes, et en général cela leur allait très mal, et elles en souffraient. De même à l'internat primaire supérieur où je logeais, le costume européen était de rigueur. Le dimanche, on pouvait rencontrer dans les rues de Saigon les internes annamites en promenade, tous habillés à la française et qui se ridiculisaient publiquement. Pourquoi de telles mesures dont l'imbécilité est impardonnable? Je pense que des mesures semblables, qui peuvent paraître insignifiantes de prime abord, ne sont pas loin d'être criminelles. Par ailleurs, les enfants des indigènes non citoyens n'étaient admis à faire que des études primaires. Je veux bien que grâce à nous la tuberculose et la lèpre aient régressé considérablement en Indochine, mais il n'y a pas de compensation morale possible dans l'ordre physique. Sauver des enfants de la mort pour ensuite ne leur permettre qu'un développement sanctionné, limité, dont les limites elles-mêmes sont codifiées, me paraît beaucoup plus condamnable qu'il n'est louable de les sauver de la mort.) » p.78-79.

Mardi 16 juin

Famille et carresChaussons rougesHier, sommes allés le Shérif et moi au vernissage de l'expo de Jean-Luc Dufay, aux Bains Douches, rue de l'École, à Besançon. Avons apprécié. Ai beaucoup aimé certains de ses collages. Vu sa précédente expo Les Gens le mois de mars dernier à la Gare d'eau. En ai gardé une belle impression et le souvenir de ses Chaussons rouges.

Hier, il a beaucoup plu. Je me suis réveillée ce matin en pensant à ces flots d'eau tombés du ciel, nettoyant la terre. Ah s'ils pouvaient nettoyer les humains de ce qui les tourmente et les ronge!

Je repense à cette phrase de Marguerite Duras, à propos de sa mère, disant d'elle qu'elle avait une inaptitude totale au désespoir. Je voudrais parfois posséder pareille inaptitude!

Il m'arrive d'être presque sûre de cela : c'est la férocité qui nous caractérise le plus souvent, l'indifférence féroce, l'égoïsme, l'égotisme dès que nous nous mettons en relation avec les autres. Quand nous écrivons à quelqu'un qui connaît un grave souci « Je suis avec toi », nous mentons d'autant plus que nous l'écrivons rapidement, légèrement et avec une immense fierté pour notre générosité et avec la certitude profonde que nous ne lèverons pas le petit doigt. Si nous mesurions l'immensité du désarroi où se trouve l'autre, si nous mesurions sa solitude où notre immodestie n'a nulle place, sans doute serions-nous plus respectueux, nous tairions notre prétention et avancerions vers lui sans nous gargariser d'expressions faciles...


« Je pense à toi chaque jour » m'affirme-t-elle. Un jour, je l'entends dire les mêmes mots à quelqu'un d'autre, à d'autres encore. Elle me confie des aspects de sa vie qui ne sont pas anodins, si peu anodins que j'aurais préféré me boucher les oreilles mais je suis bouleversée et je pense qu'elle m'estime si digne de sa confiance qu'elle n'hésite pas à me révéler de pareilles horreurs. Un jour, je l'entends les raconter à quelqu'un d'autre, à d'autres encore...


Mercredi 17 juin

M'endurcir. Donnez-moi la force, rendez-moi de marbre et de pierre. Insensibilisez-moi à l'auto négation des autres. À L'impuissance des autres. Cette impuissance contre laquelle je ne peux rien.

Jeudi 18 juin

Hier, au pot de départ de Jacques Fontaine. Moment très sympa. Avec une pointe de tristesse, en référence aux réformes de l'université.

Aujourd'hui, premier jour du bac. Cafard. Le garçon n'a pas spécialement travaillé. Coups de fil de mon frère. Sa fille aînée le passe aussi. Elle, plutôt brillante, autre problématique. Les miens me réconfortent. Je les aime d'exprimer avec égards, avec élégance leur attention, leur solidarité.

Envoie un entretien de Kiyoshi kurosawa à propos de son film Tokyo Sonata à l'ami cinéphile.

Coup de fil de Françoise P. Pour me proposer d'animer un atelier d'écriture sur l'autobiographie, l'automne prochain, dans l'une de ses classes. Ai accepté avec plaisir.

Travail sur mes Cent et 1 lettres. Si je les termine, je serais sauvée. Dois les terminer.

Après-midi, rédaction/composition de l'entretien avec Selim Kh.

Vendredi 19 juin

Terminé le Journal (1966-1974) de Jean-Patrick Manchette. Des années de travail, d'écriture de toutes sortes, de lectures. De fatigue aussi, quasi constante, le travail étant quasi constant. Évocation régulière de son épouse Mélissa, compagne de labeur (dactylographie, travaux de traduction).

Des passages lucides et beaux sur la difficulté de l'existence menée :

« Mercredi 4 mars 1970 : La vie en général, en ce moment, est en même temps agréable et amère. Mélissa et moi nous nous aimons comme jamais et sommes très proches l'un de l'autre. En même temps, toutes sortes de difficultés empêchent l'épanouissement, et d'abord la nécessité de travailler. À l'évidence, le choix professionnel que j'ai fait s'est toujours accompagné de l'espérance qu'un jour viendrait assez vite où il me suffirait d'écrire cinq cent pages par an pour vivre dans le luxe. Ce n'est pas encore le cas, et même les succès partiels rendent plus amère l'insuffisance générale. » P.274

Ses critiques de films très intéressantes, sans concession si ce n'est passionnantes. Un regard explorant toutes les facettes d'un film. Exemple :

« Le soir, vu l'ÉTAU (TOPAZ) d'Alfred Hitchcock. C'est un film mineur. On ne s'ennuie à aucun moment, mais le propos est fort limité, c'est un scénario de bande dessinée, en fait, moins tous les éléments spectaculaires, un faux documentaire sur une semaine de boulot d'un agent de renseignement. Le plus frappant : les hommes sont si pasteurisés, si englués dans une espèce de rond-de-cuir-aventurier behaviour que tous les rapports avec les femmes sont gelés et nuls. C'est sans doute le plus intéressant de l'affaire, et notamment il y a une jolie scène où Claude Jade s'affaire auprès de son mari blessé par balle (Subor), qui dit que ce n'est rien, réclame un verre d'alcool (que Stafford lui donne), et raconte son aventure à Stafford en répétant que ce n'est rien et de la façon dont il la raconte, ce n'est, de fait, plus rien. Les seuls passionnés de cette bande de veaux sont le Cubain et la Cubaine, ce qui donne lieu à la plus belle scène du film.
Par ailleurs, perfection hitchcockienne de la narration et de la technique. C'est beaucoup, mais cela sert un propos très limité – et les méchants, nombreux, épisodiques et privés, sauf le Cubain, de toute épaisseur, ne présentent aucun intérêt. L'enjeu présente une telle facticité, pour une si grande importance supposée, qu'il ne retient pas une seconde l'attention. Le Héros, enfin, ne semble jamais en danger. » P.279-280.

Ai repéré sur le Net un Site consacré à Manchette. Il y est aussi question de son Journal. Plus exactement d'une rencontre consacrée à ce dernier à la Bilipo (Bibliothèque des Littératures Policières, à Paris), le 17 mai 2008. La rencontre de 90 mns est enregistrée et peut s'écouter.


Samedi 20 juin

Après-midi avec Annie au Café Poste. Intérieur de la brasserie très agréable. Adore ces lieux qu'offre une ville où l'ont peut passer un moment tranquille, un moment précieux avec l'autre. Les yeux d'Annie. Retour à pied comme à l'aller. Ai rencontré dans les deux sens du chemin, Marie et Jean-Paul.

Soirée barbecue et crudités à la maison avec Nabile,son épouse et leur petit. Le Shérif et Chérif. Agréable.


Dimanche 21 juin

Journée de la musique. N'y suis pas allée. Ne faisait pas beau. Y serais bien allée avec Annie si elle n'avait pas été prise. Ai préféré mettre à jour mon journal. Sur la suggestion du Shérif ai vu Brezzy à la télé, film de Clint Estwood, 1973. La différence d'âge – homme plus vieux, femme beaucoup plus jeune – de situations sociales, le regard médusé ou envieux d'autrui... tout les sépare. Qu'importe, cela vaut la peine de tenter le pari de vivre l'amour, le temps présent de l'amour.

Demain lirais mes Cent et 1 lettres sans pitié.

Mercredi 24 juin

Lundi dernier, avons vu le film Jaffa de Keren YEDAYA, cinéaste israélienne que je découvre*.Jaffa

Le titre original est Kalat Hayam, transcription de l'hébreu signifiant « La fiancée de la mer », nom donné à Jaffa par les Israéliens. Un film qui ne laisse pas indifférent. Je l'ai regardé, le ventre noué, sachant que dans cette partie du monde, la haine, la séparation entre les êtres sont à l'œuvre.Ai beaucoup aimé la dernière image, le regard d'amour entre la petite fille, fille d'une juive israélienne et son père, arabe palestinien, et la chanson qui s'élève à ce moment, en langue arabe : « dès le premier regard, je t'ai aimée... »

Keren YedayaKeren YEDAYA est donc née en 1972 aux États-Unis et vit en Israël depuis 1975. Militante féministe, elle fait aussi partie de groupes de protestation contre l'occupation des territoires palestiniens. À part Jaffa (2008), elle a réalisé les films Mon trésor (2004), sur la prostitution féminine à Tel Aviv – ce film qui a l'air d'être sans concession, il faudrait que je le voie, navigant sur la toile, j'ai appris que la belle Ronit ELKABETZ** y joue (elle joue aussi dans Jaffa)- Lullu (2001), Les dessous (2001)... Bref, une cinéaste que je vais m'empresser de connaître!

Ronit El Kabetz**Ronit ELKABETZ, je l'ai vue pour la première fois et admirée dans le beau film du cinéaste israélien Eran KOLIRIN, La Fanfare (2007). Actrice mais aussi cinéaste, elle fait partie de ceux et celles qui nous enseignent, nous rappellent que la société israélienne peut être dure, impitoyable pour « ses propres siens », entre autres les femmes.

Traversée par une fulgurance : toute femme, tout homme est d'abord un obstacle, un mur sur lequel bute, se cogne l'élan.

Jeudi 25 juin

Lis Une part de ma vie, Entretiens (1983-1989) de Bernard Koltès, Les Éditions de Minuit, 1999. Lis parallèlement le Journal (1977-1990), premier volume, de Jean-Luc Lagarce, Éd. Les Solitaires Intempestifs, 2007.

Je ne sais pas pourquoi mais j'ai parfois l'impression que ces deux-là se confondent dans ma tête...

Citation de Koltès : « Je trouve le monde occidental d'une arrogance terrible... par rapport au reste de la Terre. Les pays d'Europe sont tous plus vaniteux les uns que les autres. Sauf, peut-être, le Portugal. Les Portugais ont toutes les qualités du tiers monde. Ils sont d'une gentillesse, d'une douceur, ce sont des gens pauvres et en même temps des aristocrates. Je me sens bien avec eux... Les voyages, c'est très important de les faire pendant une période. Ça remet aussi la France à sa place, mais il y a un moment où il faut s'arrêter. Je ne veux plus remettre les pieds dans le tiers-monde, aller en Afrique, ça devient une souffrance permanente, à me dire constamment : mais qu'est-ce que je fous là? On y occupe la place odieuse des gens riches, des voyeurs... Je ne veux plus y retourner, j'ai emmagasiné suffisamment d'images pour écrire toute ma vie là-dessus... alors je vais au Portugal. », Le Républicain Lorrain, 27 octobre, 1988, P. 117.

Vendredi 26 juin

Lis en diagonale Aimer encore de Sophie de Vilmorin, Gallimard, 1999.

Suis tombée sur ce passage incroyable, à propos d'André Malraux dont elle a été la dernière compagne : « ... s'il était interpellé par la mort à un très haut degré, il était modérément atteint par la perte d'êtres qui lui avaient été proches sentimentalement.

J'irai jusqu'à dire qu'il n'était en deuil de personne. Si j'avais disparu et qu'il eût trouvé une autre femme pour prendre ma place, il m'eût pareillement enfouie dans ses limbes personnels, sans regrets prolongés ni photo. » P.122.

Beaucoup de pluie aujourd'hui. Cœur lourd.

Samedi 27 juin

Ville nettoyée après les trombes d'eau. Ai débouché sur la Grande Rue, le pavé en était net comme un sou neuf. Suis allée acheter des croissants nature. Mais avant cela, ai rencontré F. qui ne demandait pas mieux que de tailler une bavette. M'a parlé de sa fille, mutée en Arles, de son fils, de ses futures vacances en Bretagne, de sa fatigue de Besançon, de la vie qui y est trop chère. Prête à aller dans un coin qui lui plaît et ne cherche pas le confort. Quand elle a abordé le chapitre santé... j'ai regardé ma montre. Sur ce, est arrivé un petit blond de onze ans qui m'a fait volontiers la bise, le fils d'Adrienne, tout ravi de m'apprendre que la veille, à cause de la pluie, il y a eu des dégâts, rue Battant! A Dix heures, arrivée chez Hélène pour la préparation des plats de Resto Trottoir du lendemain.

Dimanche 28 juin

Resto Trottoir. Belle journée. Bonheur de servir les autres. D'être avec les autres. Chérif a dit au Shérif : « Jamais je n'ai vu Soumya avec un air si heureux ». Stéphane Ch. est venu. Annie aussi. M'a emmenée ensuite du côté du Chemin de halage de Casamène. Une merveille. Il faisait très beau. Avons terminé la soirée ensemble, dans un restau de la ville. Discussion. Émotion. Rires. Y avons rencontré Arnaud S. et son amie, amoureux.

Lundi 29 juin

La vie. La vie. La vie. La vie. La vie. La vie. La vie.

Mardi 30 juin

Anouar BenmalekReçoit par la poste le livre du frérot Anouar BENMALEK intitulé Le Rapt, publié chez Fayard et qui « sort » à la rentrée de septembre 2009. Un volume plutôt imposant. Comment il fait mon bénédictin de frère? En tous cas, j'espère qu'il aura le vaste, oui!, succès qu'il mérite.

À Dijon pour réunion de préparation du colloque sur la Palestine, automne 2009. Ma part, avec Jacques M. et Fayçal S. : Lecture et musique autour de la poésie de Mahmoud Darwich. Avec plus de poèmes d'amour que la dernière fois.




Mercredi 1 juillet

Matinée : travaillant sur mes Cent et 1 lettres , ai voulu vérifier à propos de l'évocation d'un personnage, l'exactitude de l'expression : pronostic vital. Jetant un coup d'œil sur Internet, suis tombée sur un Blog soulevant la question du pronostic vital et les statistiques... Intéressant. Relevé, cette citation à propos des « calculs probabilistiques » : « Il y a bien les mensonges, il y a quand même les mensonges infâmes, mais au-delà de tout ça, il y a les statistiques » Sam Clamens (Mark Twain). Noté également ce titre La médiane ne dit pas tout de Stephen Jay Gould. Me promets de le lire.


Fin d'après-midi, réunion-bilan du dernier Resto Trottoir.

Jeudi 2 juillet

Travail sur mes Cent et 1 lettres. Passages entiers biffés.

Arrêt vers 13h. Serpillère sur le sol de la cuisine et du salon. Douche et ai filé en vitesse pour être au rendez-vous d'Annie R. et Bernadette à la brasserie 1802, au centre-ville. Pause, moment agréable avec les deux copines.

Soirée de fin d'année universitaire avec les collègues de l'IUFM du Shérif. Soirée gourmande. Les merguez et côtelettes de « chez Mr Hallal » comme dit Arnaud S. Délicieuses! Les morceaux de melon parfumés avec des feuilles de menthe fraîche ramenés par Étienne (et sa bonne humeur). Pas mal du tout et son clafoutis. Les fromages divins dont un magnifique Comté de Lionel. Le cake d'Élia, fait avec de l'huile d'arachide et un vin blanc, moelleux, parfumé, bref, tout le monde s'est jeté dessus, les vins Sancerre de Philippe : blanc et rouge (oui), très bons... etc... la maison de Bernard et son grand jardin. Cerveau en veille (pour ma part en tout cas), papilles en alerte : moment bon à prendre!

Vendredi 3 juillet

Cent et 1 lettres.

Suis tombée sur un vieux numéro de la Revue Esprit (1982). Relève ces mots d'un entretien de Dolto (qui n'a jamais été ma tasse de thé): « ... car la névrose fait partie de la vie du civilisé, mais on ajoute, on surajoute tout à fait gratuitement des souffrances à celles que tout un chacun éprouve...» C'est peut-être une de mes spécialités!

Samedi 4 juillet

Avec Le Shérif. Ensemble.

Dimanche 5 juillet

Anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Le combien-unième? Petit-déj à la terrasse.

Menus rangements. Ensuite, chacun de son côté devant son ordi. Mets à jour mon journal.

Jeudi 9 juillet

Hier, entretien avec Stefan pour le Site Migrations. Arrivé un peu tard, la réunion à la fac se prolongeant, s'est ensuite un peu perdu, à vélo, pour venir à la maison. Dans son expérience, villes et langues plurielles. Une parole posée laissant entrevoir un parcours non conforme par certains aspects et non des moindres.

Il a plu, il pleut. Au moment où j'écris, 15h03, il fait gris. Pas très gai.

Le Shérif à Paris pour les Jurys du CAPES. Ai reçu de lui un mail très doux, de cette douceur qui me rattache à la vie, à la tendresse de la vie de cette énigmatique et fichue existence! Quelques amis essentiels absents de Besançon. Aucune excuse pour ne pas travailler.

Veza Canetti à Georges : « Ce qui me fait souffrir, terriblement souffrir, ce qui me déçoit et me déprime, c'est que secrètement, doucement, avec bonheur, j'espère que tu viendras bientôt. » Lettre envoyée de Londres, 27 août 1947.

Vendredi 10 juillet

Hier, soirée chez Cédric et Christine. Rires de B. et d'I. lorsque j'ai dit que peut-être je rejoindrai, début août, dans les Ardennes un rassemblement de femmes féministes. Eux, quand ils se réunissent entre hommes, leurs amitiés sont souvent masculines, personne ne vient en rire. C'est le fait qu'ils se croyaient autorisés d'en rire qui me laisse songeuse...

Temps mitigé. Colère contre Y. Écris long mail au Shérif. Relis mon journal. Retrouve d'anciens carnets de notes où je repère cette citation de Morgiève concernant son expérience d'animateur d'ateliers d'écriture :
« Devant ces gens, je suis père, chamane, psy, curé. C'est très dangereux, parce qu'il se passe des choses très fortes. Grâce à l'écrit, les gens réalisent qu'ils ne vivent pas, qu'ils ne sont pas nés, qu'ils se haïssent ou qu'ils s'aiment. » Pas faux, pas faux...

Samedi 11 juillet

Émotion : Samy malade. Coups de fils entre nous. Un peu rassurés. Faire descendre la fièvre. Journée plutôt chaude passée étrangement.

Ai travaillé sur l'entretien avec Stefan. Pense aussi à celui avec Selim. Cela m'a reposée, me sortant de moi-même. Toujours cette impression quand je reprends les entretiens. Sortir de moi-même pour aller vers d'autres univers.

Lis Ô Besançon, Une Jeunesse 70 de Mustapha Kharmoudi. Témoignage vivant, alerte, arrive à retranscrire une ambiance. J'ai parfois attrapé des fous rires... Mais certaines expressions me laissent rêveuse.

Temps agréable. Le chant des oiseaux. Pense à ce que m'a dit le Shérif alors que je lui faisais part de cette impression de vide qui me gagne : « Je parlerais plutôt de trop plein... » et il a énuméré : « Tes Cent et 1 lettres, tes entretiens, ton journal personnel, tes sorties » Oui...

Lundi 13 juillet

Hier soir, vers 18H30, promenade au cimetière de St-Claude, non loin de chez-moi. Des tombes d'époux, de quasi jumeaux, non seulement pour les dates de naissance mais aussi pour les dates de décès, à deux années près, comme si l'un ne pouvait vivre plus longtemps sans l'autre, qui n'est plus là.
Vu aussi le portrait d'une toute jeune femme « morte pour la France », en 1944. La France : aujourd'hui, cela me paraît bizarre que l'on puisse mourir pour un pays. Plutôt pour des valeurs.

Je ne sais plus l'insouciance. Mais suis encore capable de cela : capter le vert de l'herbe, la couleur rousse d'un chat, le rouge corail des groseilles en passant devant un jardin.

Ai lu et relis le premier volume de J-L Lagarce. Dense. Très bien. Sans miséricorde. Y reviendrai.

Mardi 14 juillet

Hier, il a fait très chaud. Ne m'en suis aperçue qu'en sortant vers 17h30. Menues courses au magasin du coin. Y ai rencontré Sandra qui est entrée s'y rafraichir, dans le rayon du frais! Échanges rieurs sur les hommes, plus exactement les époux. Lui dit dit que je suis seule, le Shérif étant à Paris pour les Jury du Capes : « Humm, ça fait du bien d'être seule, me dit-elle, envieuse. Le mien ne comprend pas que je veuille être seule, de temps en temps. Les hommes viennent d'une autre planète! » Cette nuit, il a plu.

Aujourd'hui, il pleut. Petit-déj. : beaucoup de café et des biscuits chocolatés, écœurants à souhait. Entre les mains le Journal de Lagarce : même quand il écrit sous forme de notes, c'est dense, dense de vie et de désespoir.

Relis ce passage de Musil dans L'homme sans qualité, qui m'avait échappée et qui pourrait s'intituler « L'illusion du récit » (de toute mise en narration du réel) :
« Il lui vint tout à coup à l'esprit... que la loi de cette vie à laquelle on aspire quand on est surchargé de tâches et que l'on rêve de simplicité, n'était pas autre chose que la loi de la narration classique! De cet ordre simple qui permet de dire : « Quand cela se fut passé, ceci se produisit! ». C'est la succession pure et simple, la reproduction de la diversité oppressante de la vie sous une forme unidimensionnelle, comme dirait un mathématicien, qui nous rassure; l'alignement de tout ce qui s'est passé dans l'espace et le temps le long d'un fil, ce fameux « fil du récit » justement, avec lequel finit par se confondre le fil de la vie. Heureux celui qui peut dire « lorsque », « avant que » et « après que »! Il peut bien lui être arrivé malheur, il peut bien s'être tordu dans les pires souffrances : aussitôt qu'il est en mesure de reproduire les événements dans la succession de leur déroulement temporel, il se sent aussi bien que si le soleil lui brillait sur le ventre. C'est ce dont le roman a tiré habilement profit... La plupart des hommes sont, dans leur rapport fondamental avec eux-mêmes, des narrateurs. Ils n'aiment pas la poésie, ou seulement par moments. Même si quelque « parce que » et « pour que » se mêlent ici et là au fil de la vie, ils n'en ont pas moins en horreur toute réflexion qui tente d'aller d'aller au-delà. Ils aiment la succession bien réglée des faits parce qu'elle a toutes les apparences de la nécessité, et l'impression que leur vie suit un « cours » est pour eux comme un abri dans le chaos. »

Mercredi 15 juillet

Nuit dernière quasi blanche. Sensation de temps subi, morcelé, divisé, déformant la notion intérieure, intime du temps.

N'ai pas travaillé, ne me suis pas mise volontairement devant l'ordinateur. Déteste l'idée que ma vie pourrait être cela : arrimée à un écran!

Suis allée à pied à la médiathèque. Bonheur de marcher et conscience de ce bonheur. Comment font-ils ceux qui ne marchent pas? Ai emprunté à la médiathèque le deuxième volume de Jean-Luc Lagarce et le dernier Virginia Woolf de Viviane Forrester, Albin Michel, 2009.

Sur le chemin du retour ai pensé au fait que rarement les êtres quand ils s'attirent se disent ce qu'ils voudraient se dire, en toute sincérité, sans masque, ni stratégie. Pourquoi les gestes sont-ils paralysés, comme interdits d'expression? Pourquoi presque toujours les mauvais mots et presque jamais les bons? Pourquoi les sentiments muselés, comme honteux d'eux-mêmes? Il doit y avoir une raison à cela. (« La fausseté de l'amour même » ? Apollinaire)

La voix du Shérif au téléphone. Sa fatigue mais aussi son rire!


Jeudi 16 juillet

Quand quelqu'un vous fait part de ses «misérables secrets » comme disait Gide, gardez-vous de prendre cela comme un gage de confiance, un rapprochement affectif et sympathique, comme je l'ai longtemps cru. Quelque chose est de l'ordre de l'impudeur, de l'agression, voire de la manipulation.

Époux alcoolique et violent. Père incestueux. Mère perverse. Fratrie veule, jalouse et dévoratrice... Chaque matin que Dieu fit, la tasse d'eaux usées et sales me fut servie, le petit doigt levé.
A eu le front de s'étonner de l'effet sur moi, de l'effet de ses mots qui m'ont agrippée tels des serres d'oiseaux et qui me donnaient la nausée.

Vendredi 17 juillet

Elle me dit : « Dans toute femme, il y a une assistante sociale » J'en sens la mordante ironie, sans doute l'autocritique mais je m'insurge. Seigneur, peut-on ressentir quoi que ce soit sans ramener cela à une nature féminine vouée à l'assistanat!

Je pense à René à qui j'aurais voulu dire : Consens à guérir de son désamour. Consens. N'attends plus et vis ta vie. Regarde ceux qui sont au bord de ton chemin, au bord de ton cœur. Regarde et accueille. Elle ne reconnaîtra rien. La perversité ne reconnaît pas sa perversité. Va, éloigne-toi, coupe les amarres et vis ta vie.

Soirée : je te salue Françoise pleine de bienveillance et de fantaisie et qui m'accueilles dans ton gracieux et douillet appartement. Nous ne sommes pas sages, toi avec un verre de whisky et moi avec un verre de vodka, nous nous donnons des nouvelles, toi qui m'écoutes et moi qui t'écoute...

Samedi 18 juillet

Hier, coup de fil de Linael qui m'invite à l'apéro de Solidarités Femmes. Linael si blonde et à qui l'été va si bien. L'association n'est plus à rue Mégevand. Elle a déménagé, à Palente, rue des Roses, dans une très belle maison avec un tout aussi beau jardin. Un ancien salon de coiffure. Peinture des murs à laquelle Linael a participé activement. Soirée agréable avec un moment dense : film Pour en finir avec les violences de Marion Lary


Raccompagnée par André et Madeleine. Rentrée à la maison, rendez-vous téléphonique avec Am. Parlons longuement. Serment renouvelé entre ma fille et moi : à n'importe quelle heure, où que tu sois, si tu es mal, appelle-moi « que rien ne t'arrête ». Le serment vaut pour l'une et pour l'autre.

Offrande

Il fait chaud et nous allons à Dijon. C'est Jacques qui est au volant. Nous attendons un moment Jean-Paul. Il fait agréablement chaud, de cette chaleur qui me rappelle l'Algérie, l'Andalousie, la Grèce. Je suis fatiguée de cette fatigue qui me donne envie de somnoler. J.P arrive, s'assied à l'arrière et nous partons. Les garçons bavardent et leurs voix me bercent. Je m'assoupis, instants délicieux d'un inattendu repos. Lorsque nous arrivons, je suis en forme. J'ai soif et je n'ai pas pris, contrairement à mon habitude, une bouteille d'eau. Nous somme à la fac, une fac en position « veille », c'est presque le début des vacances.
Ils nous attendent. L'un d'eux me propose, par défaut, l'eau de robinet des toilettes. Non, merci, pas attirée! Mais lui que je ne connais pas a entendu : il va à la cafét. et achète pour tout le monde, des bouteilles d'eau bien fraiches. Juliette, encore plus mince que la dernière fois, les cheveux relevés, nous prépare un excellent café. Parmi la petite assemblée, une étudiante qui prépare une thèse sur les Palestiniennes. Cet été, elle part en Palestine. J'aurais aimé lui parler, l'interroger pour en savoir plus. La réunion se passe bien. Dernières précisions apportées aux intitulés des interventions du prochain colloque. Le récital poétique confirmé.
C'est encore lui qui ne nous laisse pas vite repartir. Il nous demande si nous avons le temps de prendre un verre dehors, dans un café et c'est encore lui qui règle le prix de nos boissons. Sa poignée de main est nette et forte.
Nous repartons et je suis de belle humeur. Je dois porter en moi la trace immémoriale de nomades, ne dépliant leurs tentes qu'en fonction des points d'eau miraculeusement trouvés, de pèlerins assoiffés accueillant dans leurs mains jointes l'eau sacrée de l'hospitalité pour n'être jamais insensible à L'offrande de l'eau.

Dimanche 19 juillet

Le Shérif revenu. Ensemble.

Lundi 20 juillet

Les vacances se profilent enfin, ô bénédiction! Dit au Shérif que je voudrais me trouver dans un endroit si beau que sa beauté me rendrait tout secondaire...

Mardi 21 juillet

« Pourtant les gens vivent. Peux pas imaginer ce qui se passe derrière les visages. Tout est surface dure. » Virginia Woolf


Mercredi 22 juillet

Très chaud hier. Et ce n'était pas désagréable. Aujourd'hui, bien sûr, il pleut des trombes!

Matin : plein de café noir, préparé dans une cafetière italienne. Cake « industriel » très sucré. Entre les mains : le Virginia Woolf de Forrester.

Oui, il est vrai, on n'en finit jamais avec Virginia. Présence fascinante et si vivante, si présente. Mais tout de même, il y a comme un acharnement chez les biographes, à prétendre vouloir capter la « vérité » d'un être... Et cette façon de tenir la chandelle et de s'occuper de la sexualité d'une personne qui n'est plus de ce monde, de distribuer les bons et les mauvais points à ceux de son entourage...

Le dérapage de la biographie : faire de la personne qui n'est plus là un os à ronger.

André Brink, l'un des grands amours littéraires de ma vie, a été invité au Festival Panafricain d'Alger, ce mois de juillet 2009. Lors d'une conférence de presse qui lui était consacrée, des journalistes algériens lui ont demandé quels étaient les écrivains algériens qu'il lisait. Il a répondu : « Albert camus » Il paraît qu'il ne se déplaçait pas pour les conférences des autres écrivains invités comme lui au Festival. Bref.

Nous en discutons Am et moi, au téléphone et nous sommes d'accord sur le fait que les livres d'un écrivain valent plus que lui. Ainsi de Brink grâce à qui l'Afrique du Sud nous fut révélée et de quelle façon! Jamais je n'oublierai : Au plus noir de la nuit, Un turbulent silence, Une saison blanche et sèche...
Tant pis s'il méconnaît à ce point les écrivains d'Algérie, les écrivains de son continent. Disons qu'il vieillit et qu'on ne peut pas demander à un écrivain d'être présent sur tous les fronts!

Qui sait? Lorsque les femmes, encore trop nombreuses, ne se penseront plus structurellement préposées aux tâches domestiques, lorsqu'elles ne penseront plus être le prolongement de la serpillère, du fer à repasser, du chiffon à essuyer la poussière, quand elle ne se penseront plus représentantes de l'ordre et de l'honneur ménagers de leur maisons, elles consacreront sans doute plus de temps aux arts, aux sciences, à l'amour, oui, qui sait?
Pendant que je parle, elle me dévisage, ses traits se crispent. Je ne corresponds pas exactement au modèle auquel elle voudrait que je corresponde. Forcément, je viens de là-bas. Or, elle le sait, je suis libre, plus libre qu'elle ne le sera jamais.

Alors, bassement, elle m'assène : « Les femmes soumises des pays arabes! » Je n'ai même pas envie de lui tendre le miroir et de lui dire que ce « soumises » qu'elle vient si allègrement d'accoler à des femme dont elle ignore, pour beaucoup d'entre elles, le courage et la formidable énergie, la concerne, elle, pleinement.

Jeudi 23 juillet

La capacité de fourvoiement dont nous sommes capables, nous autres humains... Les sentiments qui se trompent, persistent et signent... La capacité d'aveuglement...

Il arrive que la souffrance morale soit si intolérable que l'éventualité de la mort est entrevue comme un arrêt de cette souffrance et le soulagement qu'elle apporte.

Dans le train, en direction de Paris. Lis L'amour soudain de Aharon Appelfeld :

« Iréna connaît le mot « contradiction » mais elle ne sait comment l'utiliser. Elle le compare souvent à une épée sortie de son fourreau, qui menace d'attaquer » P.44
« Je m'entraînais à être un bon soldat, un soldat qui reçoit des ordres et les exécute sans broncher. Tout ce que j'avais appris au lycée – le doute, l'hypothèse, la comparaison, le double sens – cet apprentissage étendu et subtil était à mes yeux une faute que je devais payer par des travaux forcés. » P.4

Regarde autour de moi, les gens lisent dans le train. Et de gros livres! Des livres de vacances.

Vendredi 24 juillet

Paris. L'angoisse, devenue une tonne de fatigue, me terrasse. Maux de tête. Nerfs à vif. Courbatures. Am s'occupe de moi, me soigne, me gâte.

Dimanche 26 juillet

Fin de journée, promenade à Montmartre avec Am. Fait beau. Nous admirons de belles maisons, entourées de leur silence. Sont-ils heureux ceux qui y vivent?

Foule insouciante et joyeuse de jeunes gens sur les marches qui mènent au Sacré-Cœur. Dis à Am : « Sais-tu que la Basilique du Sacré-Cœur a été édifiée pour célébrer l'écrasement de La Commune? » « Oh maman..! »

Et alors que nous déambulons dans Montmartre, où l'on s'est appliqué à effacer le moindre souvenir de la Commune de 1871, je rappelle à ma grande que cette Commune-là fut le terreau fertile d'acquis sociaux fabuleux dont nous sommes encore redevables que nous le voulions ou non : la liberté de la presse, la liberté de réunion, la séparation de l'Église et de l'État, l'enseignement gratuit et obligatoire, le repos hebdomadaire obligatoire, l'abolition de la peine de mort... Lui parle de Leo Frankel, un Hongrois, celui-là bien sympathique à mon cœur et qui avait siégé au Conseil de la Commune. Lui récite ces quelques lignes magnifiques : « Considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle; considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent (...) la commission est d'avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l'admission du citoyen Frankel » !

Re-lis Le pur et l'impur de Colette. Ces lignes : « Je perçus au-dessus de moi des froissements d'étoffes, des chutes molles de coussins sur le plancher sonore et le silence se reforma. Mais du sein de ce silence même un son naquit imperceptiblement dans une gorge de femme, un son qui s'essaya rauque, s'éclaircit, prit sa fermeté et son ampleur en se répétant, comme les notes pleines que le rossignol redit et accumule jusqu'à ce qu'elles s'écroulent en roulade... une femme, là-haut, luttait contre son plaisir envahissant, le hâtait vers son terme et sa destruction, sur un rythme calme d'abord, si harmonieusement, si régulièrement précipité que je me surpris à suivre, d'un hochement de tête, sa cadence aussi parfaite que sa mélodie »


Lundi 27 juillet

Arrivée au Tréport. J'éprouve de la joie.

Mardi 28 juillet

Longue promenade avec Nad et Flo. Flocques. Puis Ménil-Val. Jardins fleuris. Des parterres de fleurs sauvages de toutes les couleurs dont le rouge des coquelicots. Déjeuner de moules-frites face à la mer. Moment calme, agréable, reposant.

Retour au Tréport. Vers la fin de la journée, premier bain de mer avec Flo. Vaste est le paysage. Vaste est la mer. Je respire. Mon cœur s'ouvre.

Mercredi 29 juillet

Courses « marines » avec Flo à la poissonnerie municipale du Tréport. Plaisir d'acheter du poisson frais. Étrilles, moules, sardines. Avons préparé le déjeuner à trois dans une ambiance enthousiaste.
Nad ne nous accompagne pas. Irrémédiable méditerranéenne, l'eau est froide pour elle! Flo et moi nageons dans la mer fraîche et vivifiante, longtemps. Ressortons délicieusement épuisées. Les vagues fortes nous font tomber sur les galets. Pas de sable. Que des galets.

Jeudi 30 juillet

Me suis arrêtée devant « L'hôtel du Calais », datant du 19ème siècle. C'était un relais de voyageurs. J'entre dans la cour et j'imagine les chevaux, les diligences. Victor Hugo s'y arrêta à deux reprises. Il avait fortement aimé le Tréport.

L'hôtel se trouve dans la rue de la Commune de Paris! Cette rue, si j'ai bien compris, est la plus ancienne du Tréport, longue et large, elle a « regard » sur la mer.

Dans une rue en pente, des magasins pour touristes qui vendent des babioles de toutes sortes. Je m'y arrête, cherchant un bandeau pour la tête. La vendeuse, dans les 45 ans, me demande si je viens de la région parisienne. Elle me questionne : « Vous avez remarqué qu'il y a peu de visiteurs? » Je n'en sais trop rien et le lui dis. « Mais, il n' y a personne! (pas d'acheteurs). Il n'y a plus de travail en France. On ferme les entreprises, on laisse les ouvriers sur le carreau pour exploiter ailleurs les gens. Cela ne peut plus continuer ainsi. Comment voulez-vous que les gens prennent des vacances quand ils ne sont pas sûrs de retrouver leur travail en septembre! » Je perçois sa révolte. Et dans sa révolte, j'entends son inquiétude.

Je continue ma déambulation, remarque les titres des journaux annonçant la mise au chômage de centaines d'ouvriers chez Alcatel, repense à la fermeture de la scierie de la région, vois les pancartes « à vendre » affichées sur les façades des maisons...

Vendredi 31 juillet

Gigot bien grillé, à l'algérienne, avec plein de gousses d'ail, préparé par Nad. Une merveille, comme toujours. Nous prépare aussi un café à la normande : faire d'abord frémir l'eau pendant quelques secondes avec une poignée de grains de chicorée avant de rajouter la mouture de café. C'est très bon. Ai, pour ma part, préparé un cake sous les yeux de Flo.

Température tiède, presque chaude mais cette fois, n'ai pas voulu bouger de la maison. Suis restée dans le jardin, étendue sur la chaise longue, en lisant par intermittence : L'Étoile Vesper de Colette.

Quand elle écrit L'Étoile, Colette ne marche plus, alourdie par son poids, quasi paralysée par l'arthrite. Elle y parle, entre autres, de sa vieillesse : «Comme c'est étrange, une vie d'où se retire toute espèce de malice. Ne plus mentir bénignement, ne plus abuser personne. Ne plus porter mes pas dans la direction imprévue, ne presque plus choisir... je suis entrée dans la dépendance » 

Évoque des amis dont Hélène Picard, poète, que j'ai complètement oubliée. Me promets de faire des recherches.

Aimer, c'est se rendre compte des immenses contrées désertiques portées en soi.

Samedi 1er août

Au petit musée du Vieux Tréport. De nombreux Tréportais vivaient du ramassage de galets. Métier très dur. Regarde les photographies, lis attentivement les explications affichées. Je recopie : « Sur l'échelle Mors de dureté des corps, seuls le diamant, le carborundum et l'émeraude sont supérieurs au galet silex de mer... » « Les derniers ramasseurs de galets, Mr et Mme Marcassin, prenaient leur retraite le 1er juillet 1985. »

La croix de grès, visible dans la rue La Commune de Paris, a été édifiée en 1618, d'où elle dominait la mer.

Regarde d'autres photos, représentant des porteuses d'eau. Visages sombres, à l'image de la dureté du métier. Un porte-seau, datant de la fin du 19ème/début 20ème siècle, est exposé à nos regards. Un instrument de torture!

Entre dans l'église Saint-Jacques. Belle et accueillante. Le chemin de Croix est relaté dans des bas-reliefs qui ne laissent pas indifférents : « Jésus tombe pour la première fois sous le poids de la croix », « Jésus rencontre sa mère » « Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix » « Jésus tombe pour la deuxième fois » « Jésus rencontre des femmes de Jérusalem qui pleurent » « Jésus tombe pour la troisième fois »... Tellement humain... Et ce supplice horrible! L'imagination cruelle des hommes, s'exerçant sur leurs semblables est sans fond et sans limites. Je pense à Spartacus, à l'écrasement de la révolte des esclaves : 6000 esclavec crucifiés sur la Via Appia, la route entre Capone et Rome! Et le supplice à ceux-là??? Quels bas-reliefs de quelle église le relateront?
Je m'assieds dans l'espace consacré à la prière et à la méditation. Espace de silence où je me pose, me recueille. Qu'il est précieux de ne pas parler, de ne pas entendre parler. Ma prière profane est muette et secrète.

Me promène à « l'intérieur » du Tréport. Rue Alexandre Papin au n° 116, une maison à la porte rouge sur laquelle est accroché un cœur blanc piqueté de deux coccinelles rouges. Porte le nom de « Hauteville House », accompagné d'un croquis représentant Victor Hugo. Rampe Jonas Lefranc, au 6 : Comtesse Yves Carrier Lambert. Rue Docteur Pepin, des maisons qui portent la date de 1885. Des maisons qui ont pour noms « Mon caprice », « Mon désir », « La Musarde », « Serpolette »...

Dimanche 2 août

« Ce que nous mangeons se transforme directement dans notre corps. D'une certaine façon, c'est mon premier rapport, très direct, à la terre. En tant que danseuse et avec l'âge, je suis encore plus vigilante sur la nourriture. Mes capacités physiques, ma flexibilité, ma résistance aussi, participent de mes aliments. Je veux continuer à danser le plus longtemps possible. Je suis une danseuse avant d'être une chorégraphe. » Anne Teresa De Keersmaeker, Le Monde, 1er août 2009.

« Le corps est notre maison, notre humanité, ce que nous avons à la fois de plus individuel, de plus universel aussi. C'est toujours à travers lui que je me relie au monde et que je lis aussi le monde. Il porte toutes les traces, presque des cicatrices, des expériences que j'ai traversées. Pour en revenir au spectacle et au mouvement, c'est la verticalité du dos qui me semble fondamentale. La colonne vertébrale concentre l'histoire de l'humanité. Aller vers le haut est le mouvement essentiel. Voler évidemment, comme le désir secret d'une danse. »

« J'aime cet artisanat du métier, cet ancrage dans une routine quotidienne qui permet une réflexion sur le mouvement et la danse. », Idem.


Lundi 3 août

Il lui écrit : Je suis ici. Tu es là-bas. De toi à moi, la distance et dans cette distance le manque de toi, le manque de nous.

Hier à Mers-Les-Bains, avec Nad et Flo, pour une brocante qui n'a pas eu lieu. Promenade, observation, en haut d'escaliers, des toits. Certains toits quasiment blanchis par les excréments des goélands. Corrosifs. Les façades faites en briques rouges. De belles maisons. Les pancartes « à vendre » , comme au Tréport, ne sont pas rares.

Il a fait beau. Sommes allées déjeuner dans un restau, en terrasse, non loin de la mer. Service très lent. Nous ont oubliées. Serait-ce parce que nous étions trois femmes? En longeant la table de deux clientes accompagnées de leurs chiens, un serveur a failli se casser la figure, au sens concret du terme, les bêtes lui ayant marché sur les pieds. Il s'est retrouvé étalé par terre, les plats renversés. Risques inattendus du métier...

En face de moi, un couple, pas loin de la trentaine, se régalant de fruits de mer et de vin blanc. J'ai vu la jeune femme s'essuyer les yeux, elle pleurait. Puis ils se sont embrassés, enlacés. Ils se sont remis à manger et à parler. Et ils se sont encore étreint et ils pleuraient tous les deux, de façon très discrète. J'ai détourné la tête, leur chagrin était palpable. Qui pleuraient-ils? Un bébé qu'ils n'ont pu avoir? Un être aimé disparu? S'aimaient-ils en « cachette », étaient-ils un couple « interdit »? Ils s'étreignaient comme s'ils n'allaient plus se revoir.

Ils m'ont souri. Leurs visages étaient aimables, sympathiques. J'ai eu l'impression que je les connaissais un peu, ces inconnus amoureux que j'ai entrevus sur mon chemin.


Mardi 4 août

Un temps merveilleux, chaud, estival au Tréport. La mer s'est retirée, rendant le sable visible. De nombreux enfants sur la plage, heureux. Des familles.

Ai vu une jeune femme arriver, habillée jusqu'aux chevilles d'une longue jupe en tissu jean, d'un sweat, le visage visible ainsi que sa chevelure noire qui ressemblait à une perruque. Juive intégriste? Les deux petites filles qui l'accompagnaient se sont élancées vers la mer, habillées... Tout de même ces religions qui passent par le corps des femmes!!!

Me suis souvenue d'une femme à Alger, il y a deux, trois étés. Couverte de la tête aux pieds, veste et longue jupe, foulard cachant sa tête et encadrant étroitement son visage, elle était entrée telle quelle dans la mer si attirante. J'étais avec Sam qui m'a dit : « Tu as vu? L'appel de l'eau... Son corps n'a pas résisté! »

Soirée : douceur de l'air, embaumé par les petites roses blanches et fournies du vieux rosier du jardin de Nad et Flo. Dernier soir au Tréport. Ai ramené pour la circonstance une bouteille de ma boisson festive préférée et Nad des ficelles normandes, de la tapenade de poissons. Toasts grillés, encore tièdes, accompagnant nos trois coupes : celles de Nad, Flo et moi-même. Îlot d'affection, de bonheur. Ai téléphoné à Anouar qui n'a pu venir me voir, nous voir et l'ai traité de gredin. Il a ri.

Mercredi 5 août

Anniversaire d'Am. 25 ans! Je quitte le Tréport. Nad et Flo m'accompagnent à la gare. Départ direction Lyon. Am m'attend. Le soir, son anniversaire fêté avec Ho.

Jeudi 6 août

Retour du Shérif. Épuisé. Retrouvailles. Chaleur étouffante à Lyon. Qu'importe. Refêtons l'anniversaire d'Am en présence de son père. Moment d'apaisement. Chaque seconde est pleine de la présence des miens. Gracias a la vida.
Écoutons des chansons algériennes, à la gloire de l'amour profane : « Je t'aime ô Sarah » (J'adore!) et de l'amour divin.

Grappille dans Le génie féminin, Colette de Julia Kristeva.




Vendredi 7 août

Retour à Besançon. Chaleur. Pluie. L'orage gronde. Ai encore dans les yeux, dans la tête, la mer, les paysages, les falaises du Tréport. Les goélands, les mouettes et parfois des cormorans. J'aime le Tréport. Jours heureux. Grande reconnaissance à ma sœur.

Ai repéré sur le Net, un site représentant Le Tréport en cartes postales anciennes.


Jeudi 13 août

Commandements

Avant toute chose, nous ne prendrons pas avec nous nos ordinateurs portables, nous n'irons à nul cyber-café et ne consulterons pas nos boîtes électroniques. Pour quelques jours, le monde tournera sans nous.

Nous laisserons derrière nous l'angoisse et l'inquiétude, les attentes vaines, la multitude des vanités et mesquineries, nous mettrons entre parenthèses nos devoirs et corvées de toutes sortes, nous laisserons nos travaux en suspens... Et que le temps passe puisqu'il passe et passera.

Guerouabi

Libres et légers, nous prendrons la direction de l'Italie. Depuis combien d'années Venise attend-elle notre retour? Tu glisseras un CD dans le lecteur de la voiture et la voix de Guerrouabi que tu aimes tant s'élèvera sur la route de notre échappée : « Entre mon amour et moi, seuls mon amour et moi, personne d'autre que mon amour, et nulle place à l'intrus »



Mardi 1er septembre

venise

Venise


Déjà vous n'êtes plus, jours de lumière et de beauté, jours de Venise! Et voici que septembre arrive...







Mercredi 2 septembre

18 heures, réunion en vue du prochain Resto Trottoir, le 27 septembre 2009.

Avant la réunion, suis passée à l'une des librairies de la ville. Petit échange avec J-F, libraire, sur sa difficulté de placer le livre d'un écrivain. En littérature française? En littérature maghrébine, africaine et autres? C'était plus précisément à propos du livre d'Anouar, Le Rapt lequel était de toutes façons placé avec les livres de la rentrée. Un écrivain se définit-il par la langue? À mon avis, oui. Il n'y a que la langue qui fait de lui un écrivain. Mais il est sûr que ceux qui écrivent en langue française et qui sont originaires de pays autres que la France brouillent les pistes, mettent à mal les visions binaires.


Jeudi 3 septembre

Matin gris et humide. Dans le train, direction Dijon pour une Ladyfest organisée du 2 au 6 septembre, aux Tanneries. Pour ma part, je n'y assisterai que cette journée.

Traversée par les sensations contradictoires de la vie, du fait d'être en vie, de ressentir le fait d'être en vie.

Les paysages défilent. Peu à peu, une lumière s'y introduit. Trait bleu à l'horizon.

Hier, non loin de 20H, assisté sur le pont Battant à une fouille au corps sur un homme qui pouvait avoir entre les 30/32 ans, correctement habillé. Trois policiers... l'un fouillait, palpait ses jambes, les deux autres regardaient. Ils l'ont ensuite laissé repartir et ils se sont engouffrés dans leur voiture.
Le spectacle était étrange, comme un coup de poing dans l'ambiance calme de la rue. Cela ne semblait déranger personne. J'ai dit à V. qui était avec moi : « Nous sommes bien en France? »
Je voudrais bien savoir quelles étaient les raisons objectives de cette fouille?
Comment procèdent-ils, les policiers, au bord de leur véhicule? Ils regardent les passants et choisissent au hasard? Celui-ci avait la peau brune, visiblement d'origine maghrébine. Un hasard, sa fouille au corps? Et d'ailleurs, était-elle légale? Avaient-ils le droit? Mais je devrais savoir puisque « nul n'est censé ignorer la loi ».

Vendredi 4 septembre

Hier, journée aux Tanneries de Dijon pour la ladyfest. Linael est venue m'attendre à la gare. Présence sûre et attentionnée. J'apprécie.

Matinée, atelier défense verbale. Très intéressant. Entre autres, dire non quand en soi, au plus profond de soi, c'est non, quelle que soit la demande. Ne pas s'occuper de ce que pourrait penser l'autre de ce non et de toutes façons on n'en sait rien!

Dans l'assemblée, des hétérosexuelles, des lesbiennes, des transsexuelles... et quelquefois, la question se pose : elle ou il?
Des visages très différents, parfois très beaux, souvent jeunes. Des moins jeunes. Des apparences très diversifiées. La diversité des êtres humains, touchante, troublante, qui ne laisse pas indemne.
Je pense à certains de mes amis, ies et is, si sûrs d'être du côté de ce qui doit être. Ô gens de la norme et de la ligne droite, traversez vos remparts, l'humanité ne s'arrête pas à la vôtre.

Repense au film La fille de Monaco (2006) d'Anne Fontaine, vu il y a quelques jours à la télé, en compagnie du Shérif. Pas aimé. En ai gardé une impression vaguement nauséeuse sans trop savoir pour quelle raison.
Maintenant, je sais. L'histoire pourrait se résumer à cela : Coalition de deux hommes pour se débarrasser d'une femme. L'un, le garde-du corps, pour servir l'autre, l'avocat, la tue en l'envoyant se faire voir par dessus-bord. Après tout elle le méritait bien, ce n'était qu'« une pute », évaporée, futile, vulgaire, ambitieuse, nulle, immorale, amorale, trop libre de son corps diaboliquement beau, le donnant de façon immonde à qui veut, quand elle veut.
Un personnage féminin très chargé titillant la fibre du spectateur qui applaudit volontiers au meurtre de son prochain ou plus exactement de sa prochaine. Après tout, elle l'a bien cherché!
Quant à l'histoire du triangle dont Anne Fontaine semble être la spécialiste disent les journalistes, bof.
Je crois qu'elle a surtout joué sur la confusion des genres, média people/cinéma en puisant son actrice miss météo dans Canal Plus. Celle-là, Louise Bourgoin, si elle n'y prend pas garde, ils vont la bouffer toute crue en lui proposant des rôles d'où elle ne sortira pas, genre « belle garce bête à tuer ».

Lundi 7 septembre

La « reprise » n'est pas encore au niveau top mais je m'y mets aujourd'hui impitoyablement, boostée aussi par le Shérif. Qui me tire toujours de ce côté-là : écrire! Quelles que soient l'objectivité et l'ampleur des soucis.
Donc reprise des Cent et 1 Lettres, des Entretiens pour le Site Migrations et préparation de lectures et de conférences dont une en duo avec le Shérif sur Émilie du Châtelet.

Il fait beau, aujourd'hui. La journée a été également belle hier. Mais nous l'avons consacrée au nettoyage de la maison. Nettoyage de rentrée!

Relire Les vrilles de la vigne et Chéri de Colette. Lire la revue Cités n°38 pour son dossier consacré à « Wittgenstein politique ».

Cités n° 38

Mardi 8 septembre

Toujours j'aimerais les bibliothèques. Quelle que soit la ville où je mets le pied, le premier lieu que je cherche, avant le cinéma, avant le théâtre, est une bibliothèque. Lieu d'accueil et de partage, par excellence. Quiconque peut y rentrer, en tous les cas en France, s'asseoir, prendre un livre, le feuilleter, le lire. Écrire, méditer, somnoler et repartir...
Jamais blasée quand je traverse le seuil d'une bibliothèque publique, le sentiment de joie et de reconnaissance à l'esprit qui a en a conçu l'idée est planté en moi.
Mais que je suis désolée, écœurée quand certains bibliothécaires ressemblent à s'y méprendre juste à des guichetiers, n'ayant aucun goût (savoir?) des livres, et qui ne vous regardent même pas dans les yeux quand vous vous adressez à eux!

Vendredi 11 septembre

Neapolis

Coup de fil à Annie qui s'est laissée tenter. Rendez-vous à 20h30, Place de la Révolution. Ouverture du 62ème Festival international de musique de Besançon Franche Comté 11-26 septembre, placé cette fois sous le signe de l'Italie. Concerts offerts dont celui du Neapolis Ensemble, un très bon moment, singulier, généreux. Je recopie : « L'Ensemble Neapolis s'inscrit dans l'héritage musical de Naples et, loin de tout cliché, rend hommage à ses habitants au travers de chants traditionnels au contenu social fort, de chants de rues, mélancoliques et gais, bruyants, tendres et hautains. Instruments : guitares, mandoline, flûte, violoncelle, chitarrone, percussion et voix »




Dimanche 13 septembre

Sa mère entre dans la chambre pendant qu'il n'y est pas, elle balaie, essuie la poussière. Elle regarde la photo si familière : trois enfants souriants et sages, assis côte à côte. La sœur, le frère et leur cousin. Trois enfants devenus grands. La sœur et le cousin ont trouvé leur chemin et lui pas, pas encore. Elle prend le cadre entre les mains, les regarde encore, arrête ses yeux sur lui, son petit visage aimant et lui demande : « Dis-moi, que t'a t-il manqué, que ne t'avons-nous pas donné pour t'écarter ainsi de ta lumière? »

Mardi 15 septembre

Un jour, je serai cynique. J'irai acheter mes livres en grande surface, au moins de ce côté-là, la relation marchande est claire et sans état-d'âme et gare aux libraires qui pleurent sur la crise – et qui soit dit en passant exploitent éhontément leur personnel comme des patrons d'usines – et en appellent au bon cœur des clients!

Mercredi 16 septembre

Guillaume Apollinaire.
Je l'ai retrouvé, ô merveille! Il m'accompagne là où je vais. Je le lis Appollinairedes yeux, à haute voix, le chante : Mon beau tzigane mon amant/écoute les cloches qui sonnent/nous nous aimions éperdument/croyant n'être vus de personne Mais nous étions bien mal cachés/toutes les cloches à la ronde/nous ont vus du haut des clochers/et le disent à tout le monde...

Musique, musicalité, perfection, beauté de la langue. Toujours bon de faire un tour de ce côté-là. Le recueil Alcools, mieux qu'une bible! :

Templiers flamboyants je brûle parmi vous
Prophétisons ensemble ô grand maître je suis
Le désirable feu qui pour vous se dévoue
Et la girande tourne ô belle ô belle nuit 

Ou bien encore le commencement de « La chanson du mal-aimé » :

Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

De la même « chanson » :

Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien-aimée
Je suis le souverain d'Égypte
Sa sœur-épouse son armée
Si tu n'es pas l'amour unique

Et le poème « Vendémiaire », magnifique! Un extrait :

J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris
Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent

Jeudi 17 septembre

Ils m'ouvrent la porte. J'entre dans leurs territoires humains, si humains. J'en repars pas tout à fait semblable à moi-même. Accrue, certainement et jamais indifférente, la prescience de leurs secrètes blessures, leur réflexion, leur énergie à vivre s'accumulant en moi.

Hier, échange téléphonique avec Jean-Jacques B. à propos d'un beau programme à venir autour de l'Algérie, du 7 au 14 novembre 2009. Jean-Jacques, un pote même si nous ne nous voyons pas souvent. Promesses de retrouvailles, un de ces déjeuners à la maison, le temps d'interrompre la course et de tailler une bavette.

Miracle. Il a pris ses vêtements, les a mis dans la machine, les a étendus sur le séchoir. Il a nettoyé, ordonné sa chambre. Transporté ses étagères au garage pour les repeindre!

Vendredi 18 septembre

Matin. Bleu, le ciel se déploie. Les couleurs se détachent nettement. Forme précise des toits, ligne verte des arbres. La lumière se concentre, tremble dans les fleurs. Pépiements d'oiseaux, croassements de corbeaux. Le chat des voisins, un chenapan, passe dans le jardin et de sa patte accroche un papillon... Je m'éloigne de la fenêtre, l'odeur du café se répand dans la maison, j'entends ses pas dans l'escalier.

Samedi 19 septembre

Visages


Visages amis, visages aimés, visages captivants que l'on voudrait approcher du sien pour mieux les regarder, les lire telles des cartes de géographie.
Visages avenants portant la droiture, la loyauté. Visages jeunes lumineux de leur jeunesse, éclairant les jours sans soleil.

Visage de cet homme-là traversé par le visage de l'enfant qu'il fut, que l'on voudrait prendre dans ses mains pour lui dire : « N'aie plus peur, regarde devant toi. Ton chemin est bordé d'amour »

Dimanche 27 septembre

Dans l'avion pour Séville. Parce que c'est Séville – Ichbilia - le Shérif m'a proposé de l'accompagner. Participe à un workshop en mathématiques : « Control and Inverse Problems of Systems Governed by PDES »! Assia et lui en discutent déjà pendant le voyage, ordinateur en marche.

Accueil chaleureux de Manolo et de Chari à l'aéroport. Dîner de tapas délicieux...

Mardi 29 septembre

Laisse les matheux travailler. En solo, retrouvailles d'amour avec la ville. La beauté de GuadalquivirGuadalquevir. Les couleurs des bougainvillées, blanc, rose-violet, orange, du laurier rose. Flots de jasmin. Arbres, oliviers, longs et minces palmiers, figuiers. Je marche, le long du fleuve. Séville n'est pas agressive. Il y a de la douceur, de la confiance en elle. Peu à peu, je m'en imprègne. Je suis bien.

Pendant la promenade, coup de fil d'Am. Mention bien. Merci pour toi. Merci pour nous.

Vers 14h, rejoins les matheux au restau universitaire, à l'emplacement réservé aux participants du workshop. Moment agréable. Signe amical d'Arnaud M. Les assiettes ne sont pas avares. Ambiance bruissante.

Laisse les universitaires reprendre leurs travaux. Chaleur de l'après-midi. Résidence universitaire. Lecture de Poèmes à Lou d'Apollinaire. M'exerce à chanter le poème « Faction » :

Amour vous ne savez pas ce que c'est que l'absence
Et vous ne savez pas que l'on s'en sent mourir
Chaque heure infiniment augmente la souffrance
Et quand le jour finit on commence à souffrir
Et quand la nuit revient la peine recommence

Mercredi 30 septembre

Rendez-vous encore avec la lumière. La transparence de la lumière. N'ai pas marché, cette fois-ci, le long de Guadalquevir mais de l'autre côté. Dans le parc Maria-Luisa. Y ai déambulé. Colombes blanches. Bel édifice du musée archéologique dans lequel je ne suis pas entrée. Ai préféré prendre du temps pour la visite du musée des Beaux Arts, non loin de la Plaza De Armes.

Visite gratuite, offerte. J'apprécie de lire ces lignes : « Nous vous souhaitons la bienvenue dans ce musée ainsi qu'une agréable visite. Nous vous encourageons à faire la connaissance de tous les musées d'Andalousie et nous vous remercions du lien, désormais permanent, que vous avez crée avec le patrimoine andalou. » Ministère de la Culture de la Junta de Andalucia

Vendredi 2 octobre

Plaisir de vivre ce début d'automne en Andalousie. D'avoir pu capter ces moments. Échanges avec Assia. Fragments de vie. La recherche en mathématiques. La solidarité avec les consœurs. L'université en France. Luttes et inquiétudes. L'Algérie. Les collègues de là-bas. Les voyages. Mexique. Japon. Brésil. Les enfants. Les mères qui vieillissent. Les maisons. Au fond, la passion du travail et de la vie.

Dernier soir à Séville. Visages et voix de Manolo, Chari, Enrique, Rosa, Assia...

Samedi 3 octobre

Retour au bercail via Paris. Chez Anouar et Nora. Anouar qui suit l'évolution de son livre Le Rapt.

Dimanche 4 octobre

Sur la route, direction Lyon. Visite à Om, hospitalisé à la clinique du Tonkin (Villeurbane). Lorsque Om a débarqué aux urgences, il s'est plié de douleur de 9h du mat à 16h de l'après-midi, sans que personne ne vienne s'en inquiéter raconte Am qui était affolée, n'en revenant pas de tant d'indifférence. Des vieilles personnes geignant, ignorées, « engueulées » même, l'une d'elles ayant eu la malencontreuse idée de tomber et de saigner. Un personnel pas très dévoué, pour n'employer que ce terme.

Sur son lit, sans couverture, Om a grelotté de froid. Quand Am a demandé une couette pour lui, une infirmière l'a envoyé paître. Le comportement a changé quand Anouar, se faisant passer pour un parent pharmacien a téléphoné; quand le même Anouar a fait téléphoner son beau frère, médecin.

Voilà, c'est en France. J'en frémis. C'est cela qui nous attend?

Mercredi 7 octobre

Ta mère de l'autre côté de la méditerranée, aimante, veillante, entrée en vieillesse. Quelques uns de ceux que tu aimes de l'autre côté de toi. Ceux-là que deviennent-ils? Que font-ils, quel air respirent-ils? Qui aiment-ils? Sont-ils heureux?

Mais pas question de te laisser submerger par la mélancolie. Il fait tellement beau! Splendeur de l'automne. Couleurs rousses, rouges, couleurs or et fauve, et le vert qui persiste encore.

Conversation avec le Shérif. Mail de Claire. Et l'appétit d'écrire.

Jeudi 8 octobre

Persiste et signe. La famille, c'est au cas par cas. N'est pas une structure idéale en soi. M'a raconté des horreurs sur sa famille et s'étonne pourtant de ce que j'en ai écrit sur ce journal. Je m'étonne, moi, de cette amnésie, de cette absence de lucidité.

Après tout, avec la chance que j'ai eue, que j'ai d'avoir une mère aimante et bienveillante, un père aimant et solidaire malgré sa sévérité si ce n'est dureté, j'aurais pu chanter ma bluette sur la famille et m'y tenir.

C'est une chance. C'est un cadeau d'être aimé par ses géniteurs. Qui sont des hommes et des femmes, porteurs de leur histoire...

Autour de moi, que d'enfants de trente, quarante, cinquante, soixante ans portant les cicatrices du désamour de leur mère, de leur père!

La famille? Pas rare qu'elle soit « le lieu du pire » de toutes les façons possibles. Et quand on sait que sur ce plan-là l'imagination des humains est sans limites...

Vendredi 9 Octobre

Les écrivains, quant à eux, ne sont pas dans la bluette!

Lis à ma mère/50 écrivains parlent de leur mère, Textes réunis par Marcel Bisiaux et Catherine Jajolet, Éditions HORAY, 1988, 2006.

Extraits :

« J'ai été élevé durement... Bon! Cela n'a rien à voir avec les cinq mille enfants martyrs que l'on recense tous les ans en France et dont trois cents meurent des mauvais traitements infligés par leurs parents. Je n'ai quand même pas été à l'hôpital! Cela dit, mois qui suis d'un naturel plutôt affectueux, j'aurais préféré de beaucoup avoir une mère aimante. » Hervé Bazin

« Ma mère n'a pas lu mes poèmes. Elle ne lit strictement rien. Elle ne s'intéresse pas à la littérature, elle n'a aucune idée de ce que peut être quelqu'un qui écrit, qui travaille dans un maison d'édition. Même par curiosité, elle ne s'intéresse pas à ce que je fais ou écris. Je suis passé une fois à Apostrophes et je l'avais prévenue, pensant que cela la flatterait un peu, mais à cette heure-là, elle prenait un bain, et elle n'a pas regardé l'émission. » Marcellin Pleynet

« J'avais six ans quand j'ai définitivement cessé d'aimer ma mère. Un jour où elle et mon père se disputaient, elle s'est mise à pleurer, et je suis allée vers elle pour la consoler. J'ai mis mes bras autour de son cou. Elle m'a brutalement repoussée : « Toi, vas à ton père! » Han Suyin

La même : « Elle me disait toujours que j'étais la laide de la famille! Je le croyais. Je l'avais très bien admis. J'étais laide? Eh bien oui! »

Samedi 10 octobre

Mail de Peter. Sera à Strasbourg en novembre. Nous verrons-nous après trois décennies?

Hier, reçu de la poste un courrier de la médiathèque Nelson Mandela de Besançon. « Son club de lectures pour adultes fête ses quinze ans d'existence... À cette occasion 15 ouvrages ont été retenus parmi les 550... Votre recueil de nouvelles Rien ne me manque fait partie de cette sélection anniversaire... Le jeudi 22 octobre à 18h, l'Atelier du Pied Levé proposera des lectures de passages extraits des ouvrages retenus. Nous espérons avoir le plaisir de vous accueillir » Plaisir bon à prendre!

Soir. Écoute d'une émission sur la réforme des Universités en France, sur France-Culture. Sentiment partagé avec le Shérif : « C'est la plus grande offensive libérale menée contre l'Éducation nationale ».

Dimanche 11 octobre

Nul n'est indifférent au sentiment d'admiration ou d'amour qu'il provoque. C'est, au moins, agréable d'être désiré, aimé même si l'on n'est pas dans la réciprocité. Mais c'est un jeu bien pervers lorsque la personne non aimante joue de ce sentiment en ne le décourageant pas pour le bénéfice de son égo, pour des intérêts bassement matériels – restaurants, cadeaux et « avantages » de toutes sortes (oui!) -, pour s'adonner au goût si répandu de se jouer de l'autre.
Il y a quelques jours, j'ai assisté en témoin imprévu à ce jeu-là entre « elle » et « lui ». Un spectacle proprement démoralisant. J'en suis revenue cafardeuse, m'interrogeant sur les ressorts obscurs des sentiments, sans doute opaques à celui-là même qui les ressent.

Lundi 12 octobre

Rendez-vous chez Claire aux Ragots. À pied (aller-retour). Pris le chemin le plus long. Il faisait humide. Le nez en l'air, mes yeux s'aiguisant aux paysages, j'ai salué l'automne.

Retrouvailles avec la copine, autour d'un bon repas préparé par ses soins. Détente. Rires. Nouvelles. Vacances. Nos enfants. Amis communs. Nos lectures. Claire me parle du livre qu'elle est en train de lire La Mémoire Saturée de Régine Robin, Stock, 2003. L'auteur y évoque, entre autres, Pérec pour son livre La Disparition et Modiano pour son livre Dora Bruder. Ce dernier m'avait proprement bouleversée. Il faut que j'en retrouve le résumé que j'avais rédigé pour je ne sais plus quel site internet. L'écrivain a d'une certaine manière comblé les vides, les silences de l'Histoire.

Nos films. Je n'irai pas voir le film de Guédiguian sur le groupe Manouchian. Je ne veux pas voir les visages de Missak Manouchian et ceux du groupe remplacés par ceux des acteurs.

Apprends la maladie d'une amie. Cela me rend triste. Fragilité de la vie. La vie si précaire.

Soir avec le Shérif. Mail d'Annie.

Mardi 13 octobre

Matinée avec Jacques M. En vue de préparer le « Moment poétique et musical » consacré à la poésie de Mahmoud Darwich pour le colloque pluridisciplinaire et international : « Quel État Palestinien? Histoires, réalités et Perspectives », le 19 et 20 novembre 2009, à l'Université de Bourgogne, Amphi Guitton-Fac de Droit, Dijon.

Jacques et moi, avec le guitariste Fayçal Salhi, avions fait une lecture en hommage à Darwich en mars dernier, dans le cadre du Printemps des Poètes. Je l'évoque dans ce journal.


Nous ne reprenons pas exactement les mêmes textes. En rajoutons d'autres dont le très beau « L'Art d'aimer » :

...Q'elle prenne place, apaisée, comme le jardin à sa pleine floraison
Et attends-la
Q'elle respire cet air étrange à son cœur
Et attends-la
Qu'elle soulève sa robe qu'apparaissent ses jambes, nuage après nuage
Et attends-la
Et mène-la à une fenêtre qu'elle voit une lune noyée dans le lait
Et attends-la
Et offre lui l'eau avant le vin et
Ne regarde pas la paire de perdrix sommeillant sur sa poitrine
Et attends-la
Et comme si tu la délestais du fardeau de la rosée
Effleure doucement sa main lorsque
Tu poseras la coupe sur le marbre
Et attends-la...

Mahmoud DARWICH in La Terre Nous est Étroite et autres poèmes, Traduit de l'arabe par Elias SANBAR, Éditions Poésie/Gallimard,2000.

Bribes de conversation aussi. Résidence d'écriture de Jacques. Sa rentrée. Nos lectures. Il lit en ce moment Les Dieux ont soif d'Anatole France - « je suis sûre que ça te plaira! » me dit-il, connaissant ma passion de la Révolution française. Il y a quelques années, il m'avait envoyé une carte de Bruxelles représentant « Marat assassiné » du peintre David. Nos écritures. Nos obsessions poétiques. M'a offert Cinq poèmes d'Arthur Praillet (1912-1992).


Après-midi, coup de blues. Pense à ceux qui sont malades.

Lis L'Étreinte Fugitive de Daniel Mendelsohn, Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina, Flammarion, 2009.

MendelsohnDe très beaux passages. Réflexion très intéressante sur l'identité, s'articulant sur sa connaissance des cultures grecque et latine, sur sa connaissance du latin et du grec ancien. Plus je le lis et plus je me dis - mais cela, je le savais depuis quelque temps déjà - que la planète hétérosexuelle dont je suis est bien prétentieuse dans ses certitudes binaires.

Un écrivain gay, assumé, revisitant les « concepts » de la filiation, de la paternité, de la famille, du désir, de la honte, de l'impossibilité aussi du désir... Ce passage :

« Dans ma génération, il n'y a pas un gay dont la première expérience de désir n'ait été une sorte d'affliction, qui nous a appris à associer l'attirance à la honte. Peu importe à quel point elle est ancienne, peu importe qu'elle ait été supplantée par d'autres amours plus heureuses, cette expérience primitive nous marque au fer rouge.
Quand vous êtes désespérément amoureux – je n'entends pas ça au sens du cliché, au sens figuré, pour suggérer que mon amour me consumait entièrement, que je ne pouvais y résister, mais bien à la lettre, parce que dès que j'ai posé les yeux sur P., j'ai su que
c'était sans espoir, quel que fût l'endroit où m'emportait mon désir, je n'y trouverais jamais accomplissement ni bonheur - , quand vous êtes désespérément amoureux, vous pouvez toujours échafauder des stratégies, toujours penser aux diverses façons d'envelopper le bien-aimé dans le tissu de votre vie pour faire de lui, sinon le « vôtre », du moins qu'il ne soit à « eux » - les autres, les gens normaux, les gens heureux. » P.101.

Sur le thème de la honte associée à l'impossibilité du désir, à l'impossibilité de l'accomplissement amoureux, je pense aussi à Apollinaire :

Un soir de demi brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte 

dans « La Chanson du Mal Aimé » du recueil Alcools


Ou plus clairement :

Je reste confus je reste confondu
Je me sens las de cet amour que tu dédaignes
Je suis honteux de cet amour que tu méprises tant

dans le poème « L'amour le dédain et l'espérance » du recueil Poèmes à Lou


Mercredi 14 octobre

Matinée. J'ai traîné mais il bien fallu que je m'y mette. Sur l'ordi, retravaillé des pages de Cent 1 Lettres. La passion, thème difficile. Impossible de l'écrire sans imaginer le personnage qui s'y brûle sinon ce ne serait plus de la passion. « L'amour est toujours affliction » Mendelsohn

Jeudi 15 octobre

« ... est-ce une passion? Est-ce l'amour? L'amour n'existant pas sans la connaissance intime des plaisirs qui le perpétuent. La duchesse était donc sous le joug d'une passion; aussi en éprouva-t-elle les dévorantes agitations, les involontaires calculs, les desséchants désirs, enfin tout ce qu'exprime le mot passion : souffrir. » Balzac, Langeais.

Rencontre. Je devais lui écrire et ne l'ai pas fait mais je pensais à elle, attendant que la source revienne pour que mes mots ne soient pas de vides coquilles. Elle vient vers moi, souriante et me raconte. Sa solitude. Le manque de travail. Sans se plaindre, c'est juste une situation objective. Des hommes déglingués qui la repèrent et se croient autorisés de la « mater ». Elle écrit des poèmes. Elle peint. Un peu feu follet. Les femmes ne la supportent pas, la tiennent à distance.
Je l'écoute, la regarde et pendant qu'elle parle, je me dis qu'elle est sûrement « cataloguée ». Les femmes, gardiennes et reproductrices de la norme, sont féroces envers celles qui ne leur ressemblent pas. Et ce qui n'arrange pas les choses, cela se passe dans une petite ville.

Dîner avec Annie. Pizzas indigestes, mal cuites. Les restaurateurs ne manquent pas d'air!
Conversation, entre autres, sur la difficulté d'être soi dans un environnement « normé », lisse, où il ne faut surtout pas contester...

Vendredi 16 octobre

Quand on me parle d'innocent, j'ignore de quoi on me parle. Je n'en sais que le sens juridique : contraire de coupable. Si c'est pour me dire : qui ignore le mal, qui ne fait pas la différence entre le bien et le mal, qui fait le mal sans penser à mal...
Je connais des êtres innocents dangereux, semant le malheur autour d'eux, si ce n'est la mort.

Bonnie & Clyde
Vu avec le Shérif le film
Bonnie and Clyde d'Arthur Penn (1967) à la salle du Kursaâl de Besançon. Une merveille esthétique. Les premières images pourraient relever du ballet... Son visage à elle (Bonnie), son visage à lui (Clyde), la rencontre, quand ils se parlent, quand il se vante et qu'elle le suit en l'écoutant presque en dansant, le visage émerveillé...

Dur comme un diamant, comme un coup de poing au ventre. On le regarde en sachant qu'en ce monde, il n'y a aucun salut possible. L'amour n'est pas salvateur. La misère dépossède les humains de leurs maisons, de leur dignité, de leur vie. Des êtres déboussolés, dangereux à eux-mêmes et aux autres. Et au-dessus de tout, la violence extrême des maîtres : L'argent, les banques, la police






Samedi 17 octobre

Des fleurs sur le Doubs en souvenir du 17 octobre 1961.

Lundi 19 octobre

Couscous fabuleux préparé par Rachid, l'ami le plus cher (en langue arabe dans ma tête). Réunion de matheux dont le Shérif. À un moment, ils se sont lâchés et n'ont plus parlé que de mathématiques. Trop de revues. Trop de publications. C'était fascinant et étrange d'entendre des mots, des expressions que je « connaissais » mais qui avaient des sens qui m'étaient fermés.

Mardi 20 octobre

Voilà ce qui arrive dans la vie et, encore une fois, gare aux apparences, gare aux certitudes! Un couple semblait s'aimer d'amour tendre, le temps de faire trois enfants, de mener une existence commune avec ses joies et ses difficultés...etc. Puis le couple s'est séparé, brisé. L'homme est parti rejoindre l'homme dont il était amoureux. (Témoignage entendu sur France-Culture).

Noren







Écouté, sur France-Culture, les yeux fermés tant c'était beau, un extrait du journal intime du dramaturge suédois Lars NORÉN. Un beau texte -proximité d'une voix- dit magnifiquement par un comédien. C'est rare.


Reçu par la voie postale un courrier de Claire : « Ce matin, c'est gelée blanche aux Ragots. Je vais prendre le vélo ou mes jambes pour aller à la poste...je ne sais pas encore... » M'envoie des extraits sur Pérec et Modiano du livre de Régine Robin. Ainsi que l'affiche de l'exposition : « 2009, Cinquantenaire des éditions François MASPERO », à Lyon.

Soirée à l'Espace théâtre de Besançon (Planoise) avec Annie. Un spectacle valant la peine d'être vu : Manuel du merveilleux par la Compagnie Système Castafiore (Grasse) expliquant les trente et une fonctions universelles du conte dénombrées par « un certain Vladimir Propp » dans Morphologie du Conte (1928). Décor, costumes, formes, couleurs, mouvements des corps, danse, chants et musique sobres et beaux. Les enfants présents ont apprécié, arrêtant de rire quand la beauté de ce qu'ils voyaient les saisissait.

Quand je pense que des générations d'étudiants de Lettres (dont j'ai été) ont été proprement traumatisées par l'enseignement si aride des fonctions dite de Propp! Il y a véritablement un enseignement pédagogique à tirer des possibilités de l'art, du théâtre...

Mercredi 21 octobre

Dans la cuisine pour préparer un cake. Pour la venue de Maïa. Allume la radio. Tombe sur une émission de RCF, avec Cécile Ladjali et Augustin Lumière, tous deux enseignants en « milieux défavorisés ». Ces deux-là donnent envie! Des enseignants qui aiment leur métier, sans démagogie, ont une vision très haute de la transmission à leurs élèves de la littérature, des grands textes, des langues en l'occurrence le grec ancien, la langue française.

Cécile Ladjali évoque « l'accent discriminant » des élèves issus des quartiers défavorisés. Elle dit : « À l'oral du Bac, les jury les attendent au tournant avec une massue! Les ghettos linguistiques sont pires que les ghettos architecturaux. »

Jeudi 22 octobre

L'enfer, c'est les autres? Je ne sais. Ce que je sais, c'est que ces autres donnent des coups de griffes, par désintérêt, légèreté. Quelques heures pour que l'effet en disparaisse.

Fin d'après-midi, médiathèque Nelson Mandela : belle lecture des extraits choisis par l'Association « Au pied levé » à partir de la sélection de « 15 titres restés en mémoire » établi par le club de lecture fêtant ses 15 ans en 2009.

Vendredi 23 octobre

Matinée. Répétition « poésie Mahmoud Darwich » avec Jacques M. Travail, lecture, concentration et éclats de rire. Je suis une personne angoissée, impatiente, coléreuse... Qu'est-ce qui fait qu'avec lui, je retrouve une de mes façons d'être qui me constitue aussi : ma propension à la gaité? Peut-être que Jacques est jeune.

Samedi 24 octobre

Fait beau. Des fourmis dans les pieds. Me faut marcher. Ce sera l'occasion d'aller à la biblio pour emprunter Lettres à Lucilius de Sénèque. Pas voulu reprendre le chemin habituel, celui qui passe par la rue de Vesoul, pour aller au centre ville. Comme une grande, ai emprunté une autre direction et quelques rues, si belles avec les couleurs de l'automne. Me suis tout de même perdue et suis retombée sur la rue de Vesoul.

Ma sortie a été fructueuse. Ai trouvé l'ouvrage que je cherchais, en version latine accompagnée de la traduction française, en cinq volumes. Les ai emportés tel un trésor. Merci, Bibliothèque d'étude et de conservation de Besançon! Merci bibliothécaire compétente et avenante grâce à qui je les ai vite retrouvés!

Courses en vue du lendemain.

Dimanche 25 octobre

Repas à la maison avec des amis. En langue arabe, les amis sont aussi appelés les aimés.

Lundi 26 octobre

Petit-déj avec le Shérif. Conversation. « Tu les termines, tes Cent et 1 lettres »? Il a raison de me tarabuster même si ça m'énerve un peu.

Entrevois de la fenêtre de mon bureau les couleurs or et rouille de l'automne. L'automne fastueux de Besançon, quand il ne pleut pas.

Après-midi, en face de l'ordi, en face de mes écritures. Moments intenses et moments de tristesse.

Mercredi 28 octobre

Concert de Jazz au Petit Kursaal de Besançon organisé par le Tao Saxophone Quartet et ses invités en hommage à l'ami saxophoniste disparu Jean-Luc Salgues.
Comment arriver à l'écrire? D'abord, la relation des musiciens à leur instrument. Saxophonistes, trombone, guitaristes, pianistes, batteurs, percussionnistes, oudiste... Une relation physique, charnelle, sensuelle, qui ne laisse pas indifférent, prend au ventre!
La musique. La joie qui peu à peu emplit la scène, déborde, saisit l'auditoire et les connaisseurs qui applaudissent, reconnaissant au passage une phrase, captant une performance.
Je ne suis pas une spécialiste mais je crois reconnaître le talent, de toutes mes fibres. Et ces musiciens qui ne comptent pas leur temps, prêts à jouer jusqu'au matin!
Et comme ce fut doux d'entendre Noël Pelhate, saxophoniste, parler de son ami. Et ces mots : « L'Algérie, la terre de l'amour... ». Jean-Luc Salgues et sa compagne s'étaient rencontrés en Algérie.

Jeudi 29 octobre

Matinée, présente au séminaire d'Épiphymaths, pour cause de littérature : « Le soleil dans la science, la religion et la littérature » exposé par François ROUDAUT. Très intéressant. Pistes à creuser.

Après-midi, avec Gaby venue de Vienne, dans les rues de Besançon. Pause dîner léger à « La Calabraise », rue d'Arène. Et tout d'un coup ce sentiment d'être ailleurs que dans le présent. Nécessité de décoller, de partir.

Vendredi 30 octobre

Matinée, marché. Gaby. Stefan. Arrivée de Tea. Brasserie Café Poste. Rues de Besançon, après-midi.

Soirée, concert Musiques libres 2009 au kursaal. Promenade entre deux concerts, le long du Doubs. De toute beauté. Beauté nocturne qui me réconcilie avec la ville.

Samedi 31 octobre

Déjeûner chez nous, à la Retraite sentimentale avec Gaby, Stefan et Tea. Repas délicieux préparé par le Shérif. Au fil des conversations, Tea évoque deux passions : David Bowie et Freddy Mercury. Raconte que Mercury a chanté avec la cantatrice Montserrat Caballe, me signale, entre Bonnafféautres et surtout, leur chanson Barcelona où se mêlent à merveille leurs voix et leurs styles, pop et opéra.

Soirée, concerts Musiques libres au Kursaal. Ai en particulier apprécié la prestation de Jacques Bonnaffé, « un acteur pas comme les autres ». Talent. Présence physique intense, les mots des poètes portés par sa voix, son corps. Générosité. Offrande.








Dimanche 1er novembre

Jour des morts ici et là-bas. Anniversaire du 1er novembre 1954, déclenchement de la guerre d'indépendance en Algérie. Oui!

Et encore Apollinaire, mon amour de poésie :

Non, je ne veux aucun de ces cœurs que l'on donne,
Ni de l'aumône humaine exquise aux cœurs ingrats,
Ni du pieux soulas des grâces des madones,
Ni de l'amour humain qui fait trop d'embarras.

Tous les dons sont impurs et les joyaux sont tristes
Et l'amour est maudit pour ce qu'il peut donner,
Il n'y a pas encore de cadeaux anarchistes
il n'y a que la paix quand finit la journée.

Extr, poème « Adieux » in « Il y a » du recueil Poèmes à Lou

Lundi 2 novembre

« La part la plus considérable de la vie se passe à mal faire, une large part à ne rien faire, toute la vie à n'être pas à ce que l'on fait. » Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 1.

« Tandis que l'on diffère de vivre, la vie court » Idem.

Mercredi 4 novembre

À MÉDITER : « ... crois-tu qu'on a le moindre souci du remède, quand on compte ses tares pour des vertus? Prends-toi donc sur le fait, autant que tu le pourras; informe contre toi-même. Sois d'abord ton accusateur, puis ton juge; ne te fais ton avocat qu'en dernier lieu. À l'occasion sache te désobliger. » Sénèque, Lettres à Lucilius

Jeudi 5 novembre

Jean-Jacques est enfin venu déjeuner à la maison. Difficile de le « capturer » tant il semble ne plus s'accorder de moments hors de la militance.

Atelier d'écriture, 1ère séance, rue Mégevand. Venue à pied. Fine pluie au début. Puis le soleil est revenu. Vu du cimetière St-Claude, que je longe, des arbres qui semblaient irréels tant ils étaient beaux, se dressant telles de hautes flammes dans la transparence de l'air. Flammes d'or, âmes végétales, âmes légères de ceux qui ne sont plus êtres de chair et de sang.

Vendredi 6 novembre

Situations

Situation 1. D'origine tchèque, il parle le tchèque, l'allemand, le français, l'anglais et fait même une incursion érudite du côté de l'hébreu. Part sans rien dire, au bout de 15 années de vie commune, laissant celle qui fut sa compagne médusée.
Situation 2. J'apprends l'événement. Je suis étonnée, troublée, presque effrayée de cette impossibilité de dire malgré cette « profusion » de langues à sa disposition pour pouvoir dire, mieux que quiconque.
Situation 3. Une amie me fait entrevoir cette hypothèse : celui qui part sans dire à l'autre pourquoi il part a au moins une raison : cet autre est quelqu'un qui n'entend pas.

Matinée : belle et fraîche, tonique. Sans pluie, avec un trait de soleil. À pied pour le marché de la place des Beaux-Arts, sac à dos. Ai acheté chez une dame des pommes de son jardin, rouges, vertes et jaunes, ressemblant à celles de l'enfance. Des produis laitiers « faits maison » me dit-on fièrement. Quelques légumes, chez un vieux monsieur qui, discutant avec une cliente, déclare : « Internet, c'est perverse » Et elle, lui répond : « Mais on trouve tout sur internet! Tout! »

Sac à dos rempli, retour, moitié à pied, moitié en bus, jusqu'à la station « Vallon du jour ».

Après-midi, venue de Maïa. Lis, crayon à la main, un livre d'Olivier Blanc, La dernière lettre, Prisons et condamnés de la Révolution, 1793-1794, Préface de Michel Vovelle, Robert Laffont, 1984.

Fin de journée, à la médiathèque Nelson Mandela, Planoise, pour le vernissage de l'exposition de photographies et portraits de Claude Cornu «UN VILLAGE DANS LES AURÈS : NOUADER 1958-1960 », présentée par l'Association « À la rencontre de Germaine Tillon ».
De très belles photos, esthétiquement et humainement parlant, où les visages rient, s'offrent en toute confiance! C'était pourtant le temps de la guerre.

« Claude Cornu n'avait pas choisi, lui, d'avoir 20 ans dans les Aurès et d'y faire la guerre. Mais en revêtant l'uniforme des appelés, il s'était juré de ne jamais tuer. Les circonstances l'aidèrent à tenir cet engagement. À Nouader, au camp militaire français, en contre-bas du village chaouï de Nouader, il fut d'abord affecté à des tâches administratives, puis après des escapades réitérées au bord de l'oued pour y rencontrer les plus accessibles des habitants, les enfants, il reçut l'ordre de mettre en œuvre ce pour quoi il avait d'abord été sanctionné : s'occuper des enfants en leur faisant l'école.
Voici donc les fillettes et les garçonnets qu'il eut pour élèves pendant deux ans. Les voici à la sortie de la modeste bâtisse qui leur servait de salle de classe, les voici dans les champs où ils aident au labour ou gardent les bêtes, dans les rues du village dont l'étagement audacieux se dessine en arrière-plan, sur les chemins de l'école à la maison, et bientôt les voilà à l'intérieur des maisons dont peu à peu les portes s'ouvrent... » Nelly Forget, 21 août 2009.

Samedi 7 novembre

Mariage de Matthieu, collègue du Shérif, et d'Alina. Lui français, elle roumaine. Cérémonie, mairie, église. Émotion. Bonheur. Découvertes. Matthieu, matheux universitaire, joue du piano. Nabile, attachant, surgissement entre nous de la langue arabe. Martin et la présence, dans sa vie, du chinois, de la Chine, de Taïwan. Facettes des uns et des autres, riches et inattendues. Promesses d'invitations futures, de retrouvailles.

Dimanche 8 novembre

Matin, l'odeur du café préparé par le Shérif. Conversations matinales. Il fait beau. Présence de la lumière. Cette lumière qui donne de l'énergie, amplifie le goût de travailler. Débarrassons vite la table et reprenons nos travaux : le Shérif, son article de mathématiques, en cours, moi, mon journal.

L'après-midi, nous passerons prendre Christine et Cédric pour aller ensemble au Gymnase de L'IUFM, Fort Griffon, de Besançon, écouter Virginie CUDEY, au piano. Au programme : Bach, Mozart, Debussy, Rachmaninov.
Cela dans le cadre de Dimanches Musicaux proposés -gratuits!- par l'Association DEV'ART. Association qui a l'heureuse idée d'organiser des « concerts d'amateurs aguerris, sélectionnés lors du Festival des Nuits de Besançon.
Écoute de Virginie CUDEY, jeune femme rayonnante de 24 ans. Sans partition aucune sous les yeux. Concentration, rigueur, force, virtuosité. Éblouissement avec Rachmaninov (Étude tableau opus 33 n°2 et Sonate opus 36 n°2).
Et encore une fois, ma révération pour le talent, derrière lequel se profile un travail de tous les instants, le respect de soi et du public.

Mercredi 11 novembre

Matin déj avec le Shérif. Lui raconte ma conf d'hier à l'Université Ouverte. Une écoute quasi parfaite, relevant presque de la communion. Mais il s'agissait de la dernière lettre écrite par des guillotinés pendant la révolution française (le livre d'Olivier Blanc)... Ces moments où il ne reste aux humains que leur dignité, leur seul bien.

Arrivée de Maïa. Me mets devant l'ordinateur et ai du mal. Envie de me sauver mais pas question. Ne décollerai pas tant que je n'aurais pas écrit mes lignes. Ce que j'ai fini par faire. Réécrit. Écrit. Interruption vers 13h pour avaler un bol de soupe épaissi de morceaux de pain. Manger « utilement » pour pouvoir fonctionner. Me retrouve devant l'écran et travaille jusqu'à 16H. Pas mis le nez dehors. Personne n'écrira à ma place. Ai été tentée d'aller voir le filmdreyfus programmé à 14h, au Petit Kursaal mais n'ai pas bougé. Pas le choix. C'est cela ou ne pas avancer. Menus rangements dans mon bureau. Balayage. Sorti le linge de la machine à laver. Préparé un pain d'épices. Le frigo vide. Ai cherché dans mes rayonnages des textes de poésie écrits par des femmes. Toujours peu nombreuses dansTrocmé les anthologies par rapport aux hommes. Ai ensuite cherché sur la toile. Tombée sur l'annonce d'un Colloque (novembre 2009) consacré à la poésie de femmes, à l'Université Blaise Pascal, Clermont-ferrand. Parcouru, toujours sur la toile, le blog fabuleux de Florence Trocmé consacré à la Poésie Poezibao. Entretien très intéressant d'Ariane Dreyfus.

Coup d'œil dans ma messagerie. Mail qui me fait sourire de Jacques M. pour la répétition de demain concernant le « Moment poétique et musical » dédié à la poésie de Mahmoud Darwich : « Demain presque à l'aube, j'rai chez Soumya; je sais qu'elle m'attendra en robe d'apparat. J'essaierai d'être ponctuel cette fois. Heure LIP, neuf heures au cadran. On travaillera jusqu'à 11heures 45; je ne peux aller plus avant. Contacte AU PLUS VITE Fayçal pour organiser une répétition en commun. La bise et bon onze à toi et au compagon Chérif que j'aime beaucoup aussi ». Mail de Peter.

Soirée. Écoute de France-Culture. Voix familière que je retrouve. Saisie de bribes. Pense à ma mère. À ma fille. À ma sœur. À mes frères. Je ne téléphone pas assez. Quels sont ces jours qui foncent (et fondent) vers je ne sais quelles directions?


Jeudi 12 novembre

Matin, avec le Shérif. Entre deux cafés bien chauds, évocation d'Internet et des relations possibles entre les personnes via mails, blogs, facebooks... Oui. Avec une réserve tout de même, émise de ma part. Risque de relations « fantasmatiques », irréelles, voire mensongères...

Côté « bibliothèque », documentation, publication, internet est un outil formidable que je ne cesse d'apprécier. La possibilité de s'offrir un espace à soi. Possibilité que je ressens comme l'exercice d'une liberté.

9H, arrivée de Jacques M. pour la répétition. L'ordonnancement des textes est bien clair, désormais. Nous avons mieux lu certains textes difficiles, plus difficiles que d'autres dans leur déploiement rythmique, dans leur densité sémantique. Avons aussi déterminé les moments de musique que nous proposerons à Fayçal lors de la prochaine répétition.

Et comme toujours, des pauses de rires, de divagations langagières. Reposantes, rechargeant les batteries de bonne humeur.

Télépathie. Cela sert de penser fort aux aimés. Coup de fil de Nad « pour prendre de tes nouvelles ». Coup de fil d'Am pour annoncer sa venue, le soir même.

Vendredi 13 novembre

Hier, 2ème séance d'Atelier d'écriture, rue Mégevand. Très intéressante, motivante, je dirais même enthousiasmante! Proposé d'écrire sur les images de publicité captées dans la rue. Sur les couleurs. JP a écrit : « Le blanc a obscurcit ma vie » Il y eut aussi le bleu, le bleu du drapeau, des yeux de la mère, le bleu de la nostalgie, du pays natal, de la Tunisie, le bleu de l'émotion... Les mots sont aussi des sons. Moment consacré à leur répétition, à leur découpage en syllabes.

Matin, le Shérif parti tôt enseigner. Am à la maison. Déjeuner ensemble. Conversation. Travail sur Cent et 1 Lettres. Un nouveau passage écrit. Que vaut-il? Arrêt. Discute avec ma fille. Remonte au bureau. Continue ma collecte de poèmes écrits par des femmes. Mon téléphone portable sonne, une voix résonne à mon oreille : « Soumaya? ». Des décennies après, la voix de Peter.
Am m'a demandée : « Tu l'as reconnue? » Moi, je reste étonnée de cette masse de temps qui est passée.

N'ai pas bougé de la maison. Suis restée dans le voisinage de ma fille, qui se repose chez ses parents et qui le dit. Évocation de ses amis de lycée avec lesquels elle a gardé le contact. Ninon qui attend un bébé. Cécile, courageuse, forte « comme un roc », compétente et bienveillante. Thomas, vivant aux USA.

Retour sur Internet. Consulte des sites consacrés à Saint-Just et Robespierre. Et lis encore et encore.

Dimanche 15 novembre

Hier, Linaël accrochait sa crémaillère! Très contente pour elle.

Lundi 16 novembre

Prends mes notes pour réviser la conférence de demain dans le cadre du cycle que j'ai proposé à l'Université Ouverte de Besançon, intitulé « Lettres à... ».
(Ai déjà donné une première intervention-lecture ayant trait aux Lettres à Lucilius de Sénèque. Une deuxième consacrée à la dernière lettre de guillotinés de la révolution française.

Celle de demain concernera la dernière lettre de Missak Manouchian, le chef du groupe Franc-Tireur-Partisans/Main-d'œuvre immigrée (F-T-P-MOI) de Paris, écrite quelques heures avant de mourir fusillé avec ses autres camarades du groupe, sur le Mont-Valérien, le 21 février 1944.

Le groupe dit de L'Affiche rouge. Affiche qui s'est voulue infamante parce qu'ils étaient presque tous des étrangers...

J'écris ces lignes et tout d'un coup je me pose la question. Qui a tenu les fusils du peloton d'exécution mettant fin à la vie de Manouchian et de ses amis? Des Allemands nazis ou des miliciens français collabo?

Donc, je prends mes notes et les premières phrases sur lesquelles mes yeux tombent : « Le 16 novembre 1943, Manouchian et Joseph Epstein sont arrêtés par des policiers français en civil... » et je suis en train de les parcourir ce 16 novembre. Mon dieu, quel anniversaire!

BoczovRayman
J'ai encore longuement regardé leurs visages. Leurs derniers visages. Ai retrouvé la belle tête d'Henri Boczov, l'ingénieur du groupe, la jeune belle tête bouleversante de Marcel Rayman. En agrandissant la photo, je remarque la déchirure de sa manche et ce détail me broie le cœur.

Le groupe de l'Affiche rouge, je l'aime. J'aime les étrangers artisans de liberté. Ces artisans-là, je les ai aimés en Algérie, en France... Où que je sois, où que je vive, je porte en moi la part de l'étranger.




Mardi 17 novembre

Soirée. Vu avec Annie un spectacle de danse de la Compagnie Paco Dècina (Paris) à l'Espace Théâtre de Besançon. Danseuses et danseurs algues, grenouilles, félins, gazelles. Beauté. Force. Précision. Fluidité. Sensualité perceptible, si perceptible à en troubler les corps de ceux qui ne dansaient pas.

Mercredi 18 novembre

Salhi

Matinée. Répétition poétique et musicale de l'hommage à Mahmoud Darwich avec notre jeune oudiste, Fayçal Salhi et l'ami Jacques M. Un bon moment.

Après-midi. Répétition en solo des textes les plus durs à dire.

Soirée. Sommes vite allés, le Shérif et moi, voir le film Lettre d'une inconnue de Max Ophuls, « librement adapté » de la nouvelle de Stefan Zweig.

Dans les deux cas, texte et film, la passion sous sa forme terrifiante. Un être humain, une femme en l'occurrence, se démet de sa vie et la dépose aux pieds d'un homme qui la voit à peine, ne se souvient même pas de son nom. Une femme, un homme en dissymétrie. Dissymétrie radicale, mortelle que font bien voir l'écrivain et le cinéaste.

Encore une fois, quel est le ressort de ce sentiment qui fait qu'un être humain englobe de son regard, de son cœur, de son corps un autre humain pour lequel il est quasi transparent, invisible?

Jeudi 19 novembre

Répétition en solo, matinée. Vers 15H30, en route pour Dijon. Voiture conduite par Fayçal, Jacques M. à l'arrière et moi à la place devant. Je nous aime bien, tous les trois dans ce moment que nous vivons ensemble. Mon imagination prend le chemin « buissonnier ». Nous sommes sur la route, nous sommes des saltimbanques!

Arrivée vers 17h à la fac de Droit, Dijon. En Plein colloque : « Quel État Palestinien? Histoire, Réalités et Perspectives » Écoutons les dernières interventions. Retiens celle du journaliste Pierre Barbancey, « Le rôle des médias internationaux », dite avec fougue (enfin! Je croyais que ça n'existait plus!) et conviction. Grand reporter à L'Humanité. Vais désormais suivre ses articles, ses reportages.

Vers 19H et 1/4. Nous trois. Moment poétique et musical du Colloque, dédié à Mahmoud Darwich.

Vendredi 20 novembre

Matin. Dans le bus qui nous ramène de l'hôtel à la Fac où se poursuivent les travaux du colloque, Jacques M. me parle de Michelet et de sa Jeanne D'Arc. Il en parle de telle manière que je me promets de me jeter dessus!

De toutes façons, cela fait un moment que le journal de Michelet fait partie de mon programme de lectures de chevet.

Amphi Guitton, Fac de Droit et Sciences Politiques. Écoute des intervenants. Retiens des mots. Dépossession. Milieux en miettes. Murs. Barrières. Points de contrôle. Matrices de contrôle. Dégradation de l'environnement. Dépossession de l'eau. Mer. Identité. Continuité historique avec l'environnement. Eau virtuelle. Zone en pénurie. Économie souterraine. Marché noir. Centaine de tunnels. Produits de première nécessité. De l'essence et de la nourriture. Dépression collective.

Désormais, je ne verrai plus de pins sans penser, encore plus, à ceux qui poussent en Palestine, à la place des oliviers arrachés.

Après-midi, arrivée de Claire. Avant de reprendre le chemin du retour avec d'autres compagnons de route, nous dînons avec H. qui repart le lendemain à Berlin. Pendant le repas, évocations par les uns et les autres de lectures. Du Journal de Victor Klemperer et de la langue allemande, pervertie par les Nazis. Du dernier livre de Laurent Mauvignier, Des hommes, aux Éditions de Minuit. De la mémoire de la guerre d'Algérie. Du mutisme souffrant des uns. Du trou de mémoire des autres.

Claire a raccompagné chacun de nous, F. D. et moi, jusqu'à la porte de sa maison. (Mille bisous!)

Samedi 21 novembre

Tamzali

Sur la demande de Jo, le Shérif a enregistré l'émission où passe Wassyla Tamzali à l'occasion de son dernier livre : Une femme en colère, Lettre d'Alger aux Européens désabusés, Gallimard, 2009.

Loubna
Regarde l'émission. Présence de Loubna Ahmad al-Hussein, la journaliste soudanaise qui a été passible de 40 coups de fouet pour port de pantalon, selon l'article 152 du Code pénal de son pays. A écrit un livre en co-auteur avec une journaliste d'origine libanaise vivant à Paris. Celle-ci cite les interdictions nombreuses et diversifiées qui frappent les Soudanaises. J'écoute et je frémis. Des interdictions que n'auraient pas renié... certaines lois d'un certain IIIème Reich.

Dimanche 22 novembre

Dimanche austère, de travail, d'écriture. N'en suis pas mécontente. Ai mis en veilleuse les « perturbations» de toutes sortes qui pouvaient m'empêcher décrire. Les vagues s'éloignent.

Lundi 23 novembre

Asymétries

« Personne ne comprend personne. Personne... » Que disent les yeux? Qui est derrière la peau du visage? Derrière le masque. Les eaux noires de chacun, jusqu'à quel niveau remontent-elles, jusqu'au cœur, jusqu'à la bouche?

Cru faire plaisir et n'ai pas fait plaisir. Cru avoir compris et n'ai pas compris. Quel est cet élan qui m'a dirigée vers cette personne, dégoulinant d'égo, par tous les pores de sa peau? Pourquoi mon élan s'est-il transformé en exacte aversion? Pourquoi n'ai-je pas le talent de la distance? Et celui-là, bloc et ciment, de quelle planète vient-il? Comprends pas. Je crois que je suis devenue analphabète des autres et de moi-même aussi. « LE TEMPS PERDU EST CELUI PENDANT LEQUEL ON EST À LA MERCI DES AUTRES » Boris Vian

Une autre phrase : « L'abus de travail tue les sentiments » de Lautréamont. L'ai relue posément et me suis mise au boulot. Cent et 1 lettres. Et le sourire intérieur est revenu.

Pour mon anthologie perso, ai recopié ce grave et beau poème d'Emily Dickinson :

I reason, Earth is short-
And Anguish -asolute-
And many hurt,
But, what of that?

I reason, we could die-
The best Vitality
Cannot excel Decay
But, what of that?

I reason, that in heaven-
Somehow, it will be even-
Some new Equation, given-
But, what of that


Je me dis : la Terre est brève-
L'Angoisse -absolue-
Nombreux les meurtris,
Et puis après?

Je me dis : on pourrait mourir-
La meilleure Vitalité
Ne peut Surpasser la Pourriture,
Et puis après?

Je me dis qu'au Ciel,
Il y aura compensation-
Don, d'une nouvelle équation-
Et puis après?

Traduction:  Claire Malroux

Soir, tard, juste avant d'éteindre l'ordi, message de Claire. Message doux et attentionné. Vivre, c'est cela aussi. Recevoir la pensée d'affection comme un oiseau léger qui se pose sur votre épaule...

Mardi 24 novembre

Ces deux-là

Toujours sur le thème « Lettres à... »,Université ouverte de Besançon. Cette fois, lettres d'amour échangées entre Juliette Drouet et Victor Hugo.

Un amour de cinquante années, nourrie de souffrances, de blessures, de désespoir au fil de la vie mais si fort.

Extraits, au hasard :

Juliette DrouetElle : « Je te remercie de ta confiance, je te remercie de ta loyauté, jeVictor Hugo te remercie de ta bonté, je te remercie de ta patience et de ta mansuétude. Je t'en remercie avec un cœur reconnaissant, je t'en remercie avec un dévouement sincère et passionné, je t'en remercie avec humilité et avec orgueil, je t'en remercie avec larmes et avec joie, je t'en remercie avec amour et pitié. »

9 septembre 1851 mardi soir, 8h. In Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard, 1985 et 2001.

Lui : «Je te bénis, ma bien-aimée. L'année qui finit a clos la seconde moitié de ma vie; chaque moitié de trente-un ans; la première moitié passée à t'attendre, la seconde passée à t'aimer. Ce qui me reste à vivre maintenant va s'ajouter à cette seconde moitié, et n'en sera pas distincte, tout en moi étant plein du même amour. Aime-moi... » 1864. In Victor Hugo, Lettres à Juliette Drouet, Fayard, 1964, 1985 et 2001.

Mercredi 25 novembre

Matin, travail. Après-midi douce, si douce à se méprendre sur la saison. Ai rencontré, rue Battant, Val, Véro et Moumoud. Ai visité le prochain local de Resto Trottoir. Les apprécie et les admire.

Direction médiathèque Nelson Mandela, Planoise. Acheté un coupon de tickets de bus dans un point journaux-tabac. Il y avait Christine, la chanteuse de rue, à la voix si belle, même quand elle parle!

Jeudi 26 novembre

Matin, tendresses du Shérif qui va tôt enseigner. Il fait beau. Café juste assez fort. Entre les mains : Les Disparus de Daniel Mendelsohn, en lit les premières lignes : « Jadis quand j'avais six ou sept ou huit ans, il m'arrivait d'entrer dans une pièce et que certaines personnes se mettent à pleurer. », Flammarion, 2007.

Coup de fil de Jacques F, « Grand Jacques » comme je l'appelle parfois. Reparlons du Colloque Palestine de Dijon que j'ai vraiment apprécié, qui se répercute encore en moi. Je pense à vous. S'envole dans quelques jours pour l'Algérie.

Boulot, sur l'ordi. Ai écrit sur mes Cent et 1 lettres. Dans un état de porosité...(ce n'est pas bon!!!) Que vont-ils devenir? Va-t-il être rattrapé par la violence du monde? Va-t-elle le perdre? Je ne sais, j'hésite et pour le moment, elle lui envoie des messages, qu'il reçoit tels des baisers : « Bonjour mon âme, je t'aime » « Comment vas-tu aimé de mon âme? Je veille sur toi. » « Matin de bonheur, n'oublie pas, je t'aime. »

Après-midi, Atelier d'écriture, rue Mégevand. Ils me mettent en joie. Ils écrivent avec tant de plaisir! Que j'aime ce silence, quand ils ont la tête penchée sur leurs feuilles. Recueillement, respect pour les mots qui adviennent, se lient les uns aux autres tels des chainons et deviennent des phrases... Sur les goûts, Ilze a écrit : « Le fade m'ennuie ». À propos « de la meilleure chose au monde » Jacqueline : « Tous les enfants du monde heureux »; Jean-Paul : « la joie »; Isabelle : « Ressentir »; Annie : « Aimer »; Rose-Marie : « la musique ».

À propos de la nourriture, d'une assiette pleine, JP a dit qu'il considérait que c'était une chance de pouvoir manger et que cela valait peut-être bien une prière.

Soir, chocolats noirs offerts par le Shérif. Me suis adonnée au péché de gourmandise avec allégresse! Ai liquidé en quelques minutes tout un « étage ».

Vendredi 27 novembre

Fête de l'Aïd El Kebir. Coups de fil en Algérie.

Samedi 28 novembre

Toujours elle vous aura embrassé
Jusqu'à l'ombre de vous
Jusqu'après vos pas

Toujours ses baisers
Auront parcouru vos visages superposés
Et ses bras vous auront entouré
Vous offrant un pays
À vous seul accordé

Elle vous a tant rêvé
Au-delà de vous
Au-delà de vos apparences
Jusqu'à la jointure de vos os

Sachez-le certains jours
Quand le vent se lève
Et obscurcit la plaine
C'est son cœur qui s'alourdit
De ne pas être auprès de vous

Pour vous faire advenir
Elle n'a plus rien à vous offrir
Si ce n'est la promesse de l'instant
De l'autre côté du temps...

© Soumya AMMAR KHODJA (poèmes)


Dimanche 29 novembre

Matin déj avec le Shérif. Conversation autour de certaines relations humaines si difficiles. Lui, il sait ne pas s'encombrer, ne pas se laisser entamer. Il écarte et avance. Moi, je me laisse encore submerger. Mais j'apprends aussi.

Après-midi. Quelqu'un m'a donné de son temps et de son attention pour installer une nouvelle rubrique dans mon Site, la rubrique Poésie. Quelqu'un qui ne me dit pas : « Je n'ai pas le temps, je suis surbooké, je croule sous le travail, je suis à la bourre (berk, quelle atroce expression!) alors qu'il le pourrait, mon webmaster, mon matheux préféré, le Shérif.

Voulu faire un tour, marcher, respirer mais il pleuvait. Alors suis remontée au bureau. Essayé de travailler mais la relecture des poèmes sur l'ordi m'a dispersé l'attention.

Parcouru Nue de Sylvia Kristel (Emmanuelle qui en son temps a fait fantasmer, pour ne pas dire un autre mot, la planète entière!), co-écrit avec Jean Arcelin, Le cherche Midi, 2006.
Ces lignes : «J'aimerais bien rencontrer mon inconscient. Il doit être une sorte de bête sauvage au pelage barré, cicatrisé, qui vit dans l'obscurité, grogne et hurle, un être sans loi, sans respect, sans pitié pour moi, en souffrance, brut. »P. 220 

Mail d'Annie qui m'a écrit en même temps que je lui écrivais. Mail d'Arnaud M. arrivé comme un pigeon voyageur de Clermont-Ferrand. Ai déroulé le message et sur le message il y avait : une chanson de Kent parlant de Prévert! Merci Arnaud!

Lundi 30 novembre

« Nous sommes tous un peu nomades d'ici et d'ailleurs »

Coup de fil à maman de l'autre côté de la Méditerranée. J'entends sa bonne voix, son rire et cela me réjouit, me rassure. Puis au fil de l'échange, elle me parle des jours de folie à propos du match de foot Algérie-Égypte. Moi, je n'ai pas regardé, m'en suis tenue à l'écart.
Ce qu'elle me raconte m'attriste profondément. Maman regarde des chaines arabes. Elle y a vu, entendu des artistes, des acteurs égyptiens « que nous aimons » dire les pires horreurs sur les Algériens et l'Algérie. Du genre : ils n'ont pas de civilisation, pas de langue, pas d'histoire alors que les Égyptiens sont fils de Pharaons... L'indépendance c'est grâce aux Égyptiens qu'ils l'ont eue... etc. Tout cela à propos de foot! Ce ne sont pas des citoyens lambda qui parlent mais, d'une certaine façon, la crème du pays!

J'imagine les méchantes répercussions sur les Algériens vivant en Égypte, sur les Égyptiens vivant en Algérie.
Je suppose que les Algériens ne doivent pas être en reste. Quelle tristesse. Quel niveau affligeant. Des guerres ont commencé de cette façon.

Mardi 1er décembre

Aujourd'hui, dans mon cycle « Lettres à... », j'ai lu Lettre au père de Franz Kafka. Kafka avait 36 ans et il ne l'a jamais remise à son destinataire.

J'aime beaucoup cette lettre, radicale et magistrale. Et je ne lui pas fait l'injure de l'enfermer dans une interprétation psychanalytique si confortable et rassurante... Pensez-vous! Kafka était pétri de complexes et de culpabilité! Et même si, et alors?

La Lettre de Kafka interpelle fortement car si nous ne sommes pas tous parents nous sommes au moins tous enfants de. À Lire et à faire lire.

Ces lignes : « Or tu es au fond un homme tendre et bon (ce qui va suivre ne le contredit pas, je ne fais que parler de l'apparence et de son effet sur l'enfant), mais tous les enfants n'ont pas la patience et l'intrépidité de chercher le lieu de cette bonté. »

Ces lignes encore : « L'impossibilité d'une relation paisible a eu une autre conséquence, en somme très naturelle : j'ai perdu la faculté de parler. De toutes façons, je ne serais jamais devenu un grand orateur, mais j'aurais quand même maîtrisé le flux de la langue humaine ordinaire. Mais tu m'as interdit la parole très tôt. Ta menace : « Pas un mot de réplique! » et ta main levée m'accompagnent depuis toujours. »

Et encore : « Tu appelais tes employés « ennemis payés », ce qu'ils étaient, mais avant même qu'ils ne le soient devenus, tu me semblais être, toi, leur « ennemi payant » »
(Je ne connais pas de vision de relations patron-personnel plus juste! Demandez, par exemple, au personnel des librairies de votre ville.)

Vendredi 4 décembre

Vendredi intense. Matinée avec Lucie pour préparer le Printemps des poètes, mars 2010. Vers 12h30, ai pris le temps de regarder l'expo « à ciel ouvert », Place Granvelle, de Gilles Porte. Expo intitulée « Syrim, Ibrahim, Malo et tous les autres, Portraits Autoportraits ». Le principe : aux enfants de plusieurs pays, il a été demandé de dessiner leur autoportrait. Chaque dessin est accompagné de la photographie (portrait) de son auteur prise par le photographe. Le résultat est parfois saisissant. Entre autres, les visages graves des enfants du Sri Lanka, la photo de cette petite fille de 5 ans, au visage si triste, aux yeux malades... L'observant, j'ai mis quelques instants à comprendre. En fait, elle portait un foulard sur la tête et son dessin, son autoportrait : à peine un gribouillis, une trace. Mon dieu, elle existerait à peine à ses propres yeux! Bien sûr, il y avaient aussi des dessins et des photographies d'enfants heureux... Ensuite, rencontre imprévue avec Jean-Ph si agréable. Sommes allés nous poser à Identité Café et avons parlé de littérature, de poésie, de lecture de poèmes, de rythme. Lui faisant part de mon cycle de confs sur « Lettre à », j'ai évoqué les lettres qui n'arrivent pas à leurs destinataires, telles les dernières lettres des guillotinés pendant la Révolution française, détournées par Fouquier-Tinville. Et il m'a dit : « Nous, lecteurs, nous devenons leurs destinataires ». Après coup, y réfléchissant, cela m'a bouleversée. Que soient bénis ceux qui cherchent et qui trouvent, ceux qui lisent et ceux qui publient, portant jusqu'à nous l'ultime parole, l'ultime expression de vie de celles et ceux qui allaient mourir et dont nous entendons, au-delà des siècles, l'imperceptible respiration. Vers 14h, nous nous séparons, chacun porté par ses pas. Les miens me mènent au petit Kursaal qui consacre l'après-midi au thème des migrations et surtout au Site Migrations de Besançon. Des interventions très intéressantes, parfois émouvantes. Le tout mené par une chef d'orchestre de talent, Odile chopard sans oublier l'efficace webmaster du Site, Damien Fury. Pendant le Pot, discuté avec Martin M, derrière lequel se profile une histoire familiale et de migration extraordinaire, l'Espagne, l'empire ottoman, le nom coupé en deux... Martin devrait écrire cette histoire, en retrouver les étapes. Il y avait également une exposition qui m'a bien plue, portant le titre Empreintes de Céline BOYER et qui « repasse » à l'Atelier Courbet d'Ornans, du 18 déc 2009 au 14 mars 2010.


Samedi 5, dimanche 6 décembre


Week-end bonheur, bon à prendre. Avec Am et Ho, Nad et Flo. Prétexte : la fête des Lumières à Lyon. Tendresses, rires à profusion – retrouve ma gaité d'enfant avec ma sœur -. Ho m'a offert ma boisson festive préférée.

Dimanche, à Saint-Étienne, brunch fantastique. Am nous a acheté au marché des galettes et crêpes, des fines et des épaisses fourrées d'oignons et de tomates, faites maison, toutes fraiches. Des galettes comme celles de là-bas, mmm... Vu ensuite l'expo « L'objet du design » (du 1er oct au 28 février 2009) à la Cité du design. Pas mal du tout! Certains objets très beaux, alliant fonctionnalité extrême et épure.

Lundi 7 décembre

Fin de journée, sur la route, direction Vesoul, annexe de l'Université Ouverte.
Sur place, exposé sur : « Représentations de l'amour dans les chansons ». Ai proposé le thème de l'initiation, de la première fois avec les chansons Trousse chemise(1962)chantée par Charles Aznavour, Éducation sentimentale(1974)chantée par Maxime Le Forestier et Au suivant(1964)chantée par jacques Brel. Cette dernière relate, et de quelle façon! la première fois d'un jeune homme de 20 ans dans un « bordel ambulant d'une armée en campagne ». Cette chanson fait toujours réagir, souvent par le malaise.
De l'initiation, je suis passée à l'institution, déjà évoquée dans Au suivant, en l'occurrence l'armée. De l'armée à la famille, avec la chanson Ces gens-là (1966), écrite et chantée par Jacques Brel.
Famille où tout est programmé pour que l'amour n'advienne pas. Famille engluée dans sa façon d'être étriquée, mesquine, dans ses conventions sociales et ses intérêts financiers : « On ne pense pas on prie ». « On ne vit pas on triche ». « On ne cause pas on compte ». famille engluée, engluante, complètement fermée.
Si fermée que le rêve d'amour du narrateur et de Frida est celui du départ et d'une maison « avec des tas de fenêtres », « avec presque pas de murs ». Rêve impossible, il ne donne pas assez de forces à Frida de partir laquelle se plie et se rend car « chez ces gens-là, on ne s'en va pas ».
En deuxième partie, les amour condamnées qui disent la différence d'âge entre les amants, elle plus âgée que lui (pour changer un peu, tiens!) : « Amours incestueuses » écrite et chantée par Barbara, Il venait d'avoir dix-huit ans chantée par Dalida.
Et pour finir, avec l'intitulé : « Cette année-là » – plus exactement 1964, année de la loi Neuwirth autorisant la contraception – Comme un garçon chantée par Sylvie Vartan (+ en passant, évocation de Harley Davidson chantée par Brigitte Bardot) et Déshabillez-moi chantée de manière torride et talentueuse par Juliette Gréco la magnifique!

Mardi 8 décembre

Après-midi, dernière conf portant sur « Lettre à... » Cette fois, les lettres de Calamity Jane. Authentiques ou non, elles sont tout à fait plausibles. « Ce gâchis qu'on appelle amour » écrit-elle à sa fille.
Très tôt, des êtres se retrouvent seuls au monde, sans mère ni père qui aiment et protègent. Le monde impitoyable auquel ils doivent s'adapter d'une manière ou d'une autre. Ils y vivent, y durent comme ils peuvent. Ce fut le cas de Martha Jane Cannary dite C J. Les derniers mots de sa dernière lettre : « Pardonne-moi et songe que j'étais solitaire. »

calamity janeCalamity Jane, Lettres à sa fille, traduit de l'anglais par Marie Sully, Rivages poche/Bibilothèque étrangère, 1997.

J'étais un peu triste d'avoir terminé. Au fil des séances, j'ai vu dans leurs yeux attention, intérêt et même quelque chose qui ressemble à de l'affection. Suis partie, imprégnée de leurs visages.

Fin de journée, assisté au Concert de Jazz du Groupe Gerchouine And Fire, quatuor de saxophones au Gymnase de l'IUFM, Fort Griffon. Quatre garçons qui nous ont fait passer un très bon moment. J'adore les musiciens qui habitent l'espace. Leur relation à leur instrument. Ce genre de musiciens, toujours généreux! Et j'adore les saxos.

Mercredi 9 décembre

Soirée à la médiathèque Nelson Mandela. Les photographies de Claude Cornu, que je les aime!

Les visages ne mentent pas. Ils se donnent, s'offrent au regard aimant du photographe. Fraicheur des enfants, dignité et simplicité des hommes et beauté altière des femmes. Leur port, cette façon fière de se tenir assise, droite, de porter leurs bijoux, leurs foulards croisés sur le front et la tête tout en vaquant à leurs tâches quotidiennes... Un regard pareil dans les Aurès, pendant la guerre, est rarissime. Il témoigne de la singularité d'un homme, de « l'individu et ses surprises » comme dit un ami. Oui, ce serait bien qu'un livre puisse réunir ces photos, traces inestimables...

Et pour finir plutôt tardivement, diner au restau avec Claude, Annie, Josette, Jean-jacques. La nuit était belle, les rues de Besançon magnifiques. J'ai rêvé d'y déambuler jusqu'aux aurores. Annie me l'a promis pour une autre fois.

Samedi 12 décembre

Soirée chez Cédric et Christine. Leurs bons visages. Soirée halte, soirée repos.

Dimanche 13 décembre

La vie aux angles durs, très durs. La vie aux contours tendres et ses surprises. Am m'a offert la bague que je voulais.

Incipits

«Et offre-lui l'eau avant le vin »
Mahmoud Darwich

1-...Je passerai du côté de votre vie et frapperai à votre porte. Peut-être m'entendrez-vous. Vous m'ouvrirez et me laisserez vous connaître et vous aimer un peu.

2- Je resterai au-delà de votre porte, au-delà de votre rue, de votre ville. Mais vous saurez que j'existe et vous viendrez, pèlerin quêteur, demander l'eau qui sauve et repose. Sur le seuil de ma maison, vers mes mains réunies vous vous pencherez. Et pendant que vous étancherez votre soif, mes yeux caresseront vos cheveux couleur soleil couleur nuage.

3- Et quand vous lèverez la tête, je regarderai votre visage. J'y reconnaîtrai votre regard, la source vive, le jour profond...

Lundi 14 décembre

Fin de journée. Sur la route vers Vesoul pour ma conférence sur les représentations de l'amour à travers un choix de chansons, Acte II et fin. Mon matheux préféré met en marche la radio, station France-culture, émission en cours, je ne sais laquelle. Captons cette phrase émise par une voix de femme : « Ma mère n'aurait pas accepté que je me marie avec quelqu'un de race noire » Puis, le mot identité qui revient et revient. Je dis au Shérif, avec une sensation de lassitude pesant des tonnes : « Ils me fatiguent avec leurs histoires de race (ils en sont encore là!) et d'identité! Après tout, blancs, jaunes, noirs, rouges, verts, roses bonbon, nous avons tous des intestins adonnés à la même fonction universelle ».

18H30, Vesoul. Ai déroulé ma thématique autour de l'amour, commencement du monde, promesse de liberté avec la chanson de Ferrat « Deux enfants au soleil » (1962), de l'amour maladie mortelle avec la chanson Sid'Amour À Mort (1987) écrite et chantée par Barbara.
Ensuite, la rencontre furtive et inoubliable le temps d'un baiser avec la chanson de Souchon Baiser volé (2004).
Après cela, ai proposé celle qui ne viendra pas au rendez-vous avec Tu ne viendras pas ce soir (1963) d'Adamo et Madeleine (1961) de Brel. Puis en dernière étape Portraits d'hommes aimés par des femmes avec Celui que j'aime (1966) de Mireille Mathieu, Mon mec à moi (1988) chantée par Patricia Kaas et la toute dernière, Mon homme (2008/2009) chantée par la jeune, née en 1984, et très prometteuse Zaza Fournier.
La comparaison entre ces trois chansons vaut le détour... L'amoureuse, avec cette dernière, n'est plus béate et sans nulle exigeance mais ressent lucidement l'ambivalence de son amour pour son homme (Car aussi amoureuse que l'on soit, l'amour serait aussi reddition, étouffement à l'intérieur d'un couple)zaza fournier

« Je veux ranger ma vie comme on range sa chambregrand corps malade
Et puis tout dégommer j'ai trop peur de me rendre
Là, je le fuis
Mon homme »

Pour terminer, l'amour comme une métaphore avec la chanson Les voyages en train (2006) écrite et slammé par Grand Corps Malade (né en 1977) un bijou langagier!



Mardi 15 décembre

Soirée affectueuse de partage. Arnaud M. est venu à la maison avec, en offrande, des chocolats et des chansons. Un C.D de Kent et un autre de De Palma. Avons passé la soirée à trois, lui, le Shérif et moi, tout en musique. Ce jeune homme de trente-cinq ans connaît bien Jean Ferrat dont il m'a fait connaître (l'avais-je oubliée?) une chanson qui m'a fait monter les larmes aux yeux « Si je mourais là-bas ». En fait, un des Poèmes à Lou d'Apollinaire :
Les deux premiers vers :

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée

Et la dernière strophe :


Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
-Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie-
de jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur-
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

O mon unique amour et ma grande folie

30 janvier 1915, Nîmes.


Mercredi 16 décembre

Que nous sommes étranges, énigmatiques, nous autres humains! Que l'on m'explique pourquoi quelqu'un attend d'autrui ce que lui-même ne donne pas.

Celui-là qui voudrait être aimé alors qu'on se demande s'il a bien un cœur. Celle-là qui ne va à aucune conférence de ses collègues et qui s'étonne qu'il n'y ait personne pour elle. Celui-là qui ne s'enquiert jamais de ce que vous écrivez et publiez et qui trouve naturel que vous vous intéressiez à ses travaux de recherche. Le même qui ne répond pas aux invitations de vos lectures publiques mais qui trouve normal que vous assistiez à ses exposés. Cet autre qui ne répond qu'à la partie des mails qui intéresse sa seule personne... Celle-là qui n'invite personne, qui ne dit pas bonjour, qui ne s'arrête pas et qui ne comprend pas que les autres ne la voient pas. Celle-là toujours qui ne pose aucun regard d'intérêt sur les autres pour leur demander comment ils vont, ce qu'il font et qui voudrait être pourtant l'unique sujet de conversation de toute une soirée. Cette personne-là qui évoque continuellement l'opacité des autres et qui ne se rend pas compte que son propre regard est obscurci, aveugle aux autres...

Moi-même, qu'est-ce que je ne donne pas aux autres? Qu'est-ce que j'attends d'autrui que je ne lui donne pas?

Jeudi 17 décembre

Elle, en face d'elle-même, solitude. Elle vient aussi de là, son arrière-pays. Quand la mélancolie devient une marée noire, elle lui fait part de cette solitude. Il lui répond : « Moi, je ne suis pas seul. Tu es avec moi. Je suis avec toi »

On peut être universitaire scientifique, enseigner de longues années et demander, sans ciller : « Qui c'est? » à l'évocation du nom d'Émilie du Châtelet.

BadinterNon seulement, on ne s'est pas aventuré dans les territoires de la culture générale, méconnaissant gaillardement le patrimoine intellectuel mais on a vécu, on vit dans son pays, sa société en étant sourd, aveugle à ses écrivains et philosophes contemporains vivants. Qui écrivent livre après livre, exposant, explorant, développant les idées, enrichissant la réflexion, provoquant des débats contradictoires et forcément passionnants... On peut avoir enseigné de longues années à l'université et ne pas connaître Élisabeth Badinter et ne pas en rougir. Entre autres nombreux ouvrages, Badinter a écrit Madame du Châtelet, Madame d'Épinay ou L'Ambition féminine au XVIII siècle, Flammarion, 2006.

Vendredi 18 décembre

« Tombe la neige ». Matin déj avec le Shérif. Conversation. Après son départ, cours à mon ordi travailler à mon journal. Venue de Maïa. Me confie qu'elle aimerait quitter Besançon pour aller vivre non loin de Paris pour être près de son frère. « Cela fait 7 mois que je ne l'ai pas vu! »

Sarah dit : Pour avoir un peu vécu, je sais maintenant qu'on peut inventer de toutes pièces un sentiment et appeler ça passion. Qu'on peut y perdre son temps et son énergie et parfois sa dignité... Ne pas aimer et croire qu'on aime. Ne pas désirer ce corps-là et croire qu'on le désire. Mystère du vide...

Hier, dernière séance de mon Atelier d'écriture, rue Mégevand. Visages de Suzanne, d'Annie, de Micheline, d'Ilze, d'Isabelle, de Jean-Philippe...

Mardi 22 décembre


Ces quelques jours, ai vécu, avec la neige autour, comme dans un espace insonorisé, loin du monde. Retrait blanc et tiède. j'ai cette chance. Au programme, lecture , écriture et rêverie.

Ce matin, plus de neige sur les toits « comme une carte postale »! N'en suis pas mécontente. Vais enfin sortir et marcher, marcher. J'en jubile rien que d'y penser. Merci mes jambes, merci mes pieds.

Sur mon chemin, j'ai rencontré

Hélène qui m'a appelée de sa voiture, rue de Vesoul. Hélène, toute jeune femme, claire et rousse, souriante et généreuse, ouvrant sa maison, donnant de son temps. Prenant sa vie en mains, sillonnant les routes dans le cadre de son travail. Sa vue, un rayon de soleil.

Françoise, rue Battant, qui venait à mes conférences et que je n'ai pas revue depuis quelques années. Nous nous sommes regardées quelques instants et... reconnues. Grands sourires de part et d'autre. Bises échangées. Me dit des paroles chaleureuses. Me dit aussi qu'elle se déplace beaucoup et n'ai pas osé demander où et pourquoi?

Bertrand, quelques pas plus loin, à Battant encore, et qui des yeux cherchait... quoi donc? « La devanture du nouvel horloger de la rue » Nous regardons ensemble et trouvons vite. Dans cette rue, régulièrement, les boutiques « épicerie fine » et autres de thé, de chocolat et d'habillement  ferment et rouvrent sous d'autres appellations.

Annie R., Grande Rue, faisant ses toutes dernières courses de Noël. Des fruits confits pour sa sœur, « son péché mignon » et des petites voitures pour ses neveux. « Et toi, me demande-t-elle, où en es-tu de tes courses? » « Moi, je n'aime pas et ne sais pas faire. C'est Am qui s'en occupe »

J'aimerais bien dire aux miens : s'il vous plaît, ne nous faisons pas de cadeaux! Contentons-nous du bonheur de nous voir et de partager la table. Mais...

Ai encore croisé Bertrand qui me dit quelques mots sur l'horloger « qui a plein d'anciens objets, des réveils, des montres... » et soudain me demande « Tu vas bien? » « Je réponds banalement « Oui, ça va plutôt bien » « Ah moi, je n'ai pas le moral! » Et je saisis ce qu'il veut exprimer car nous sommes en temps de régression. Le cassage en marche des IUFM, des Universités, le « débat » indigne sur l'identité dite nationale, les suppressions envisagées de disciplines – l'Histoire, entre autres - dans certaines classes, les tentatives tonitruantes de récupération nauséeuse de toutes sortes, parmi elles la panthéonisation d'Albert Camus (« IL » n'a pas dû voir la tombe de Camus, une dalle toute simple avec de la lavande...), cette façon de faire accepter aux gens que le travail est un luxe alors qu'il est un droit, oui, la férocité et la vulgarité érigées en expression politique, la démagogie, le mensonge... etc. Etc. Etc. Etc.

Bertrand poète qui a écrit :

Il a fait froid ces derniers jours à Besançon
si froid qu'avec la bise le beau temps persiste
mais c'est l'hiver et je pense à toi (Jean-Baptiste)
aux psaumes, au mépris... sais-tu que des glaçons

se sont formés dans nos fontaines?...

in Battant, Bertrand Degott, La Table Ronde, 2006.

Jacques F., Grande Rue toujours, avec son grand cartable. Revenu du Sud algérien depuis quelques jours.

Et pendant tout ce temps où je déambulais, échangeant avec les uns et les autres, m'arrêtant devant des vitrines, entrant dans deux librairies – les autres, je n'y mets plus les pieds - une pensée ne me quittait pas, comme en surimpression. Celle concernant l'énigme persistante des relations humaines, des sentiments. Une personne qui a compté et dont l'importance s'est désagrégée « au moment même » où j'ai compris que nous ne partagions rien (Et j'ai repensé aussi à cette autre, A. Qui avait tant signifié pour moi à tel point que pendant longtemps Paris avait eu son visage et les rues de Paris avaient été aussi celles qui menaient à son quartier, à sa maison où j'avais ma place. Puis un jour... défaite de la pensée, défaite de l'affection. Et que cela fût possible...)

Et l'obscurité est tombée. Je n'ai plus rencontré personne. Il a un peu plu. J'ai ouvert mon parapluie et suis retournée sur mes pas jusqu'à la maison.

Après le dîner, ai téléphoné à M. en Algérie. M. qui a perdu, il y a quelques jours, son frère âgé de 60 ans, d'une crise cardiaque. De ce qu'elle me confie, je retiens ces mots : « Ma vieille mère malade, amoindrie, est comme une bête blessée depuis la mort de son fils. »

Soirée, ai réfléchi à mon choix de textes pour le Récital du Printemps des Poètes 2010 avec Selim Khelifa et sa guitare -et autres objets sonores, m'a-t-il dit. Consulté assez longuement le Site Poezibao de Florence Trocmé et lu aussi des passages de son Flotoir. Pris des notes.

Puis, livre de chevet Les Disparus de Daniel Mendelsohn que j'apprécie et que j'ai un peu trahi, détournée par d'autres livres. Mais je lui reviens.

Dimanche 27

À vous, au bord.

Escale

1

Au bord de votre visage
J'approcherai
J'y chercherai votre regard
La source vive
Le jour profond
Au bord de votre visage
Je m'arrêterai
J'y chercherai la voie étoilée
le chemin sûr la mélodie
Au bord de votre visage
Je ferai halte
J'y chercherai la pente douce
Le trouble fort la connivence
Au bord de votre visage
Je ferai escale

Votre visage
Que de mes doigts
J'effleurerai

© Soumya AMMAR KHODJA (poèmes)

2

ô vous entrevu
inattendu pays
qui me laissez
enfin
parcourir
de mes lèvres
le sel de vos rivages
moi obstinée
venue d'un pays
de roc et de silence

© Soumya AMMAR KHODJA (poèmes)